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C'est un western bien singulier que nous avons là, une œuvre surprenante, qui le devient de plus en plus au fil de son déroulement. Cela tient tout d'abord à son scénario, à sa construction très particulière, mais également à la vigueur et la netteté de la mise en scène d'André De Toth.
Le début de La chevauchée des bannis pose un problème moral fort, un conflit entre fermier et cowboy, envenimé par la présence d'une femme entre les deux. A travers cet affrontement annoncé se lit le thème de la mort d'une certaine idée de l'Ouest, le passage à une autre époque, le dépassement de la loi du plus fort et du plus rapide qui provoque la mise sur le côté de bien des pionniers.
Blaise Starrett est de ceux-là. Ayant réussi des années auparavant à maintenir l'ordre à coups de revolver, à nettoyer sa toute petite ville pour mieux assurer la tranquilité et la prospérité de celle-ci, le voici en conflit avec ceux qu'il a protégé tout ce temps, suite à son refus borné devant la pose de barbelés sur son passage. Le personnage campé par Robert Ryan est buté, explosif, peu aimable. Il annonce, tel qu'il est introduit par De Toth, la tonalité très noire qui va envelopper tout le film.
La première partie détaille l'engrenage menant à un inéluctable (et déséquilibré) duel. On y passe vite de l'extérieur à l'intérieur pour rester enfermé dans le saloon où se joue le drame. Le temps semble s'étirer, les scènes paraissent de plus en plus lentes, presque répétitives. Mais brusquement, le récit bascule et le film avec lui. Une irruption détourne le cours de choses de manière radicale, au point que l'un des deux antagonistes va disparaître quasiment de l'écran.
Un groupe de hors-la-loi en fuite et chargés d'or vient d'investir le village et il tiennent dès lors la vingtaine d'habitants sous leur coupe. Les figures sont aussi typées qu'inquiétantes, vraiment glaçantes pour certaines. Dorénavant, nul ne peut quitter les lieux sans risquer de se faire descendre d'une balle dans le dos et les quelques femmes résidentes sont menacées de passer de sales quarts d'heure. L'introduction n'était donc un leurre qu'en apparence : le sur-place, l'emprisonnement, la claustrophobie étaient inscrits dès le départ dans la matière du film. L'espace autour du hameau est gigantesque mais enserré par le froid et la neige, barrière naturelle s'ajoutant à celle mise en place avec les rondes des assaillants. C'est aussi un glacis esthétique qui recouvre l'ensemble.
Cette brisure irrémédiable infligée au récit entraîne vers un tourbillon de violence, une suite de morceaux de bravoure orchestrés par De Toth. Un pugilat prend des allures de massacre, une soirée de danses celle d'une série de viols. La brutalité des gestes et la tension sous-jacente (on ne cesse de parler de "tenir ses hommes"), font que l'on "voit" des choses plus terribles que ce que l'on nous montre réellement. C'est également la conséquence des choix de mise en scène : l'alternance des plans rapprochés décuplant la violence et des plans très larges laissant entendre le silence assourdissant de la nature lors de la première séquence en question, les panoramiques circulaires très rapides suivant les danseurs insatiables et menaçants dans la seconde.
Pour briser le cercle de la violence, il faut alors un sacrifice, et celui qui autrefois réglait tout par l'usage des armes et qui a pris conscience qu'il ne valait finalement guère mieux que ces renégats a lui-même cette idée. Une ultime bifurcation narrative s'impose donc et le dernier tiers est consacré à un périple dangereux mais libérateur. La violence reste présente mais à un autre niveau. S'exerçant maintenant loin des petites maisons où se réfugient les femmes et les enfants, elle se fait plus allégorique, presque fantastique, dans un enfer blanc qui épuise les chevaux, les pattes enfoncées dans la poudreuse, le corps fumant. Dans le groupe, les éliminations se font les unes après les autres, de plus en plus sidérantes. Ce dernier mouvement est très musical, ce qui contribue à renforcer encore son étrangeté, les instruments s'étant tenus jusque-là très en retrait sur la bande son, brillant même, le plus souvent, par leur absence.
La chevauchée des bannis propose donc une saisissante montée en puissance et entame en quelque sorte, avec une bonne dizaine d'années d'avance, la réflexion sur la violence que conduiront ensuite des cinéastes aussi divers que Sam Peckinpah, John Boorman, Wes Craven...
LA CHEVAUCHÉE DES BANNIS (Day of the outlaw)
d'André De Toth
(Etats-Unis / 88 mn / 1959)