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Projet initié par un groupe de personnes proches de l'ACRIMED, Les nouveaux chiens de garde est le prolongement cinématographique du livre du même nom publié en 1997 par Serge Halimi (et qui renvoyait lui-même à l'essai de Paul Nizan, Les chiens de garde, 1932). Quinze ans après, une réactualisation a dû être opérée mais rien n'a véritablement changé dans ce monde des médias dominants, cible de ce pamphlet. Au contraire, le constat est sous doute plus désespérant encore.
Le film expose et dénonce les ahurissantes relations incestueuses existant entre les stars du journalisme, les experts économiques les plus exposés, les hommes politiques au pouvoir et les patrons de grands groupes industriels. Il questionne successivement trois valeurs constamment brandies par ces gens-là qui rient bruyamment des époques précédentes où, rendez-vous compte !, "il y avait un ministre de l'information" : le pluralisme, l'objectivité et l'indépendance. La première serait assurée par la multiplication des supports d'information. Or c'est bien l'uniformité de la parole qui caractérise nos grands médias, les mêmes personnalités s'échangeant à chaque inter-saison les postes de direction et d'animation des titres de presse, des chaînes et des stations de radio. La seconde est l'un des fondements du journalisme et de la recherche. Comment soutenir qu'elle a permis le glissement vers une information cannibalisée par les faits divers et le thème de l'insécurité ? qu'elle guide les expertises de fameux économistes cathodiques louant jusqu'au plus fort de la crise les mérites du libéralisme ? La troisième est la valeur absolue. Mais qu'elle soit revendiquée par des animateurs invitant consciencieusement leurs propres patrons dans leurs émissions, par des journalistes accumulant les prestations commerciales hautement tarifées (les "ménages" pour telle ou telle entreprise) ou par des experts-chercheurs du CNRS jamais présentés comme les administrateurs de grands groupes qu'ils sont aussi, cela est particulièrement dégoûtant.
Gilles Balbastre et Yannick Kergoat frappent fort et juste. Ils avancent les noms, montrent les documents et les chiffres. Ils tendent quelques pièges et usent de l'arme du montage. "Procédés fallacieux", "amalgames", "manque de nuance" et "absence de contradiction" ont tôt fait de dénoncer certains pantins ici attaqués, tel l'impayable Laurent Joffrin. Pour eux, il est certes plus confortable d'applaudir à l'attribution d'une Palme d'or à Michael Moore...
Oui, le film est partisan et non, il ne donne pas la parole à ceux qui, de toute façon, la monopolisent déjà. Les images reprises sont souvent connues, comme les petites affaires, les compromis et les pratiques condamnables. Mais les voir regroupées ainsi provoque la nausée. Nausée devant les propos onctueux de Michel Drucker et Jean-Pierre Elkabbach face à un Arnaud Lagardère mal à l'aise de voir ses bottes lêchées à ce point, devant les revirements du rebelle Michel Field, devant la gentillesse d'une Isabelle Giordano acceptant de donner un petit coup de pouce à une nouvelle société pour 12000 euros, devant David Pujadas voulant absolument qu'un ouvrier de Continental lance, avant toute chose, "un appel au calme", devant un Michel Godet économiste qui semble passer sa vie à demander la réduction du SMIC, devant un Alain Minc trouvant que l'économie mondiale est très bien gérée, et j'en passe... Ces images sont là, elles existent, elles sont bien réelles. Elles ne sont pas sorties de leur contexte, qui est parfaitement connu. Le montage auquel elles sont soumises n'est pas mensonger, même si il cherche parfois à provoquer le rire (jaune).
En revanche, ce montage rend perceptible le formatage de la pensée qui est à l'œuvre depuis des années à travers les médias français les plus influents. Ce système qu'il est vain d'attaquer "de l'intérieur" vu sa capacité à récupérer ses opposants (Field, Val), cette caste regroupant les personnalités les plus en vue dans chacune de ces professions (stupéfiant défilé mensuel de vedettes de l'information, de la politique, de l'économie et de la finance, pour les réunions, à la teneur strictement confidentielle, du "club du Siècle", dans un grand hôtel parisien), ces décideurs vivant dans leur monde, imposent ainsi leur vision de la société, dictent les priorités, bourrent les crânes à grands coups de "sécurité", de "responsabilité", de "réforme", de "modèle anglais" (ou allemand) en une démarche politique allant toujours dans le même sens, et, bien sûr, étouffent les voix discordantes.
Clairement construit, habillé d'animations et de musiques ludiques, laissant entre les flots d'images télévisées se développer les réflexions d'une poignée de journalistes et économistes "dissidents", se faisant ironique ou direct quand il le faut, ce documentaire peut, dans le même temps, faire rire, mettre en colère et affliger. Il a, parmi ses nombreux mérites, notamment celui de nous faire éteindre cette saloperie de télévision, si la chose n'est pas déjà faite. De toute manière, il n'y passera jamais.
Site du film : ici
LES NOUVEAUX CHIENS DE GARDE
de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat
(France / 104 min / 2011)
Commentaires
Toujours assez d'accord sur le fond et que dire de la forme.
Mes lecteurs envoyé ici, aucun ne regrette c'est un signe
Alors merci pour les envois.
Bonjour Ed, je vais enfin aller le voir ce soir. Je pense que je vais en effet rire jaune. Bonne journée.
J'espère donc lire ton avis bientôt, dasola.
Ca fait quand même un peu film de Michael Moore, mais en pas très drôle. A ceci près que ce documentaire est très (trop) confidentiel. Je viens de le voir sur LCP.
J'ai un peu de mal à comprendre à qui s'adresse ce genre de film. Aux abonnés d'Arrêt sur Images ? Aux téléspectateurs de TF1 ?
Je suis par exemple le type de spectateur qui va se réjouir de voir fustiger Pujadas, FOG et compagnie, mais je n'y ai pas trouvé autre chose qu'un caractère exutoire, que la projection de mes fantasmes de français moyen sur les médias.
Les auteurs mettent sur le même plan Elkabach, Minc ou Calvi. On passe de Giordiano qui arrondit ces fins de mois à Minc qui délire depuis 30 ans et dont tout le monde se moque depuis 10 puis Calvi qui fait la morale et qui invite toujours Godet et hop retour à Elkabach le plus pourri du monde. Mouais, j'en perds un peu mon latin de citoyen désinformé.
Le problème de cette écriture au bazooka, à mon sens, c'est qu'il faut avoir une maîtrise du langage cinématographique pour ne pas sombrer dans la lourdeur. Faire un truc un peu flamboyant.
Mais tu écris qu'il s'agit d'un pamphlet, genre avec lequel je ne suis pas très familier, ceci explique peut-être ma circonspection. J'aurais été plus séduit dans un format court que tu regardes de temps en temps une fois par semaine.
PS : je ne travaille pas pour un Grand Groupe :-)
PPS : je viens voir le début du débat après le film et FOG, invité, à mis moins de 30 secondes à atteindre le point Godwin.
PPPS : je suis un peu de mauvaise foi sur Minc.
Déjà, je me suis planté dans ma conclusion. Le film a depuis été programmé à la TV, sur LCP donc (et avant, sur Canal aussi, je crois).
Lorsque je l'ai vu, j'ai trouvé ce documentaire tout à fait salutaire et détonant. Je n'avais pas trouvé d'éparpillement, juste le pointage de plusieurs dérives ou aberrations qui, d'ordinaire, n'étaient pas, ou rarement, ou trop vite, relevées. Je ne pense pas non plus qu'il y ait un problème de forme : la simplicité et la vivacité sont bénéfiques. Chercher à prendre une grande hauteur, à être plus "flamboyant", comme tu dis, aurait justement amené, au contraire je pense, de la lourdeur.
Bon, de toute façon, conséquence directe ou pas, j'ai arrêté totalement la TV, à l'exception des films et du foot. :)