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Moonrise Kingdom

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Wes Anderson n'est pas un cinéaste, c'est un maquettiste. Et Moonrise Kingdom n'est pas un film, c'est une maison de poupée. Il n'est pas rare, le long de ses quatre-vingt-quinze minutes, de tomber sur un plan donnant l'impression d'un modèle réduit, alors que le décor est manifestement à taille réelle, que des acteurs s'y déplacent. Cela vaut même pour certains extérieurs, les contours y étant si bien taillés que la vie paraît avoir déserté. Belle cohérence cinématographique me dira-t-on, en avançant les notions d'univers personnel, de bande dessiné et d'animation. Personnellement, je vois surtout à ce fait esthétique deux conséquences : un rapetissement et une mécanisation.

Tout ce que touche Wes Anderson, il le miniaturise. Il raconte des petites histoires, ne filme que des petits riens, s'émeut de petits malheurs, procure de petites émotions. Réduits eux aussi, les objets peuvent s'accumuler dans le cadre tout en étant parfaitement disposés. Ce sont, la plupart du temps, des emblèmes renvoyant à une époque passée et rêvée. Un objet pourrait symboliser ce cinéma-là : le fanion, ce petit drapeau que l'on s'échange lors des rencontres sportives, bout de tissu daté du jour et pourtant totalement désuet.

Tout ce que filme Wes Anderson, il le mécanise. Une poignée de minutes seulement, le récit devient un petit peu prenant. Lors de l'arrivée dans le camp du cousin Ben, l'agitation donne d'abord de la vigueur, puis un beau et long ralenti produit une rupture rythmique libérant enfin une pointe d'émotion. L'élan du cœur est accompagné dans sa durée et non, comme ailleurs, mis à distance, décalé ou aussitôt effacé par le découpage. Mais plus encore que le récit, faussement alerte, ce sont les personnages qui souffrent de cette mécanisation. Comme d'habitude chez notre cinéaste-chineur, ils sont caractérisés par un habit qu'ils ne quittent pas ou bien par un objet dont ils ne se séparent jamais. On insiste donc cette fois-ci sur des lunettes, des jumelles, un mégaphone... Le but est de provoquer le rire et la poésie, en même temps ou alternativement. Devant ce "comique" de répétition, j'ai surtout bâillé.

A propos de personnages, je remarque autre chose. Celui interprété par Tilda Swinton se présente lui-même de la façon suivante : "I'm Social Services". Cette femme ne porte pas de nom. Et les autres pourraient tout aussi bien être désignés comme "le sheriff", "le garçon", "la fille"... Comment s'attacher à ce groupe de marionnettes ? Comment s'émouvoir d'une décision pleine de bienveillance comme celle que prend finalement le sheriff alors que celui-ci n'est qu'un (in)signe inamovible ?

Ces figurines peuplent un monde étroit et fermé sur lui-même. En dehors du cadre de la caméra de Wes Anderson, rien n'existe. Pas étonnant qu'il ne filme que des maisons, des camps, des criques et des îles. Quant au maniement de l'ellipse, il n'intervient que comme clin d'œil. Tel est le cas dans la séquence de confrontation en sous-bois, pastiche du cinéma de Tarantino. Voilà une référence étonnante puisque déboulant dans un film supposé célébrer les retrouvailles avec l'innocence enfantine. Peu importe, l'enfance n'est ici qu'apparence. Les petits héros de Moonrise Kingdom sont trop bousculés par le découpage "humoristique" du cinéaste pour que leurs attitudes, leurs répliques, leurs sentiments soient réellement ceux de leur âge. Ils ne s'appartiennent pas et c'est bel et bien le marionnettiste qui parle à travers eux.

Enfin, comme il fallait s'y attendre avec cet Auteur, l'escapade se termine sur un happy end et une nouvelle ode à la famille. Les choses rentrent dans l'ordre après la tempête purificatrice et tout est bien bouclé. La maison de poupée se referme. Nous avons profité d'une jolie chanson pop et de couleurs chatoyantes. Nous avons traversé le musée de la miniature, pas dérangé mais l'esprit ailleurs.

 

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anderson,comédie,etats-unis,2010sMOONRISE KINGDOM

de Wes Anderson

(Etats-Unis / 95 min / 2012)

Commentaires

  • Tu résumes très bien ce que je pense du cinéma de Wes Anderson, avec un aspect clip publicitaire très désagréable en prime. Bel article même si je n'ai pas encore vu le film. D'autres gens de grande confiance l'ont aimé, notamment un collaborateur sur Il a osé!, donc j'attends de voir, mais j'ai très peur..

    http://ilaose.blogspot.fr/2012/05/moonrise-kingdom.html

  • Oui Rémi, j'avais vu ça chez vous (j'en ai profité pour cocher, sous la chronique, la première case en partant de la droite).
    Malgré mon préjugé défavorable, dû à mes précédentes expériences du cinéma de cet Anderson-là, j'espérais une agréable surprise, cela d'autant plus que le film avait l'air d'être très aimé par plusieurs de nos excellents camarades blogueurs. Dommage, me voilà bien seul, sur ce coup...

  • Moi aussi je suis skeptic du malin Anderson qui donne l'impression de penser trops a les petits details, que aux coeurs de l'histore. J'aime bien votre critique. Je ne sais pas comment c'est en France, mes ici Anderson est un Rockstar du cinema American indie/hipster, je ne souviens pas le dernier fois que j'ai vue un film dans un salle si rempli come quand j'ai vu Moonrise Kingdon.
    Ici est un video extra que Anderson a mis online du film : http://www.joblo.com/video/player.php?video=moonrise-kingdom---animated-book-short

  • Je me réjouis de voir que vous écrivez de mieux en mieux, et que je suis de plus en plus souvent d'accord avec vous, Ed ! Bravo pour ce texte !

  • David : Intéressant point de vue, merci. Ici, l'accueil réservé aux films de Wes Anderson est plus calme, y compris chez ses défenseurs (et cela me semble plus adapté : en mettant de côté tout jugement qualitatif, on ne peut que reconnaître que l'on n'est pas dans un cinéma de l'excès, de la fulgurance géniale, du rock'n'roll). En revanche, il est vrai que le cinéaste est beaucoup aimé par certains... et en retour beaucoup attaqué par d'autres. Il est très clivant en fait.

    Griffe : Merci beaucoup, cela me fait particulièrement plaisir.

  • Ton texte n'est pas faux mais, d'une certaine manière, je le dis qu'on pourrait parfaitement l'appliquer au cinéma de Gondry ou... de Hal Hartley. Anderson fait partie de cette branche "indépendante" du cinéma américain qui fonctionne, effectivement, sur certains signes de reconnaissance auxquels on est (ou pas) sensible. Pour ma part, je trouve que "Moonrise kingdom" est l'une de ses plus jolies réussites car peut-être le plus "sincère". Il s'agit d'un conte à hauteur d'enfants et c'est une bonne idée de la part du cinéaste que de montrer le "sérieux" des jeux d'enfants (qui vont ici jusqu'à la blessure et à la mort).

  • 'suis pas fan d'Anderson, du tout même, mais ce Moonrise Kingdom a quelque chose, quelque chose de pur, d'innocent, (de beau), et pourtant, c'est une fable terriblement grave, voire tragique.
    Je suis allée le voir avec une de mes classes de 5ème, ils ont adoré, z'étaient scotchés toute la séance, cela altère peut être mon jugement... en tous cas, ce fourmillement de détails, cette propreté symétrique des plans, l'austérité des acteurs, m'a beaucoup plu.

  • Je ne suis pas d'accord avec toi, évidemment. Même si, à l'instar du dr orlof, je peux entendre les reproches que tu fais à Anderson et à son maniérisme. Le point avec lequel, par contre, je suis en opposition complète concerne ta remarque sur le rythme que tu juges faussement alerte. Il me semble, au contraire, que le film est sans cesse alimenté par une multitude d'éléments - quels que soient l'intérêt qu'ils suscitent. Et puis, ce qui d'ailleurs est lié, il me semble qu'Anderson opte plus franchement, cette fois-ci, pour le rire que la poésie.
    PS : Je vois que, si tu restes en phase avec ton pré-jugement, tu t'es quand même résolu à mettre une étoile...

  • Doc : Pourtant, je trouve, personnellement, que l'œuvre de Gondry et plus "diverse" et "aérée", que ses films ne sont pas les mêmes, que leurs modes de production notamment, entraîne des différences à bien des niveaux. Hal Hartley, c'est autre chose. Il a tout donné dans ses trois premiers longs (et ses courts et moyens métrages) et à partir d'Amateur, la machine commence à tourner à vide, l'impression de répétition et de surplace recouvre tout.
    Mais peut-être, si l'on veut absolument suivre ta ligne, qu'il est alors important d'être avec ce type de cinéaste dès le début. Or Anderson, je l'ai découvert assez tardivement (donc quand sa réputation était bien établie) et en vrac.
    Quant à cette "hauteur d'enfant", comme j'avais commencé à l'expliquer chez toi, elle m'a gêné. Je ne la trouve pas juste. Il me semble que ces enfants sont "forcés" par le dispositif.

    Cathedrale : A cette gravité, je repense pas mal en fait, surtout à vous lire, vous les défenseurs du film. Je ne l'ai pas vraiment ressentie durant la projection et je le regrette.
    Sinon, tant mieux que le film fonctionne pour des 5ème. De mon côté, je me rappelle d'une projection "familiale" de Fantastic Mr Fox. J'avais senti la salle tiède. Et mon fiston content, sans plus. Cela me fait dire quand même qu'Anderson, quoi qu'il fasse, parle toujours aux mêmes personnes, à une certaine tranche d'âge adulte.

    Antoine : Moi, le slowburn, l'humour répétitif, je n'ai rien contre a priori, mais lorsque c'est maniéré à ce point... L'une de mes réticences principales, par rapport à ce film-là, c'est le montage : ces vignettes accumulées, ces retours en arrière avec sourire en coin, ces ellipses pour rire, cela m'a empêché d'avancer avec le film. J'avais l'impression qu'à chaque plan, Anderson s'arrêtait et me faisait un clin d'œil.
    Une étoile parce que ce n'est pas détestable, ni affligeant. Mais bon, pour tout vous dire, ces étoiles, ça commence à me déplaire. Je me suis un peu piégé moi-même avec mon histoire de compte-rendu cannois : je suis obligé de continuer à noter les films de la liste, pour le "fun" de l'expérience, mais je ne sais pas si je ne vais pas, à terme, ne plus mettre ces étoiles.

  • J'ai des hallus ou le cinéma te déçoit de plus en plus souvent ?

  • excellente critique à laquelle je souscris d'autant plus que je n'ai pas vu le film.

  • Fred : Ah, ce serait un vaste sujet...
    Je suppose qu'on peut dire ça. J'ai quand même passé une très bonne année en salles en 2011. Pour l'instant, 2012 ne casse pas des briques. Aussi, faute de temps, je peux voir beaucoup moins de films qu'avant et cela m'agace encore plus lorsque je sens que ce que je regarde ne va pas tellement me plaire, d'où une sévérité accrue peut-être. Enfin, rien ne vaut une indigestion de foot pour avoir envie de repartir (et on n'est jamais à l'abri d'une découverte, n'est-ce pas Miss Bala ?).

    Christophe : Oui, ce n'est pas un film que je te recommanderai personnellement...

  • Je n'ai pas vu le film, mais ce beau texte (j'aime bien la comparaison avec le maison de poupées...) me ramène au sentiment de frustration que j'ai toujours ressenti face au cinéma de Wes Andersen. Avec Darjeeling Limited et The Fantastic Mr Fox, j'ai eu le sentiment que les bandes-annonces de ces deux films s'avéraient plus intéressantes et suffisantes que les films eux-mêmes, étant très déçue par la mollesse et l'étirement des actions. Wes Andersen semble ne jamais oser aller jusqu'au bout de l'exploitation de son univers ou de ses personnages, restant limité à de longs bavardages dans, en effet, ses beaux décors, ou "maquettes". Même avec The Fantastic Mr Fox, l'animation aurait pu faire éclater des frontières et donner lieu à un rythme plus trépidant, même plus burlesque de gags avec le côté cabotin de ce renard doublé par Georges Clooney. Mais Wes Andersen en est resté à une certaine mollesse esthétique... Donc je comprends cette sévérité.

  • Merci Oriane.
    Je partage absolument ce point de vue, à la fois sur "Fantastic Mr Fox" (animation ou prises de vues réelles, c'est pour Anderson la même chose, le même petit manège et le même public) et sur les bandes-annonces (celle de "Moonrise kingdom" est séduisante et... suffisante).

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