Quelques notes complémentaires et illustrées sur l'immense film de Paul Thomas Anderson, suite à une nouvelle visite, deux ans après la première.
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L'histoire est, entre autres, celle d'un lien père-fils qui se noue puis se dénoue. Au fil du récit, les contacts se font de plus en plus nombreux, les bras étreignent de plus en plus fort, avant que les gestes d'affection disparaissent peu à peu. Accompagnant et amplifiant cette évolution, la mise en scène commence par réunir à chaque occasion les deux personnages dans le même cadre. Puis, une fois passé l'accident, les champs-contrechamps prennent le relais, jusqu'à devenir la figure quasi-exclusive des scènes les mettant en présence, jusqu'à mettre finalement entre eux une limite infranchissable (un bureau), une distance impossible à annuler.
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Paul Thomas Anderson ne filme pas des couchers de soleil mais les effets de la lumière sur les personnages. Accessoirement, retourner ainsi sa caméra lui permet de mettre en valeur des gestes à la fois simples, précis, réalistes, justifiés et marquants. Se faisant, il fait sienne l'une des caractéristiques les plus admirables du cinéma américain classique.
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L'usage récurrent du plan-séquence n'est pas le marqueur d'une virtuosité spectaculaire, cette technique n'étant pas employée pour orchestrer de complexes et vains croisements. Anderson y voit plutôt le moyen de fondre parfaitement ses personnages, ses objets, ses motifs, son récit dans le paysage, et cela dans toutes ses dimensions, profondeur, longueur. Un long travelling n'est pas là pour en mettre plein la vue mais pour prendre une mesure. Paul Thomas Anderson est un arpenteur. Cette approche de l'espace et du temps, d'une part, donne son ampleur au film et, d'autre part, l'assouplit, le rend plus flottant, plus libre, en ménageant par exemple la surprise d'entrées dans le champ inattendues, des entrées non forcées, presque aussi poétiques que celles que l'on observe chez
Miklos Jancso.
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Dans There will be blood, ceux qui se retrouvent, à un moment où à un autre, à terre, finissent par trépasser...
... Certes, Daniel Plainview, lui, bien que tombé ou affalé plusieurs fois ne mourra pas à l'écran. C'est que, contrairement aux autres, nous le voyons à chaque fois se relever, dans la continuité du plan.
... Mais quelque chose nous dit que ses redressements ne s'effectueront pas éternellement. Arrivés au seuil de cette histoire, nous le quitterons assis, en sursis. Et finalement, le seul protagoniste à être sauvé n'aura jamais été projeté à terre. H.W., puisqu'il s'agit de lui, aura en effet vu sa chute, provoquée par le souffle de l'explosion du puits, être amortie par le toit d'une baraque, très haut-dessus du sol.
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La réussite du pari de Plainview, construire un pipeline pour l'exploitation de son pétrole, marque le début de la fin. En cessant de chercher à s'élever, en préférant travailler sur l'horizontalité, il s'assure la fortune mais il provoque sa perte ou du moins, une certaine dévitalisation. C'est à ce moment-là, d'ailleurs, que le récit, à coups de larges ellipses temporelles, se met alors à survoler, à s'élancer vers son dénouement dramatique.
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Au milieu du final, l'insertion d'un très beau flash-back sans paroles audibles ne sert pas seulement à faire ressentir la déchirure que provoque la rupture du lien entre le père et le fils, bien plus douloureuse que le premier ne vient de l'affirmer violemment. Ce décrochage, par la façon dont il est raccordé en sa sortie, en opposant deux mouvements inverses, permet également de saisir une chose : l'ascension de Plainview n'aura été possible qu'en la présence de H.W. La répudiation du fils entraîne la descente, sans remontée possible, du père dans son sous-sol.
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Doit-on blâmer la bouffonnerie du dernier acte ? Non si l'on veut bien admettre qu'elle s'inscrit de façon logique dans le prolongement des séquences consacrées à l'affrontement entre Daniel Plainview et Eli Sunday. Cet antagonisme a progressivement pris la forme d'une mascarade, de façon plus marquée à chaque étape : le camouflet de la bénédiction du premier forage, la raclée administrée sur fond de musique allègre puis le baptême vociférant et ironique. En cela, le dénouement est cohérent. Il met un point final à cette relation entre Daniel et Eli qui doit aussi se lire par rapport à celle entre Daniel et Henry. Toutes deux sont imprégnées de violence mais s'opposent sur tous les autres points. D'un côté, la violence est explosive, instinctive, exhubérante, presque ludique. De l'autre, elle est sèche, froide, réfléchie, préméditée, peut-être plus terrible encore. Daniel et Eli s'affrontent toujours en plein air ou sous de fortes lumières. Les plans larges laissent admirer les gestuelles. En revanche, les séquences centrées sur Daniel et Henry sont majoritairement nocturnes et cadrées de manière serrée. Sur la plage, une ombre vient se porter sur Henry. Il ne verra pas le jour.
Photos : captures DVD Miramax
Commentaires
La seule faiblesse du film, avec la fin, c'est le cabotinage de DDL, il en fait trop. C'est un immense acteur et je l'adore mais là il en fait trop.
Par contre, le jeu de Paul Dano, face à ce monstre, est époustouflant. Bien utilisé, s'il fait les bons choix, je pense qu'on en réentendra parler.
Pas le temps de plus développer sur ce film mais le début, sans paroles et en plans séquences si je me souviens bien m'avait scotché. Un grand film de la décennie 2001-2010.
2000-2009, sorry.
Excellent ! C'est encore mieux avec la capture d'images. Du coup, je suis allé lire la première note. C'est vrai ce que vous dites sur les "petits malins" et certains critiques.
Il y avait aussi un truc sur le double si je me souviens bien : le personnage de Paul Dano a un jumeau absent mais dont on sent la présence en permanence. DDL est aussi constamment accompagné par une sorte de double qui le suit à la trace, légèrement en retrait mais dont il cause toujours la destruction : son fils puis son faux-frère. A la fin il est seul et Dano cherche à s'associer avec lui. Même le fils de DDL se voit, une fois qu'il s'est séparé de son père, affublé d'un double : sa future femme puis son traducteur.
Enfin bref, je ne sais pas trop ce que ça veut dire. Je vais y réfléchir.
Julien : Ce "cabotinage" (qui d'ailleurs, ne "bouffe" pas tout l'espace par rapport aux autres) ne m'a pas gêné. Il ne se sent pratiquement que lors des face-à-face avec Paul Dano, ce qui, compte tenu de ce que j'ai essayé d'expliquer plus haut, le rend acceptable et même agréable. Il se justifie en tout cas.
Nolan : Oui, c'est juste ces histoires de doubles.
Ce qui me donne à penser que voilà décidément un très grand film, c'est que ces réflexions font leur chemin petit à petit et ne font pas écran lors de la première vision.
J'ai vraiment aimé ce film qui est particulièrement bien travaillé au niveau des costumes, souvent c'est travaillé façon hollywood (un peu approximatif) là, il ya quelque chose de très proche de la réalité historique.
Bien vu, Aline !