(Johnnie To / Hong-Kong / 2003)
■■■□
PTU, c'est l'espace, la durée (le temps), la surprise (le contretemps).
A l'arrière d'un véhicule blindé se font face deux rangées de policiers. Ensuite, se déroule sous nos yeux l'un de ces morceaux de bravoure dont Johnnie To est coutumier, morceaux qui ne s'annoncent pourtant pas d'entrée comme tels. Quatre marlous font la loi au restaurant, forçant l'un des clients à changer de table. Le jeu est classique, binaire, et pourrait s'arrêter là. Un troisième intervenant entre pourtant en scène, produisant un nouveau bouleversement jusqu'à ce qu'un équilibre triangulaire soit trouvé, ponctué visuellement par un plan d'ensemble. S'arrêter pour de bon, cette fois-ci ? Non, le triangle éclate à son tour, de manière totalement inattendue, en renversant les rapports de force instaurés jusque là.
Il y a, dans le cinéma de Johnnie To, une jouissance de l'espace. PTU est tourné en format large (2,35:1) et l'horizontalité y est accentuée : marche le long des rues, trottoirs, files de voitures, panneaux publicitaires et duel final en position allongée. Néanmoins, les bords du cadre, sans qu'ils soient négligés, sont souvent plongés dans le noir et le regard se concentre sur les points lumineux du centre. L'œil est attiré par ce qui s'arrache à la pénombre : le téléphone portable sous film plastique, le pistolet au milieu des détritus, les torches dans l'escalier et bien sûr les visages.
Le récit se concentrant sur quelques heures, PTU nous convie à une virée nocturne dans Hong-Kong. Et il s'agit vraiment de sentir la nuit. Le montage alterne plans très larges et plans serrés, la caméra collant aux personnages pour mieux s'en éloigner aussitôt et insister sur leur solitude et leur engloutissement. L'ambiance sonore qui envahit une ville la nuit est aussi magistralement retranscrite avec ces sauts d'intensité, ces bruits lointains de moteur, ces plages de silence, ces ronronnements derrière les portes des boîtes de nuit. Par le suivi des déplacements, une fascinante topographie de la ville est détaillée. Mais si Johnnie To enseigne la géographie, son cours n'a rien de barbant, sous-tendu qu'il est par un fil ludique. Ainsi, un passage à tabac se déroule dans une salle de jeux vidéos, redoublant les concours de bastons virtuelles. Plus tard, après que de la techno soit parvenu aux oreilles dans la rue, à peine en sourdine, l'un des thèmes musicaux du film déboule au moment où l'on lit le mot "Music" sur une enseigne.
De nombreux personnages répartis en différents groupes se croisent. Du côté de l'ordre, ils font partie d'une unité de police mobile, de l'antigang ou de la brigade criminelle. De l'autre côté de la frontière de la loi, on distingue trois gangs. Entre les deux, des indics et des petites frappes locales. L'intrigue se résume en quelques mots : un inspecteur a perdu son arme de service et la recherche toute la nuit, avec l'aide du responsable d'une petite brigade. Des personnages principaux, nous saurons très peu de chose sinon quelles relations ils semblent entretenir entre eux. Ce qui nous est montré, avant tout, ce sont leurs trajectoires dans la nuit. De cette façon, Johnnie To débarasse le film choral de ses lourdeurs habituelles, n'en gardant que le squelette. L'écheveau est compliqué à souhait mais il tient grâce à des croisements très simples et toujours surprenants. Cet étonnement étant quasiment généré par chaque fin de séquence (la "résurrection" du voyou tabassé en est l'exemple le plus parlant), tous les brusques virages pris par le récit deviennent acceptables.
Chose très caractéristique du cinéma de Johnnie To, la surprise peut aussi venir du report d'un événement narratif, au point que le cinéaste puisse parfois paraître se complaire dans l'étirement gratuit des séquences. Celles-ci (à l'image de celle où les policiers montent un à un les escaliers d'un immeuble) n'ont d'abord pour elles que leur attrait esthétique ou leur modulation rythmique. Elles ne servent à rien, pourrait-on dire... jusqu'à ce qu'en bout de course, l'intérêt du chemin parcouru pour arriver à telle composition ou telle ponctuation devienne évident.
Tant de virtuosité, tant de jeux formels et narratifs : cela pourrait lasser. Or il n'en est rien (PTU est, pour moi, sur bien des points, un anti-Collateral). Le plaisir est intense, tenant aussi à l'idée de troupe d'acteurs (incarnant des personnages qui sont poussés à agir avant de discourir), à celle de retrouvailles de film en film. Même dans le désordre, il est assez jubilatoire de piocher dans la pléthorique filmographie de Johnnie To (24 longs-métrages rien que pour les dix dernières années). Personnellement, j'ai pu, entre l'ébouriffante découverte de The mission en 2001 et celle d'hier soir, cocher sur la liste Breaking news, Fulltime killer et les deux volets d'Election, avec le même enthousiasme.