(Arnaud et Jean-Marie Larrieu / France / 2005)
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La découverte d'Un homme, un vrai (2003), toute petite chose auteuriste, ne m'avait aucunement incité à continuer plus avant l'aventure avec les Larrieu. Il fallut donc attendre l'intrigante bande-annonce des Derniers jours du monde pour me décider à tenter à nouveau ma chance. Le résultat étant plutôt satisfaisant, la diffusion télé fort opportune de Peindre ou faire l'amour prenait la valeur d'une oeillade. Et voici comment, en quatre jours, mon rapport au cinéma des deux frangins s'est trouvé totalement renversé. Croyez-moi, j'en suis autant étonné qu'un Daniel Auteuil au petit matin de sa première nuit d'échangiste.
Neuf fois sur dix, si la première séquence d'un film nous séduit, le reste suit tout seul. Madeleine (Sabine Azéma), qui aime peindre en amateur pour se détendre du boulot, installe son matériel sur le flan d'une colline et voit bientôt entrer dans son cadre un promeneur aveugle qui s'avère être le maire du village d'à côté (Sergi Lopez). La concentration de Madeleine bientôt perturbée par l'amusement devant l'étrange trajectoire de la silhouette en contrebas, l'attention visuelle et auditive portée à la nature, le frissonnement provoqué par l'air vivifiant annoncent un film sur le désir et le titillement des sens.
Les Larrieu prennent tout d'abord un plaisir évident à filmer la campagne et sa lumière, à y placer une Sabine Azéma rayonnante (voir les poses qu'elle prend lorsqu'elle fait visiter à son mari la propriété qu'elle souhaite acquérir). Faire d'Adam, le personnage-catalyseur, un aveugle leur permet d'introduire immédiatement une dimension sensuelle exacerbée. Adam est très sensible aux odeurs, les parfums l'aidant à se guider. Plus tard, William, le mari de Madeleine, pourra lui dire "Tu sens fort", phrase plus triviale que les envolées de leur ami aveugle mais aussi troublante. Adam "voit" également mieux que les autres dans l'obscurité, ce qui nous vaut une séquence plongée intégralement dans le noir, effet de mise en scène justifié comme rarement et donc particulièrement savoureux (il s'agit pour Adam de raccompagner sans lumière Madeleine et William chez eux, à travers bois).
Personnages et paysages sont carressés en de longs plans (peut-être un peu trop régulièrement soutenus par la musique, bien que celle-ci soit agréable et fort bien "ressentie", comme lors du retour de William et Madeleine après leur promenade où ils retrouvent leur fille et son petit ami sur la terrasse en train d'écouter un disque à plein volume, la scène baignant longuement dans cette ambiance). L'intérêt du récit tient à la tension érotique qui semble naître avant tout du lieu. L'achat de cette nouvelle maison provoque un rapprochement entre William et Madeleine qui, au début du film, n'étaient pas présentés au spectateur ensemble, malgré leur vie commune. Le désir est inséparrable de l'habitat : il ne se passe rien chez Adam et le voyage à Wallis-et-Futuna a ennuyé le couple.
La mise en scène des Larrieu est simple et sensuelle (par moments trop chaste : la deuxième séquence dans le noir, lors de la scène d'amour à quatre, aurait gagné en trouble si elle n'était pas si vite coupée). Lorsqu'Eva, la femme d'Adam (interprétée par Amira Casar), demande à Madeleine de peindre son portrait, elle se déshabille entièrement sans la prévenir. Le découpage nous fait alors épouser exactement le regard de Madeleine, celle-ci regardant d'abord Eva enlever ses bottes et sa ceinture, réalisant alors ce qu'elle fait, détournant les yeux pour préparer fébrilement ses pinceaux et les relevant enfin, au moment où elle sait que son amie est nue, la découvrant comme nous.
Dans la vie de Madeleine et William, le séisme sexuel d'un ménage à quatre est tel que l'on redoute un retour de bâton. Mais les Larrieu tiennent bien leur ligne. Les conséquences souterraines du cataclysme sont observées calmement (la fuite de la maison) et la mauvaise foi humoristique trahit la violence de la remise en question (William : "Ce sont des échangistes, ils sont dangereux !", profitons en pour saluer ici Auteuil qui, en cette année-là, réussissait à Cannes un grand écart spectaculaire puisqu'on le retrouvait également à l'affiche du film qui aurait dû obtenir la palme d'or, Caché de Michael Haneke).
Une dernière partie inattendue mais rendue logique par la mise en scène nous attache définitivement à la rêverie érotique des frères Larrieu.
Commentaires
J'ai l'impression que mon ancien blog est en train de disparaître de la surface du Net. Heureusement qu'il reste la recherche "en cache" qui te permettra de voir ce que je pensais (et que je pense toujours) du film des Larrieu :
http://209.85.229.132/search?q=cache:zxywrp3Am6AJ:pierrot.20six.fr/pierrot/art/777953/Papy-boom+pierrot+%22peindre+ou+faire+l%27amour%22+20six&cd=1&hl=fr&ct=clnk&gl=fr&client=firefox-a
Pour tout dire, je pense exactement l'inverse de toi : j'avais trouvé plutôt intéressant "Un homme, un vrai" et "la brêche de Roland" mais j'ai lâché avec les suivants. Mais comme je te connais, tu es capable de dire du bien de l'ignoble "Voyage aux Pyrénées" :)
ho non Ed, pas vous !
je crois que c'est la seule fois de ma vie que j'ai été d'accord avec une critique de Pierre Murat.
J'attendais non sans gourmandise le commentaire du bon Docteur. Je me souviens de plusieurs échanges sur les frangins Larrieu. Quoique moins mordant que lui je partage assez ses réserves sur le film, comme j'avais plutôt aimé le premier long métrage, la première partie et le film d'entreprise surtout. Sur la suite, je suis plus circonspect. "Peindre..." m'ayant déçu, je m'étais abstenu des "Pyrénées" que j'ai découvert finalement grâce à Kinok et qui ne m'a pas déplu malgré des passages un peu faibles.
Le problème, c'est aussi que Auteuil, Azema et Lopez jouent, une fois de plus, sur des registres dont on a trop l'habitude.
Comme les autres commentateurs, même rapport chronologique aux films des Larrieu (charmé par les premiers, beaucoup plus perplexe devant le dernier). "Peindre..." est effectivement le pivot de leur filmographie : gardant encore l'inspiration devant la sensualité des paysages, des atmosphères et des humeurs mais lorgnant vers le gros casting, la production confortable, qui, je trouve, n'apporte pas grand-chose (à part la possibilité de pouvoir monter des films a priori plus ambitieux). Pour faire l'adepte des formules, j'avais imaginé qu'on pourrait présenter "Peindre..." comme un "film de Sautet contaminé par Bunuel", le problème étant que contrairement au divin Luis, il n'y a pas de réelle subversion là-dedans, ou disons plus simplement pas de libération... Tout est un peu mis sur le même plan : rien n'est vraiment grave au fond, d'où l'impression d'une sorte de neutralisation assez confortable des affects et des élans.
Chers collègues, j'ai été le premier surpris de me sentir si bien dans ce film (et contrairement à Vincent j'aime beaucoup ce que fait le trio de vedettes). Toutefois, de là à ce que ma découverte du "Voyage aux Pyrénées" devienne une priorité, il y a un large pas...
Joachim : Oui, on pourrait dire que le film est "confortable", dans tous les sens du terme. Et moi, pour une fois, cela ne m'a pas gêné. Bien sûr, rien de subversif ici (l'aspect bunuelien, je le retrouve plutôt dans "Les derniers jours du monde", sa construction générale et certains de ses épisodes). La remise en question est strictement limitée au couple et ne résonne pas sur autre chose, mais cette focalisation suffit à m'intéresser, d'autant qu'elle donne à voir un jeu d'acteurs très sûr (ce qui est loin d'être le cas dans les autres films des Larrieu).
Enfin, tant mieux que rien ne soit vraiment grave au final : on a tellement vu d'histoires de ce genre dans lesquelles le couple ou l'un des deux protagonistes se voit rattrapé par la morale (qu'elle prenne n'importe quelle forme : le remords, le rejet, la mort, la maladie...). J'ai bien aimé que les Larrieu s'en tiennent à leur petite vision utopique.
J'avoue que j'avais été un peu "surprise" et pas très emballée sur la longueur mais d'avoir revu cette bande annonce dernièrement m'a donné très envie de le revisionner, sous une nouvelle optique :
http://www.youtube.com/watch?v=wU3_9nDDDGA
:D
C'est le prochain film de Mathieu Kassovitz ou quoi ?
Pffffffffft !
Bon, je traîne trop sur Twitter donc je me suis laissée surprendre par le BlogDay de l'année. J'ai publié un petit post sur mes préférés et je t'ai sournoisement blogdaylisé... Il paraît qu'il faut prévenir les gens, dont acte...
En principe, on ne gagne rien... quoique... qui sait ?
:)
Frederique, je ne te remercie pas... ici, mais chez toi.
Monsieur est trop bon...
pfffffft
C'était juste pour éviter la répétition. :-)