Que la montée est raide ! On manque plus d'une fois de mettre pied à terre et d'abandonner, ou bien de continuer en marchant, sans effort, la tête ailleurs. C'est qu'il faut vraiment s'accrocher et serrer les dents en attendant que le second souffle vienne pour connaître au final la satisfaction.
Le premier plan est magnifique, mouvement lent partant de l'orchestre en train de se chauffer et décrivant un demi-cercle pour aller cadrer les fauteuils vides de la salle de spectacle avant de revenir à la position initiale et laisser ainsi deviner au fond de l'espace la scène éclairée. Le deuxième montre une inscription sur un mur, "Où gît votre sourire enfoui ?", phrase qui, par l'intermédiaire du documentaire du même nom que réalisa Pedro Costa en 2001, est devenue une sorte de formule accolée au cinéma de Straub-Huillet. Ce plan-là dure plus que de raison. Fixe, il ne laisse voir que les effets du vent sur des branches et entendre des bruits indistincts de la rue. Le troisième arrive et nous voilà dans l'appartement d'un couple de bourgeois rentrant de soirée. Nous n'en sortirons pas.
Du jour au lendemain est un film-opéra réalisé à partir de l'œuvre éponyme composée en 1929 par Arnold Schönberg (dont le Moïse et Aaron fit également l'objet d'une adaptation par les cinéastes, en 1975). La difficulté vient déjà du matériau. Pour qui n'est pas un familier de l'art lyrique, l'opéra selon Schönberg apparaît ardu, dissonant, rugueux. De surcroît, à moins d'être germanophone, l'obligation de suivre les sous-titres perturbe l'effort d'imprégnation totale dans la musique, à la recherche d'une harmonie.
La mise en scène des Straub ne cherche en rien à aplanir ces rugosités originelles. On admire, certes, le travail sur la lumière de William Lubtchansky, offrant un superbe noir et blanc. On apprécie la forte présence du couple Richard Salter - Christine Whittlesey. Mais les plans généralement longs, le hiératisme des postures et l'impression d'une très faible quantité d'angles de prises de vues différents (alors que tout doit être certainement millimétré et beaucoup plus varié qu'il n'y paraît) mettent à rude épreuve. Trois espaces seulement sont visités, du salon à la cuisine en passant par la chambre, et encore ne font-ils qu'un, sous le coup d'un montage aussi "raide" que les protagonistes. Si parfois cette mise en scène tente de redoubler l'ironie présente dans le livret (l'homme, par exemple, parle de sa perception et la caméra cadre sa tête avec beaucoup d'espace au-dessus d'elle), l'effet est infinitésimal. On s'épuise alors à réfléchir au pourquoi de tel hors-champ ou de tel plein cadre. Le récit semble patiner et nous voilà à deux doigts de l'abandon. A force d'assèchement, le cinéma déserte. Anti-cinéma ?
Mais de l'anti-cinéma au cinéma absolu, il n'y a, paradoxalement, pas l'épaisseur d'un feuille de cigarette. Ou bien est-ce autre chose... Finalement, peut-être qu'il faut en passer par là, dans la majorité des films des Straub. Par du découragement, de l'ennui, de l'alourdissement de paupières. Pour goûter tout de même à quelque chose de rare qui se dégage de cette durée.
Cherchant à se raccrocher, il suffit parfois d'un rien, d'une tournure plus dramatique des événements, d'un changement de trajectoire narrative. Ici, c'est l'apparition d'un enfant puis un coup de fil impromptu qui nous dirigent vers un beau final à quatre voix. Les sens sont réactivés. Les plans fixes sur les objets et le mobilier lors des pauses du chant n'agacent plus mais deviennent mystérieux. L'histoire de ce lien refait touche plus que prévu. Et les derniers mots peuvent marquer par l'interrogation malicieuse qu'ils véhiculent à propos de la modernité, qui peut ne plus l'être, du jour au lendemain...
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DU JOUR AU LENDEMAIN (Von heute auf morgen)
de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub
(1996 / Allemagne - France / 62 min)
Commentaires
Je ne me souviens plus beaucoup de ce film mais je partage ton sentiment. Je trouve d'ailleurs que tu définis parfaitement le cinéma des Straub : des efforts nécessaires, des risques de décrochages et d'ennui mais, au bout du compte, quelque chose qui s'imprime, qui marque. Parfois, c'est magnifique ("Chronique d'Anna Magdanela Bach", "Sicilia"), parfois c'est totalement desséché et imbuvable (les derniers courts-métrages réalisés en solo par JMS)...
Merci Doc. "Chronique..." est sans doute le titre qui m'attire le plus maintenant. Les tout premiers Straub sont d'ailleurs peut-être les moins ardus, même si déjà exigeants ("Machorka-Muff", "Non réconciliés" dont j'ai parlé ici).