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Hugo Cabret

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à Melvil(iès)

Si Hugo Cabret, c'est l'art de Méliès et l'aventure du muet racontés aux enfants, ce n'est pas pour autant "le cinématographe pour les nuls". Martin Scorsese n'a pas choisi de prendre la voie du biopic mais le chemin détourné que lui ouvrait le roman jeunesse de Brian Seznick, L'invention de Hugo Cabret. Avant d'aborder le thème de l'amour du cinéma et de célébrer l'un des artisans les plus importants de son histoire, tout le soin est apporté, longtemps, à la construction d'un monde et à l'incarnation de personnages.

Ce monde (qui n'est qu'un "rêve" de Paris) a une cohérence totale, la marque la plus évidente de celle-ci étant l'omniprésence de la mécanique. Rouages, engrenages, horloges, automates, membres artificiels envahissent l'écran au point qu'ils semblent devenir le moteur du film lui-même, faire fonctionner non seulement le décor mais tout ce qui permet au récit de tenir et d'avancer. Toutefois, grâce à la fluidité de la mise en scène, nous n'avons pas à regarder là uniquement des machines. La gare parisienne dans laquelle vit clandestinement le jeune Hugo Cabret est une gare-cerveau. Le sien bien sûr : le prologue nous présentant l'endroit de son point de vue est suffisamment clair à ce propos (le point de départ étant plus élevé que les hauteurs auxquelles accèdent Hugo, ce point de vue c'est aussi, évidemment, celui du cinéaste et il est peu aventureux d'avancer que Martin est Hugo). Tous ces mécanismes qui se mettent en marche c'est donc tout à la fois le cerveau qui travaille, la fabrique des rêves en activité, le temps qui passe et qui est compté, le projecteur de cinéma qui est actionné... C'est alors très logiquement que Hugo va se "cauchemarder", à un moment donné, en automate, et il est probable, même si cela n'est pas évoqué, que ce garçon deviendra un jour cinéaste.

Martin Scorsese parvient à décrire une mécanique sans appauvrir ni rabaisser. Qu'il y ait un truc dans le tour du prestidigitateur, qu'il y ait un trucage au moment du tournage, tout le monde le sait maintenant (contrairement, sans doute, à la majorité des premiers specateurs) et pourtant la magie subsiste. Passer derrière l'écran pour voir la machinerie n'empêche pas de rêver. Cela aiderait même à continuer à vivre, surtout si l'on fait l'effort de réparer ces outils de production d'illusion. La possibilité de maintenir cet état, Scorsese y croit dur comme fer. Il croit au pouvoir de la caméra qui part du ciel parisien pour descendre à toute vitesse et aller attraper le regard perçant du petit Hugo derrière son horloge. Il croit aux émotions simples et à la création d'un "méchant" réussi (épatant Sacha Baron Cohen).

Mais évidemment, des choses peuvent rester cassées et on ne peut pas tout réparer. Le père disparu ne peut pas revenir. Le tristesse de l'orphelin s'étend en fait au film entier. Le vieux Méliès, brisé par la guerre, est lui aussi orphelin mais de son public. Le chef de la sécurité n'y coupe pas non plus. "Une famille, ça ne sert à rien !" lâche-t-il. Il lui manque de la même façon une jambe valide et une amoureuse. L'euphorie de la 3D (fort bien utilisée à travers les multiples écrans qui se font entre les personnages et nous) ne rend pas aveugle : on s'inquiète surtout ici de la vieillesse, de la mort et de la fin d'un art. La lutte est constante. Il est assez significatif que pour cette ode au cinéma, Scorsese ait choisi de parler d'un artiste dans l'impasse, presque totalement oublié. Il part, en quelque sorte, d'un échec.

Méliès, pour le public d'aujourd'hui (qu'il soit américain ou français), ce n'est pas Chaplin. Scorsese a donc, déjà, l'immense mérite d'éclairer une œuvre qui reste peu vue. Et de dire également que Méliès, ce n'est pas seulement Le voyage dans la lune. En fait, sont glissés dans la dernière partie du film deux passages pédagogiques, l'un sur l'invention et la première histoire du cinéma, l'autre sur la carrière de Méliès. Deux passages ralentisseurs mais nécessaires et intégrés avec aplomb, "tels quels", au récit, et qui parviennent en outre à être à la fois généralistes et subjectifs.

Plusieurs autres caractéristiques démontrent que Scorsese n'a nullement choisi la facilité. Le long prologue d'Hugo Cabret est pratiquement sans dialogue et les enjeux dramatiques se mettent en place très progressivement. Quant à la seule grande scène d'action, elle se niche dans un cauchemar et n'est reprise qu'en mineur sur la fin, renvoyant habilement à la dimension spectaculaire du cinéma, présente dès son invention, dès l'arrivée du train en gare de la Ciotat. Si Hugo et son amie courent souvent, ils prennent aussi très régulièrement le temps de s'arrêter. Pour pleurer parfois. On pleure pas mal dans ce film, comme dans beaucoup de contes, de romans populaires et de récits initiatiques. Mais comme le dit Isabelle à Hugo, ce n'est pas grave de pleurer. Hugo Cabret (le premier grand film "déceptif" pour enfants ?) apprend aussi que le cinéma, ce n'est pas seulement fait pour en prendre plein la vue.

Généralement bien accueilli, Hugo Cabret ne plaît cependant pas à tout le monde, ce que l'on ne saurait, évidemment, regretter. Il est tout à fait possible de discuter de l'esthétique générale et des partis-pris narratifs de cette œuvre scorsesienne. En revanche, se plaindre de son aspect œcuménique, de l'absence de débordements baroques (voire de violence ?!?) et s'affliger que le cinéaste n'ait pas fait autre chose de ce sujet, n'ait pas filmé Méliès comme Jack LaMotta ou Travis Bickle, c'est se méprendre totalement sur ses visées. Enfin, repousser l'hommage sous le seul prétexte du didactisme (et passer ainsi sous silence son originalité et sa ferveur), c'est s'enfermer à nouveau dans sa tour d'ivoire, plus poussiéreuse que ne l'est, prétendument, ce film, et c'est laisser le cinéma disparaître dans quelques années avec ses derniers spectateurs, nous.

 

hugocabret00.jpgHUGO CABRET (Hugo)

de Martin Scorsese

(Etats-Unis / 127 min / 2011)

Commentaires

  • Tu files presque envie de s'y frotter. Envie que je n'avais pas DU TOUT avant de te lire.

  • Absolument d'accord avec ton dernier paragraphe. J'ai quelques réserves sur le dernier Scorsese mais j'aime beaucoup tout ce qui concerne la transmission et son hommage au cinéma des premiers temps.
    En fait, ce qui m'a le plus gêné dans le film, c'est la 3D qui permet au cinéaste de créer un véritable univers (le décor est magnifique) mais qui, à mon sens, rend inexistants les personnages. Je n'aime pas beaucoup les scènes entre les deux gamins et j'ai du mal à croire à de véritables êtres de chair et de sang. Pour moi, la 3D rend les acteurs "artificiels" et les font ressembler à des images de synthèse...

  • Pour la 3D, peut-être est-ce un problème de manque d'habitude de ta part... :)
    Plus sérieusement, je ne l'ai pas ressenti comme une gêne. La vision des personnages est plus "haute en couleur", plus irréelle sans doute, mais il me semble que cela va bien avec le sujet et le cadre de l'action (l'aspect "mental" dont je parle). Personnellement, j'ai pris plaisir à voir la prestation de Baron Cohen et les deux gamins, sobres et justes, m'ont convaincu (malgré la VF, qui n'est, comme tu le dis chez toi, pas terrible, surtout en ce qui les concerne).

  • Il y avait ce soir là, le choix entre mission impossible et Hugo Capret en compagnie des cousins. Je me suis retrouvée seule avec Maël devant ce film, que j'ai trouvé magnifique. Il a plu autant à Maël qu'à moi. Nous avons tous les deux bien pleurés. Je pense que Maël a été touché surtout par l'histoire du personnage d'Hugo et n'a montré à aucun moment des signes d'impatience devant des scènes sans action mais intenses en émotion.

  • Que le film marche auprès des gamins, voilà une bonne chose, me semble-t-il.

    PS : Mission Impossible, personnellement, je n'ai rien contre mais encore faudrait-il que j'ai vu les 3 premiers pour me risquer à celui-là.

  • J'en sors avec ma fille, je confirme, elle a beaucoup aimé, complètement fascinée pas les films de Mélies (je lui avais déjà montré quelques courts).
    De mon côté, je vais être en porte-à-faux avec ce bon Docteur car c'est la première fois que je trouve la 3D intéressante et, comme toi, j'ai beaucoup aimé les enfants. C'est peut être le retour forcé aux VF (ma fille ne maîtrise pas encore les sous-titres !) mais je commence à m'y faire :)

  • Avoir vu quelques Méliès avant (ce que j'avais proposé à mon fils il y a un an de cela) doit accroître leur plaisir devant ce Scorsese, certainement...

    Quant à la 3D, je l'ai, moi aussi, trouvé appropriée mais je crois que mon fils, lui... s'en fout complètement et ne fait pas vraiment de différence entre les deux. :)

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