En zappant, un soir d'été :
"- Eh, Papa, attend, on dirait Louis de Funès...
- Oui, c'est lui. C'est un film de la série du Gendarme de Saint-Tropez. Ils sont en train de la passer tout l'été, je crois. Un par semaine.
- Je veux les regarder !
- Oh, non...
- Allez, s'il te plait...
- Heu, de toute façon, c'est l'un des derniers celui-là. Il ne doit en rester qu'un ou deux après.
- Ça fait rien, laisse. Je veux le voir... et l'autre aussi la semaine prochaine.
- Bon, si tu veux... Mais je ne les regarde pas avec toi. Je vais faire autre chose à côté.
- Pourquoi ?
- Parce que je connais et je sais que ce n'est pas terrible.
- Mais c'est drôle !... Pffff... T'aimes jamais rien toi...
- Si : tu as vu que j'aimais bien la série de la Panthère Rose par exemple..."
*****
Inutile de perdre du temps à évoquer les deux derniers Gendarmes, suivis du coin de l'œil, toujours aussi minables. Mais pour rester avec De Funès, on peut dire quelques mots d'Oscar. Si il est moins catastrophique dans sa réalisation et moins idiot dans son registre comique que les pitreries baclées par Jean Girault sous le soleil de Saint-Tropez, le film de Molinaro ne satisfait guère plus et rarement spectacle comique m'aura autant épuisé. Partant d'une pièce de théâtre de boulevard (adaptée pour l'occasion, entre autres, par De Funès lui-même, qui la joua plusieurs fois sur scène), le scénario accumule, en une seule journée et en un seul lieu, des surprises, des révélations, des tromperies et des méprises toutes plus improbables les unes que les autres. Cette succession effrénée (à chaque séquence son ou ses rebondissements) est rendue plus sensible encore par des choix de mise en scène visant à augmenter la vitesse du récit : claquements de portes, déplacements continus des personnages d'une pièce à l'autre, montage très sérré des actions, donnant l'impression que les acteurs déboulent dans le champ, voire qu'ils sont en avance sur le plan (on se demande par exemple, parfois, si Claude Rich quitte vraiment les lieux comme il est censé le faire en plusieurs occasions, avant de revenir). Cet emballement mécanique serait à la limite supportable si le fond n'était si déplaisant (médiocrité générale des caractères, misogynie et cupidité utilisés comme ressorts comiques essentiels) et surtout si il n'était pas ponctué toutes les dix secondes d'éclats de voix crispants dûs à De Funès, à Rich ou à la jeune Agathe Natanson qui, bien que légèrement vêtue, a l'hystérie horripilante. Le premier cité, attraction de tous les plans ou presque, est en colère de la première à la dernière scène. En caracolant ainsi, sans jamais atteindre une dimension absurde qui réhausserait le vaudeville de base, le film laisse les rares bons mots et les sympathiques trouvailles se faire oublier aussitôt, emportés qu'ils sont par le courant de ces échanges-mitraillette, de ces cris et de ces grimaces incessantes. Épuisant, vraiment.
Débutant au même moment que celle des Gendarmes, la série de la Panthère Rose s'élève à des hauteurs inconnues de son concurrent français. Signalons tout d'abord que cette dernière a des limites assez fluctuantes, que le coffret dvd édité par la MGM en 2003 ne précise que très imparfaitement. Cinq épisodes y sont en effet compilés. Le septième, L'héritier de la Panthère Rose (Curse of the Pink Panther, 1983), et le huitième, Le fils de la Panthère Rose (Son of the Pink Panther, 1993, avec Roberto Benigni), n'y figurent pas. Ce n'est pas forcément une aberration puisque ce sont là des suites dans lesquelles nous ne pouvions pas retrouver, et pour cause, l'acteur principal de la série, Peter Sellers. Il faut noter, d'ailleurs, qu'elles n'ont, ni l'une ni l'autre, été distribuées en salles en France et qu'elles ont très mauvaise réputation (L'héritier de la Panthère Rose n'apparaissant même pas dans certaines filmographies de Blake Edwards). Beaucoup moins compréhensible, sauf à invoquer des problèmes de droits, est l'absence du troisième épisode, Le retour de la Panthère Rose (The return of the Pink Panther, 1975). Fort heureusement, le deuxième, Quand l'inspecteur s'emmêle (A shot in the dark, 1964) est présent... bien que, contrairement aux autres, ni son titre, ni son générique, ni son intrigue, ne mentionnent la Panthère Rose (le fameux animal dessiné qui devient en fait, dans les scénarios, un bijou). Se démarquant du premier mais imposant la plupart des thèmes comiques des suivants, cet opus est à la fois en dehors et en plein dedans. Vous suivez toujours ? Oui ? Alors je peux, afin d'être exhaustif, évoquer pour finir l'existence de L'infaillible Inspecteur Clouseau (Inspector Clouseau, 1968), un hors-série non signé par Edwards mais par Bud Yorkin et non interprété par Sellers mais par Alan Arkin, et celle des deux récents "remakes" ayant pour vedette Steve Martin (La Panthère Rose / The Pink Panther de Shawn Levy, 2006, et La Panthère Rose 2 / The Pink Panther 2 de Harald Zwart, 2009).
La Panthère Rose de 1963 est un mélange comique et plaisant, bien que parfois languissant, de burlesque, de policier et de romance. C'est en fait un véritable film choral qui montre une poignée d'escrocs internationaux de haut vol échaffauder tous les stratagèmes possibles destinés à dérober à une princesse orientale le plus beau bijou du monde, cela au nez et à la moustache d'un inspecteur de police français. Il est certain que Claudia Cardinale, en descendante de royale lignée skiant dans les Alpes, ne manque pas de charme mais son duo amoureux avec David Niven a tendance à traîner en longueur. Heureusement, le fil du récit subit à intervalles réguliers de salvatrices déflagrations dues à l'Inspecteur Jacques Clouseau. Portées par le génie burlesque de Peter Sellers, ces scènes se détachent nettement du reste. Quand il s'agit d'accompagner les gestes maladroitement destructeurs ou ridiculement emphatiques du personnage, d'orchestrer d'invraisemblables chassés-croisés dans une chambre d'hôtel (il s'agit de cacher deux amants au mari) ou d'organiser un délirant bal costumé dans un château, la mise en scène d'Edwards marche à merveille. Le ballet automobile final, réglé avec précision et dans un rythme parfaitement dosé, disqualifie toutes les productions franchouillardes à la Oury que l'on peut trouver à la même époque.
Quand l'inspecteur s'emmêle est, de loin, le meilleur film de la série, touchant au chef d'œuvre au même titre que The Party (1968), l'autre joyau du couple Edwards-Sellers. Le cinéaste ne garde de la première trame que le personnage de Clouseau. Celui-ci est chargé d'enquêter sur un meurtre commis dans la vaste demeure de Mr Ballon. La suspecte est la domestique Maria Gambrelli (Elke Sommer, à croquer), qui semble provoquer une mort violente dans chaque endroit où elle passe. Cependant, contre toute logique, Clouseau décide à chaque fois de la remettre en liberté, persuadé de son innocence. En simplifiant l'intrigue et en se concentrant sur la puissance comique de son acteur principal, Edwards réalise un ouvrage très cohérent, échappant aux ruptures de rythme qui handicapent les autres épisodes et provoquant l'hilarité d'un bout à l'autre (chaque séquence repose sur un ou deux gags qui fonctionnent idéalement). Peter Sellers est ici à son sommet, grandiose dans la maladresse, le geste avorté, raté, contrarié, et peut-être plus encore dans la réaction désinvolte ou d'une impeccable mauvaise foi. La scène de la confrontation dans le salon, organisée dans le but de démasquer l'assassin, atteint, grâce au travail de l'acteur, le burlesque le plus pur et rivalise dans l'invention corporelle avec l'extraordinaire final de Dr Folamour. Ajoutons que plusieurs figures imposées développées le long de la série trouvent leur origine ici : la folie du Commissaire Dreyfus, le supérieur de Clouseau, la séduction paradoxale qu'exerce ce dernier sur les belles femmes qu'il croise, son goût pour le travestissement et l'étrange contrat qui le lie à son serviteur Kato, chargé de l'attaquer à n'importe quel moment, de façon à l'aider à parfaire ses techniques de combat.
Quand la Panthère Rose s'emmêle est le plus référentiel du lot, le récit (et les génériques de début et de fin) étant parsemé de clins d'œil cinématographiques. La première moitié est assez éblouissante, qui retrace une irrésistible enquête londonienne de Clouseau. La reprise des motifs (l'armure, le pyjama, le kimono, les chambres) et des scènes-clés (réunion de suspects, flirts) s'accompagne de variations souvent brillantes. Peu à peu, toutefois, avec l'internationalisation de l'intrigue, les gags ont tendance à retomber et le virage effectué vers la parodie de science-fiction, avec machine à faire disparaître monuments et populations, n'est pas très heureux, ni en termes rythmiques, ni en termes esthétiques. Le grimaçant Herbert Lom, dans le rôle de Dreyfus, devient envahissant et le recours au déguisement devient la règle (Clouseau y recourait seulement en de brèves occasions dans le deuxième épisode et le voir guindé et satisfait dans son costume d'inspecteur était finalement beaucoup plus drôle). La farce s'alourdit donc, heureusement sauvée par la traversée impossible des douves du château par Clouseau et par son strip tease final.
La malédiction de la Panthère Rose faiblit de même à l'approche de son terme (une escapade cartoonesque à Hong Kong). Edwards et Sellers fatiguent quelque peu et les jeux sur le corps burlesque doivent ici beaucoup à Burt Kwouk (dans le rôle de Kato). Plusieurs passages réussis rendent le film encore appréciable (la rituelle et très longue scène d'entraînement-destruction, l'enquête du côté du port et du club privé, la remise de la médaille...).
A la recherche de la Panthère Rose est l'un des projets les plus singuliers qui soient. Réalisé deux ans après la mort de Peter Sellers, il fait pourtant apparaître amplement ce dernier à l'écran. Blake Edwards utilise en effet des scènes inédites résultant des précédents tournages, qu'il monte de façon à ce qu'elles s'intègrent à une nouvelle histoire de vol du diamant. Puis, il reprend quelques moments connus qu'il relie à une enquête menée auprès de plusieurs témoins par une journaliste, suite à l'annonce de la disparition en pleine mer de l'inspecteur. L'hommage du cinéaste à son acteur est touchant mais la construction du film est très faible. Les séquences exhumées se révèlent de bonne facture, ce qui rend le début agréable. Mais l'intérêt se dissout lorsque l'inévitable Dreyfus arrive au premier plan. Quand le troisième personnage principal débarque, en la personne de la journaliste, le récit n'avance plus, la jeune femme se contentant de récolter quelques souvenirs (on retrouve notamment David Niven endossant à nouveau, pour l'occasion, son rôle de Sir Charles créé pour le premier épisode). Ce patchwork, aussi sincère soit-il, ne fait malheureusement pas un film à part entière...
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Le gendarme et les extra-terrestres (Jean Girault / France / 1979) / □□□□ / Le gendarme et les gendarmettes (Jean Girault / France / 1982) / □□□□
Oscar (Edouard Molinaro / France / 1967) / □□□□
La Panthère Rose (The Pink Panther) (Blake Edwards / Etats-Unis / 1963) / ■■□□ / Quand l'inspecteur s'emmêle (A shot in the dark) (Blake Edwards / Etats-Unis - Grande-Bretagne / 1964) / ■■■■ / Quand la Panthère Rose s'emmêle (The Pink Panther strikes again) (Blake Edwards / Etats-Unis - Grande-Bretagne / 1975) / ■■□□ / La malédiction de la Panthère Rose (Revenge of the Pink Panther) (Blake Edwards / Etats-Unis - Grande-Bretagne / 1978) / ■■□□ / A la recherche de la Panthère Rose (Trail of the Pink Panther) (Blake Edwards / Etats-Unis - Grande-Bretagne / 1982) / ■□□□
Commentaires
Serais-tu allergique à notre bon De Funes national ?
Si je partage ton avis sur les deux derniers "gendarmes", assez atroces, douloureux même à voir le visage fatigué de Fufu, je te trouve bien dur avec "Oscar". C'est un film qui me fait toujours beaucoup rire, sans doute un de mes préférés avec l'acteur. Je crois être sensible aux adaptations de pièces comme "Pouic-pouic" et "Jo" où il donne toute sa mesure, surtout quand il est en compagnie de la sublime Claude Gensac, sa Margareth Dumont à lui. J'ai aussi un faible pour Claude Rich, ici comme ailleurs et je trouve la mise en scène de Molinaro intelligente et inventive (le décor, le respect de l'unité de lieu). OK, c'est pas Lubitsch, mais c'est nettement au dessus de Girault.
D'autant que je te trouve indulgent avec les dernières "Panthères". A la sortie du coffret, je me les étaient toutes regardées. Je partage ton avis sur le premier film, cas très curieux d'un film bouffé par un personnage secondaire. Il a un peu vieillit. "A shot in the dark" est effectivement hors série puisqu'il est adapté d'une pièce (tiens) et c'est très bon. par contre les trois suivants ne tiennent que grâce à Sellers et sur la reprise de gags déjà rodés (les bagarres avec Kato, la façon de parler, le commissaire). Celui que j'adore, c'est celui qui n'est pas dans le coffret, "Le retour...", plus équilibré, très drôle (la scène de l'aspirateur et du perroquet). Edwards parfois génial n'a cessé de s'accrocher au succès de ces films tout en baissant régulièrement le niveau de ses mise en scènes.
Non, pas vraiment allergique à De Funès... Je trouve que c'est lui qui sauve ce qui peut l'être du Corniaud, qu'il est très bon dans La grande vadrouille. Et puis j'aime bien Jo et je me demande si ce n'est pas celui que je préfère dans le lot. Pourtant, il est signé Girault, je crois... Dans Oscar, Molinaro en rajoute, il me semble, jusqu'à faire naître un mal de crâne. Dans Jo, Girault "laisse faire", et c'est très bien comme ça : intrigue amusante, duo savoureux De Funès/Blier, jeu sur le genre policier, tentation de l'absurde... Ce n'est bien sûr pas génial, loin de là, mais ça fonctionne.
Les Panthères, je suis indulgent avec celles des années 70 car, à l'occasion de cette 2éme visite, assez peu de temps après la 1ère, j'y ai encore pris un certain plaisir (même à celui que je redoutais un peu de revoir, "La malédiction..."), malgré d'évidentes limites et un essouflement indéniable. La mise en scène devient moins élégante, les gags plus grossiers, plus faciles, mais des éclairs subsistent...
Sinon, tu me fais regretter encore plus de ne pas connaître "Le retour...". Et enfin, je signale que les maladresses de Clouseau, ses combats avec Kato etc., ça a marché à fond auprès du fiston (comme les colères de De Funès, d'ailleurs).
Cela dit, cher Vincent, je crains que nous ne nous livrions ici qu'à des enfantillages (certes pas inutiles) comparés au débat qui risque de se déclencher entre nous d'ici quelques temps... En effet, j'ai vu hier soir Poetry et... bon, je laisse planer le suspense :-)
J'aime bien Rich dans Oscar aussi, et je trouve De Funès très drôle mais parfois, c'est vrai, c'est un peu fatigant. Pour la jeune fille qui se met à hurler, on a envie de la tuer, c'est bien normal, mais justement c'est assez marrant de voir De Funès le papa impatient qui crie, hurle et gémit n'en plus pouvoir parce que sa fille se met à chouiner.
C'est quand même un peu dur pour Oscar qui me semble, malgré ses évidentes limites, avoir quelques qualités comiques et qu'on ne peut quand même pas mettre au même niveau des sinistres deux derniers épisodes du Gendarme... Sinon, généralement, de Funès me fait rire mais essentiellement au début de sa carrière quand il n'est pas encore trop connu (d'ailleurs, plus qu'à la série des Gendarme, on pourrait comparer celle des Panthère aux Fantomas, puisque le personnage de de Funès vole, dans le premier, la vedette aux autres personnages - alors qu'il n'était initialement qu'un second rôle ; dans les deux suivants, il sera incontestablement la vedette. Les Fantomas sont d'ailleurs, à mon avis, extrêmement mauvais mais de Funès apporte quelques bons moments malheureusement bien trop rares).
Concernant les Panthère, je suis tout-à-fait d'accord et il me semble que le deuxième (qui est donc un vrai/faux épisode de la série) est le meilleur et même un chef d'œuvre comique du niveau de la Party.
Sinon, j'en resterai, pour ma part, aux "enfantillages" car point de Poetry dans ma bourgade...
Au niveau des enfantillages, il semble se dessiner un consensus :) Ceci dit, oui, Ed, ma fille aussi aime beaucoup ce genre de films, ou plus exactement ce genre de scènes dans ce genre de films. Ca fait partie de notre éducation, après tout. C'est curieux parce que "Jo",que j'aime beaucoup, me semble assez proche dans son fonctionnement qu'"Oscar" (pièce adaptée, unité de lieu, quiproquos avec cadavre à la place de la mallette, seconds rôles typés).
Plus généralement, je trouve intéressant de se pencher sur ces mises en scènes (avec leurs limites comme dit Ran), sur des films qui sont trop souvent mis de côté pour de mauvaises raisons (cinéma populaire et à succès, multidiffusé à la télé), parfois par rejet politique (je suis d'accord que le discours peut être déplaisant, la vision des jeunes entre autres, la quasi absence des dimensions satiriques que pouvait avoir la comédie italienne).
J'ai lu il y a peu sur "l'alligatographe" une approche différente des films de la série "La 7e Compagnie" que nous connaissons bien et j'avoue y avoir été sensible.
Bon, donc je t'attends sur "Poetry", de pied d'autant plus ferme que je sais avoir des alliés :)
On peut apprécier "Jo" pour des raisons politiques. En effet, la dernière fois que j'ai eu l'occasion de le voir, c'était le soir du second tour des élections présidentielles et, franchement, vu l'actualité du jour, j'étais assez content que ce film soit rediffusé...
Mais je ne pense pas que c'était ce à quoi pensait Vincent.
Allez Vincent, concoctes-nous une petite série de notes sur T. Hill et B. Spencer... :)
Bon, même dans ce cadre "familial", je n'irai pas jusqu'à la série de la "7e compagnie"... Et celle des "Fantômas" n'est pas ma priorité non plus. N'en gardant pas un souvenir impérissable, je pense que je vais patienter le temps qu'il faut pour attaquer directement par la version Feuillade...