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Public enemies

(Michael Mann / Etats-Unis / 2009)

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publicennemies.jpgChicago et ses environs, 1933-1934 : John Dillinger braque des banques, est traqué par l'agent Melvin Purvis, s'évade de prison, tombe amoureux de la jolie Billie, voit ses compagnons tomber un à un et finit plombé par la police à la sortie d'un cinéma.

Johnny Depp est John Dillinger. Un ou deux critiques ont cru devoir louer sa prestation "en retrait de son rôle". Non seulement la remarque dénote une confusion entre subtile économie et distance ironique mais surtout, elle confirme une nouvelle fois que pour certains, la modernité cinématographique ne saurait être débusquée ailleurs que dans le second degré (on pourrait parler d'un cinéma du sourire en coin). Dans Public enemies, Michael Mann s'approprie au contraire une série d'archétypes et ne cherche jamais à les surplomber, à marquer un détachement, à tomber dans le pastiche. Bien aidé par un casting sans faille (Depp et son magnétisme naturel, Christian Bale glaçant et Marion Cotillard libérée de ses postiches piafesques), il en tire d'emblée un avantage certain : les personnages s'imposent en quelques plans, faisant l'économie d'une explication psychologique de leurs comportements (nul retour vers le passé dans ce récit couvrant tout juste deux années d'une vie). Les comparses de Dillinger existent immédiatement et peuvent ainsi mourir juste après aux côtés de leur boss que l'on perçoit réellement bouleversé. John Dillinger regarde les hommes mourir, recueille leurs dernières paroles, plonge ses yeux dans les leurs. Tout naturellement, l'un des flics lancé à ses trousses tendra son oreille lorsque le bandit marmonnera en crachant le sang sur le trottoir et se fera ultime messager. Belle façon de magnifier un autre stéréotype.

La fumeuse fable urbaine de Collateral n'ajoutait que du vide au maniérisme de la mise en scène. Cette fois, étant assuré de la solidité de son matériau de base, Michael Mann peut tirer les bénéfices de ses exercices de style. Public enemies est effectivement une expérience visuelle unique. La séquence de la fusillade dans l'hôtel semble réinventer l'esthétique des frères Coen (ai-je rêvé ou bien le flic abattu s'appelle réellement Barton ?) et, plus généralement, jamais des lieux aussi peu éclairés qu'un dancing ou un sous-bois n'ont été filmés de cette manière, sombre et nette à la fois. La haute définition est également utilisée par Mann pour apposer sur son fond de reconstitution historique la chair de ses personnages. Les visages envahissent l'écran et laissent voir leurs reliefs infinis. Voici du vivant plaqué sur du mécanique ? Ajoutons que cette proximité est une proximité idéalisante : la quasi-totalité des cadrages se font non pas à hauteur des yeux mais à hauteur de poitrine, en fine contre-plongée, de sorte que ces figures soient toujours légèrement plus grandes que nous.

S'approchant de la fin, Michael Mann s'offre une séquence assez gonflée dans laquelle l'ennemi public n°1 visite les locaux de la brigade chargée de son arrestation. L'idée pouvait pousser à la rigolade ou aux fanfaronnades mais Depp et son cinéaste préfèrent laisser affleurer le frisson de l'excitation, enrobé d'une dimension fantasmatique libérée par la forme (le flottement de la caméra) aussi bien que par le fond (en observant les photographies placardées de ses compagnons, tous "décédés", Dillinger voit à la fois son passé et son futur, "d'où il vient" et "où il va"). Ensuite, pour boucler le film, Mann peut s'appuyer sur des faits réels de rêve. Le face à face entre Dillinger et Clark Gable, son double cinématographique dans le Manhattan melodrama de W.S. Van Dyke, provoque un émouvant phénomène de reconnaissance auquel s'ajoute une non moins émouvante réminiscence de la figure aimée, au travers de l'image de Myrna Loy, son vison, ses grands yeux, ses cheveux noirs. Ou comment évoquer la puissance de l'image cinématographique sans asséner de discours.

S'étirant parfois exagérément (2h20 tout de même), un peu trop frénétiquement découpé en quelques endroits (je préfère au chaos de la première évasion l'enfilade de portes à franchir lors de la deuxième), Public enemies est tout de même pour moi le meilleur Mann, haut les mains !

Commentaires

  • Plusieurs choses:
    Tout à fait d'accord avec l'idée que Mann veut magnifier les archétypes - et sans second degré, Dieu merci.
    En revanche j'ai un peu du mal avec l'argument de la mauvaise histoire pour Collateral et de la bonne pour Public ennemies, on ne peut juger du "matériau de base", pour reprendre ton expression, que dans la caméra du cinéaste. Particulièrement chez Mann, je ne trouve pas qu'il y ait d'un côté la matière, et de l'autre des exercices de style.
    Enfin j'aime assez que l'utilisitaion du vivant plaqué sur du mécanique. Il y a quelque temps j'avais fait un billet sur Fred Astaire, dont je faisais l'ennemi du burlesque, en utilisant la même expression...

  • Euh, mon commentaire n'ira pas loin mais voilà : film aussi tôt vu, aussi tôt oublié. Evidemment, le scénario n'a rien d'original mais, dans ce cas, la mise en scène doit faire le rattrapage, les dialogues, la direction d'acteurs... là il n'y a rien ou pas grand chose à se mettre sous la dent. Très honnêtement je suis allé voir le film il y a dix jours je me rappelle plus de rien...

  • Julien, je comprends fort bien que tu sentes n'avoir été "accroché" par rien dans Public ennemies. J'ai eu la même sensation avec Collateral.
    Je trouve cependant que la mise en scène est assez belle par l'étrangeté de certains cadrages et l'utilisation de la haute définition (les textures, les lumières). C'est aussi superbement interprété.

    La différence avec Collateral, pour répondre aussi à T.G., tient réellement, à mon sens, au scénario. Celui du film avec Cruise (qui n'y était pas lui-même extraordinaire) accumulait les péripéties les plus invraisemblables et, au final, les plus risibles, afin de tenir son sujet jusqu'au bout. De plus, une espèce de philosophie de bazar me semblait recouvrir tous les dialogues. A cause de ces béances de fond, le travail classieux sur la forme (la nuit et la ville, déjà très bien photographiées) finissait par se retourner contre le cinéaste.

    Dans Public ennemies, j'ai trouvé en revanche, dès les premiers plans, une présence des corps et des figures, des archétypes "vivants", à partir desquels la mise en scène peut déployer ses beautés sans donner l'impression de tourner à vide.

  • Le meilleur Mann, je n'irai vraiment pas jusque là. "Heat" me semble indépassé et difficilement dépassable.
    Ici, je ne suis qu'à moitié convaincu par l'utilisation de l'image numérique: l'effet de "temps présent" pour un film d'époque est intéressant, mais gâché il me semble par les couleurs sépia conventionnelles et surtout par un montage souvent trop fénétique.
    Sinon, certains passages réussis que tu as relevé (la poursuite dans le sous-bois, la séquence du cinéma), et casting parfait.

  • "Heat", pour ma part, c'est à revoir, mais j'étais resté légèrement en retrait, à l'époque.

    "temps présent" dans le passé, c'est tout à fait ça. Et j'aurais également préféré un montage moins chaotique pour certaines séquences (la première évasion, l'aéroport etc...). Ce défaut n'est toutefois pas rédhibitoire au point de me gâcher mon plaisir.

  • Pour ma part, je ne suis pas pas loin moi aussi de considérer Public Enemies comme le meilleur Mann, à revoir cependant à tête reposée en blu ray dans quelques mois. Même si j'adore aussi Collateral qui ne m'a pas paru vain, et Miami Vice. La formidable façon de filmer de Michael Mann combinée à l'emploi de la haute définition et à une magnifique musique est toujours au service de l'émotion. La gratuité n'existe pas chez ce cinéaste.

  • Il me semblait bien que vous étiez un fervent défenseur de Michael Mann, Rom. Aux titres déjà évoqués, j'ajouterai "Révélations", excellent film-enquête (mais datant d'avant "Collateral" qui est, je pense, un tournant dans l'oeuvre de Mann). Personnellement, il faudrait que je vois un jour "Ali" et "Miami vice" pour juger plus précisément ce cinéma, qui me laisse pour l'instant sur une série de hauts et de bas.

  • Oh oui, un de mes cinq cinéastes préférés. Révélations est magnifique, malgré le sujet qui ne m'est pas très proche. On a reproché à Michael Mann pour Public Enemies son emploi de la caméra portée ; or, ce n'est pas une première, il l'a fait également avec beaucoup de talent dans Révélations. Miami Vice, je ne m'en lasse pas, çà me transcende à chaque fois. Ali, malgré le sujet qui ne me touche guère, donne bien souvent des frissons. Il m'est pour ma part très difficile de trouver dans ce cinéaste des bas. Seuls les sujets peuvent y parvenir, mais à chaque fois, il arrive à les transcender avec sa mise en scène.
    J'aime beaucoup Heat mais je ne le considère pas comme un chef d'oeuvre, je lui trouve en effet de légères digressions qui nuisent un peu à la cohérence du sujet.

  • Ah ouais, quand même, un des cinq préférés... Moi j'en mettrai au moins une cinquantaine devant :-)
    Je comprends que la caméra portée puisse agacer, mais effectivement, c'est utilisé intelligemment. Cela participe à la sensation d'un "présent dans le passé" dont on parlait plus haut. Ce qui est aussi assez étonnant, c'est que la HD nous frappe surtout quand elle est utilisée pour filmer des visages, comme ici ou chez Nuri Bilge Ceylan.

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