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Black swan

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Black swan, c'est avant tout un mélange improbable entre le documentaire sur le ballet et le thriller fantastique, la rencontre, pourrait-on dire, entre Frederick Wiseman et Roman Polanski. Rarement, me semble-t-il, l'exercice de la danse aura été montré de manière aussi juste dans une fiction. Le travail, la répétition sans fin des mêmes gestes, toujours plus épurés, l'illustration de l'axiome "danser, c'est souffrir" (et craindre le vieillissement), la hiérarchie s'établissant entre les danseuses : tout cela est fidèlement représenté. La réussite du projet, vu sous cet angle-là, nécessitait une mise en scène précise et équilibrée. Elle l'est (à quelques effets superflus près, péché mignon d'Aronofsky, j'y reviendrai), le cinéaste laissant les séquences s'installer dans des durées suffisantes. Le concours d'une véritable actrice-danseuse était également indispensable, sous peine de voir l'édifice s'effondrer à force de tricheries visuelles. Natalie Portman excelle dans les deux registres.

A ces côtés, se tient Vincent Cassel (pas mal du tout), héritant du rôle du directeur du ballet et prenant ainsi en charge l'archétype hollywoodien de l'étranger-pygmalion troublant, manipulateur et (faussement) démiurge. Ce sont souvent ses apparitions qui provoquent les soubresauts nous faisant passer du documentaire à la fiction. Cette alternance entre les deux registres se fait de manière habile, continue, et agréable, en particulier par rapport à la gestion du rythme général.

Le film se révèle en fait assez passionnant car on sent qu'il manque à tout moment de dérailler. Mais la forme de Black swan sied très bien à son thème, à l'idée même de ballet. Les heurts, les coups au cœur, les sursauts répercutent cinématographiquement les syncopes de la musique, les explosions gestuelles de la danseuse, les excès et l'irréalité du spectacle de danse.

Le passage par le prisme du genre, celui du thriller donc, et l'illustration d'une trajectoire somme toute prévisible (dans sa globalité, non dans ses détails) permet de faire l'économie de lourdeurs psychologisantes. Ce versant-là du film tire notamment sa force du strict respect du point de vue qu'il s'impose, celui du personnage principal, Aronofsky ayant parfaitement retenu cette leçon polanskienne. Puisque nous voyons le monde avec les yeux de Nina, il devient logique (et assez jubilatoire) que celui-ci n'existe plus au-delà la danse et, plus précisément, de ce ballet de Tchaïkovsky qui imprégnerait tout et ferait le vide autour. Ainsi, la jeune femme se retrouve-t-elle à arpenter un hôpital bien peu animé, à monter dans un taxi dont on ne voit jamais le chauffeur, à se faire applaudir lors d'une réception par une foule d'invités dont seuls deux visages se détachent réellement, à connaître un triomphe sur la scène new yorkaise devant un public dans lequel on ne distingue clairement que sa mère... Avec Nina, à qui Natalie Portman donne mille visages (elle semble en changer d'une séquence à l'autre), nous nous aperçevons rapidement que les miroirs nous trompent, qu'ils font mine d'ouvrir l'espace alors qu'ils ne font qu'oppresser, qu'ils renvoient sans cesse des images que l'on ne veut pas voir (impressionnante scène du vieux pervers dans le métro, avec ce reflet que la vitre semble imposer à Nina qui détourne son regard).

Bien sûr, des miroirs, il y en a quelques uns en trop dans Black swan, comme par exemple celui qui, à sa jointure, scinde le portrait du directeur Thomas au moment même où celui-ci explique la dualité de la femme-cygne dans l'œuvre de Tchaïkovsky. Darren Aronofsky ne peut apparemment pas résister à ce type d'effet, presque subliminal parfois. Mais eu égard à l'énergie et à l'efficacité de son film, je lui pardonne aisément ses débordements stylistiques et si, finalement, il ne donne peut-être pas l'impression de creuser très profond, Black swan se pose en héritier parfaitement crédible des fabuleux Chaussons rouges de Powell et Pressburger.

 

Pour un avis radicalement opposé.

 

blackswan00.jpgBLACK SWAN

de Darren Aronofsky

(Etats-Unis / 108 mn / 2010)

Commentaires

  • Bon, j'en sors, passablement énervé, et je me suis fendu d'une note à chaud. Pas tout à fait de ton avis, quoi :)

  • Pour la peine, je te mets en lien moi aussi. ;-)

  • Aronofsky souligne ses idées à gros traits et nos commentaires se rencontrent tous, à quelques références près, en un même faisceau d'arguments.

    Le cinéaste use d'une mise en scène toute baroque, parfois magnifique, mais se frottant à des topoi, son travail ne parvient pas à tous nous les faire oublier pour autant.

  • Oui, assurément, Benjamin, le film ne va pas si loin que ça (mais cela n'empêche nullement d'y prendre plaisir). Nos diverses notes, dithyrambiques, bonnes, réticentes ou mauvaises, se ressemblent finalement beaucoup (impossible d'en écrire une sans utiliser le mot "miroir" par exemple). Nous y voyons tous les mêmes choses, la différence est que nous ne les replaçons pas ensuite au même niveau (par rapport à notre attente, à l'inscription dans le genre etc...).

  • Tout d'accord.

    Un film malade ! étais-je tenter d'écrire, mais là encore l'expression a été quelque peu galvaudée :p

  • Je pense que les lourdeurs "signifiantes" du film sont compensées par une mise en scène vraiment captivante (Aronofsky a quand même beaucoup de talent pour nous plonger directement dans le bain, avec cette séquence que je trouve très belle où Nina voit son double - je n'arrive pas à savoir si c'est vraiment elle où Beth, celle à qui elle va succéder).
    J'aime aussi beaucoup son côté "film de genre" qui l'empêche justement d'être un film "sur la danse" avec ce que cela suppose de raffinement. L'œuvre est "mal élevée" et ça me plait beaucoup ! (en un mot : nous sommes d'accord :))

  • Mal élevé comme le vieux crado dans le métro avec Nina ! C'est aussi vrai que le film comporte quelques images fortes.

  • Très chouette critique. Je partage ton opinion et ta vision du film sur bien des points.

  • Benjamin : Disons alors un film fiévreux...

    Doc : Moi aussi, Black swan m'a accroché parce qu'il est, avant tout, un "film de genre". Et je ne pense pas qu'il faille le prendre si au sérieux que cela, qu'il faille lui demander plus.

    féfé : Merci. J'ai découvert votre blog (puisqu'il faut parler au pluriel, je crois) il y a quelques jours de cela et j'ai osé le mettre en lien sur ma colonne de droite...

  • Merci à toi Edouard, nous sommes flattés d'être présent sur ton blog, et nous allons faire de même de notre côté. :)

  • "Le film se révèle en fait assez passionnant car on sent qu'il manque à tout moment de dérailler". Ah oui, c'est bien vu. Justement je cherchais la raison du plaisir que l'on prend à voir ce film qui fait dans la surenchère à tel point qu'un spectateur un peu averti pourra légitimement trouver le film boursouflé.

  • féfé : Oh, de rien... C'est que "Il a osé" m'a tapé dans l'oeil, et pas seulement par sa bannière... C'est tout de même mieux de fonctionner ainsi que d'envoyer par mail, comme certains peuvent le faire, des demandes quasi-administratives de "partenariats entre blogs destinés à élargir notre réseau"...

    nolan : Voilà, c'était simplement ça... :) (je file lire ta note).

  • Eh, les gars : révisez vos films de genre. Argento, De Palma, Kubrick, Cronenberg, etc. Comparons ce qui est comparable : DA a les mêmes qualités et défauts que Noé, du style mais enrobé de fariboles, de clinquant, d'artifices.
    La psychologie à deux balles du film l'a malheureusement complètement desservi. Ce long développement sursignifiant sur la frigidité, le rapport mère-fille, pffffffffffffff........ LOURD RELOURD ET RERELOURD GROS BALOURD.

  • J'ai trouvé Black Swan très bien filmé, il ne faut pas chercher la réalité du monde de la danse, c'est absurde. C'est un film de fiction, il fallait se laisser entrainer dès le début par le rêve que fait la jeune femme, une rêve où tout concourt à nous montrer le malaise qui réside en elle. Et c'est sur ce malaise que le spectateur est attrapé, non sur la véracité du monde de la danse. Bien sûr, une danseuse ne peut devenir du jour au lendemain une danseuse étoile, elle ne peut sortir en boite la veille de la première etc. de même que les peintures dans la chambre de la mère ne peuvent pas se mettre à gigoter toutes seules, à s'animer. Il faut accepter les conventions du film, et tenter de saisir le propos du réalisateur. Ce n'est pas un film sur un ballet, c'est un film sur la folie. Le son, les halètements qui collent à la caméra en mouvement, cela participe de cette folie, le spectateur est progressivement placé en tension, parce qu'il s'enfonce avec la protagoniste dans quelque chose d'obscur. Remarquons bien que tout ce qui concerne le ballet, les scènes de danse, de répétition, il n'y a rien de très beau ni d'intéressant. Ce que nous suivons, c'est le chemin d'un personnage jusqu'à son terme. On pourrait penser que le personnage justement est mal construit, qu'il n'a pas corps, qu'il est insignifiant. C'est justement cela qui fait sens dans le film, un être qui n'a d'autre consistance que son rapport à la contrainte, entraînements et maman. La folie s'impose d'elle-même... En revanche, dans les quelques scènes où le cygne noir commence à s'approcher et qu'elle est inquiète, très inquiète, elle essaie de résister, elle est assez convaincante à ce moment, et il me semble que ces scènes sont un peu plus soutenues en terme d'esthétique picturale.
    J'ai adoré ce film, pas pour la danse, mais pour la manière de filmer du réalisateur, son propos. Voilà...
    ps : vincent cassel est à la limite du ridicule, y'a erreur de casting, non?

  • Julien : Je n'ai pas révisé mon Argento ni mon DePalma avant d'aller voir Black swan mais je t'avoue, au risque de te voir t'étouffer, que mes lointains souvenirs de Suspiria, d'Inferno, de Phantom of the Paradise, de Carrie ne sont pas aussi bons que cela, sans même parler des très médiocres Furie ou Pulsions...
    Ton rapprochement avec Noé n'est pas mal vu (même sans penser à Vincent Cassel) mais je crois que le français est capable d'aller beaucoup plus loin que l'américain (cela dit, comme je l'ai précisé, je ne connais pas assez bien l'oeuvre d'Aronofsky). Revers de la médaille : avec lui (Noé), c'est tout ou rien (en tout cas pour ma part).

    hipazia : Merci pour ce commentaire détaillé.
    Quand j'écris Wiseman rencontre Polanski, c'est surtout une formule... Bien sûr, Black swan n'est pas un documentaire sur la danse (mais c'est un vrai thriller). Toutefois, passée la saisissante introduction rêvée, il faut bien tout de même que le récit repose sur une base concrète, sur un arrière plan crédible, même si c'est pour, progressivement, le déformer ou le "réduire" à la taille du cerveau de l'héroïne.
    Quant à V. Cassel, sa composition ne m'a pas gêné, je l'ai prise comme un "élément du genre". Pourtant, je suis loin d'être un fan de cet acteur (insupportable, par exemple, dans le film de Noé).

  • Carrie et Suspiria sont non seulement des chefs-d'œuvre de genre, mais ils figurent également dans ma liste des 100 favoris de tous les temps. Je ne m'étouffe pas, ça me démontre juste que tes goûts en la matière ne sont pas très sûrs :) Encenser Black Swan et descendre Carrie et Suspiria, voilà qui suffit à te discréditer en une seule phrase devant tous les amateurs de fantastique-horreur.
    Phantom of The Paradise : chef-d'œuvre kitsch et baroque : intouchable (mais pas le même genre que précédemment).
    Pulsions médiocre ??? Hé ben dis-moi, je crois qu'en un seul commentaire tu parviens à entrer en désaccord avec moi plus que sur l'ensemble des années où je te suis. Chapeau ! :)

  • Je suis tout à fait prêt à me repencher sur Argento (que je connais mal). Les rééditions récentes en dvd m'ont notamment donné l'envie.

    Mais De Palma, non. Si mon commentaire provocateur te surprend autant, c'est que tu as dû rater quelques prises de becs (assez régulières) autour de DePalma entre le Dr Orlof et moi (et Vincent). De Palma m'énerve presque une fois sur deux (mais j'aime aussi beaucoup certains de ses films : Obsession, Scarface, L'impasse, Snake eyes, Le dahlia noir).
    J'avoue avoir mal tourné ma phrase : je ne déteste pas Carrie, ni Phantom (ni Suspiria). C'est juste que je les trouve "pas mal" (disons : deux étoiles :-)).
    Je ne les "descends" donc pas, pas plus que j'encense Black swan film qui a suscité ailleurs sur le net des éloges bien plus prononcés. Je tente seulement de traduire le plaisir que j'y ai pris, sans le désigner comme un chef d'oeuvre.
    En revanche, oui, Furie, Pulsions, et Body double, tant que j'y suis, et Redacted, pour être complet, me sont tombés des yeux lorsque je les ai découvert.

    PS : Je ne pense pas, de toute façon, que Nightswimming soit le lieu préféré des amateurs de fantastique-horreur... :)

  • Au risque d'horrifier Julien un peu plus, je ne suis pas si éloigné de la position d'Edouard que cela sur De Palma. C'est peut être une question d'âge ou de période, mais autant j'avais été impressionné par "Body Double" à sa sortie, autant quand je l'ai revu, j'ai surtout vu les grosses ficelles. Quand à la découverte peut être trop tardive de "Pulsion", ça a été un fiasco total. Bon, rien que les cinq titres que tu cites, Ed, me suffisent pour en faire un réalisateur d'un certain calibre (pour ne pas écrire un calibre certain).

  • Ed : tous les De Palma que tu cites sont, pou moi, mineurs. Quand au reste, je crois que tu n'aimes tout simplement pas le genre horreur-fantastique (ça arrive, pour moi c'est les comédies musicales).
    Vincent : Body Double ? Un des plus mauvais De Palma, assurément !
    De Palma c'est CARRIE, chef-d'œuvre du genre fantastique-horreur, chef-d'œuvre absolu. Je le considère au même titre que HALLOWEEN, SHINING et TEXAS CHAINSAW MASSACRE.
    Il y a un autre chef-d'œuvre baroque, avec son univers kitsch et singulier : PHANTOM OF THE PARADISE, qui revisite le mythe de Faust et celui du fantôme de l'opéra sur une bande son pop-guimauve. Voilà un film original et qui nous sort un peu des sentiers battus.
    De Palma c'est, enfin, PULSIONS et L'ESPRIT DE CAIN, plus mineurs que les deux météores précédents mais tout aussi savoureux.

  • Quel dommage, The Wrestler m'avait réconcilié avec Darren, mais ce Black Swan... Assez brillant, mais beaucoup de toc. La psychologie n'y est est là que pour elle-même, elle fait doublement écran sur ce qui faisait le charme de The Wrestler: rien en-deça du psychologique (plus rien de physique qui ne soit plastique, modifiable à volonté) et rien non plus au-delà (cette dérisoire "quête de la perfection...). Ca donne quelque chose de virtuel, et souvent inconsistant.

    Non, pas convaincu.

  • Vincent : Je pourrai dire exactement la même chose que toi en remplaçant "Body double" par "Les incorruptibles".
    Et nous sommes d'accord, malgré ce que je considère comme ses ratages, sur le calibre du cinéaste.

    Julien : J'aimerai bien un jour me faire une idée sur "L'esprit de Cain", le "grand film malade" de DePalma semble-t-il...
    Sinon, je ne me considère en effet aucunement comme un "amateur d'horreur". D'ailleurs, ma cinéphilie personnelle ne s'est jamais vraiment constituée par rapport aux genres quels qu'ils soient.

    T.G. : Ce "Black swan" est décidément très "clivant" : personnellement, la psychologie à l'œuvre ici m'a moins gêné que dans la dernière partie de "The wrestler" (que j'avais cependant apprécié).

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