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Christophe Colomb, l'énigme

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Après avoir été assidu durant toutes les années 90, je suis devenu depuis dix ans, et pour des raisons essentiellement pratiques, très infidèle au cinéma de Manoel de Oliveira (ma dernière expérience remontait au Principe de l'incertitude). Je ne sais trop si cela est dû à la longueur de cette parenthèse, mais j'ai ressenti une étrange sensation devant ce Christophe Colomb, l'énigme. La sensation que l'on me montrait non pas la découverte d'un nouveau monde, comme pourrait le faire croire le titre, mais au contraire, tout un tas de choses sur le point de disparaître. Plus encore, le film s'évertue à se construire sur une série d'absences, de refus, d'impossibilités. De l'insertion de vieilles vues documentaires en noir et blanc pour visualiser le port de Lisbonne aux cadrages des personnages déambulant dans la ville en contre-plongées accentuées (de manière à ce que nous ne voyons derrière eux que le haut des différents bâtiments), la mise en scène affirme d'emblée la vanité de toute tentative de reconstitution d'un passé de toute façon impossible à retrouver. De très belle manière, dans ce même but, Oliveira filmera l'arrivée de deux émigrés portugais à New York en 1946 dans un brouillard épais qui empêche d'embrasser du regard les éléments de reconnaissance tels que la Statue de la Liberté ou les buildings de Manhattan. Devant ces images, nous en venons à nous demander si ce n'est pas la fin de son propre cinéma qu'Oliveira est en train d'essayer de fixer sur pellicule. Mais ce n'est pas tout, le scénario lui-même redouble ce manque. L'enquête historique qui prend forme peu à peu se heurte constamment à l'absence de traces, au silence étonné des interlocuteurs. Décidément, l'appartenance de Christophe Colomb à la terre portugaise est une thèse bien difficile à soutenir. Et finalement, aucune preuve ne sera réellement avancée, nous laissant, chose rare au cinéma, aux côtés d'un chercheur qui n'aura eu que sa foi à mettre en avant.

Bien évidemment, il y a quelque malice à entretenir ainsi ce faux mystère. Cette malice préserve ce film triste du lugubre. Elle est perceptible en plusieurs endroits : dès que l'on a connaissance de l'argument-supercherie de départ, lorsque le cinéaste laisse s'exprimer le bonheur conjugal d'un jeune couple fraîchement marié de manière un peu trop vive pour ne pas laisser poindre une touche d'ironie ou quand on voit Oliveira se mettre en scène lui-même dans la seconde partie du film.

Je viens de parler de faux mystère. Cela ne concerne que cette idée d'un Christophe Colomb qui aurait en fait été citoyen portugais. Le film, lui, est réellement énigmatique, par sa construction d'ensemble (deux parties séparées et très différentes), ainsi que par plusieurs détails (comme la présence dans de nombreux plans d'une jeune femme muette et invisible aux autres, allégorie de l'âme et de l'histoire portugaises). Les ellipses déroutent et les transitions sont souvent étranges, se faisant par le chevauchement d'un plan sur l'autre par la musique ou le dialogue (qui se poursuivent malgré le décalage provoqué par le changement d'espace). Ailleurs, comme je l'ai évoqué plus haut, c'est le brouillard qui fait tenir les plans entre eux.

Le récit est scindé en deux parties. En un clin d'œil, un champ-contrechamp sur deux rives de l'Atlantique enjambe l'Océan et quarante sept années d'existence. Seulement, l'écart ainsi créé est à mon sens trop grand. Trop de distance entre les âges, entre les comédiens (Oliveira et sa femme eux-mêmes succédant à Leonor Baldaque et Ricardo Trêpa), entre la sensation du passé et celle du présent (qui se distingue d'abord par l'agression sonore). Cette seconde partie est muséale, bavarde, touristique, très faible en regard de la première, souvent d'une grande beauté. Certes, Oliveira ne dévie absolument pas de sa ligne narrative, intègre en quelque sorte à son discours cette dépréciation, et ponctue son œuvre sur une jolie évocation de la saudade. Cela ne m'empêche pas de regretter ce fléchissement final très marqué.

 

Un autre point de vue à lire chez Eeguab.

 

colombenigme00.jpgCHRISTOPHE COLOMB, L'ÉNIGME (Cristovao Colombo, o enigma)

de Manoel de Oliveira

(Portugal - France / 75 mn / 2007)

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