Le sujet est intéressant : en 2008, Pina Bausch a souhaité reprendre son spectacle Kontakthof, créé en 1978, non pas avec sa troupe, ni avec des personnes agées (comme elle avait pu le faire en 2000), mais avec des adolescents. Anne Linsel, accompagnée du chef opérateur Rainer Hoffmann a filmé le chemin suivi par ces jeunes gens (qui, pour la plupart, ne connaissaient rien au monde de la danse) des répétitions jusqu'à la grande première, évidemment triomphale. Dans le déroulé chronologique de l'aventure s'intègrent des bribes d'entretiens avec eux.
Comme le fait finalement Pina Bausch et ses deux principales collaboratrices pour le spectacle, les cinéastes élisent quelques personnalités parmi ces jeunes, les suivent et les font parler plus que d'autres. On remarque que leurs histoires familiales sont relativement "chargées", ce qui rend plus évidents encore, d'une part l'émergence, grâce au projet auquel ils participent, d'une certaine force de caractère, et d'autre part l'attachement du spectateur.
Certains propos, très personnels, sont forts et émouvants, bien d'autres sont plus banals (et parfois rendus légèrement agaçants par le montage qui peut ne retenir d'une intervention qu'une ou deux phrases). C'est que l'intérêt artistique est tout entier dans la pièce et la démarche de Pina Bausch mais pas vraiment dans le film qui en rend compte. Linsel et Hoffmann ne font que relayer les thématiques du rapport au corps, du passage d'un âge à l'autre, d'une ouverture à un nouveau monde. De plus, ils ne le font pas toujours de manière très fine. Les articulations se font très didactiques : une scène imposant des caresses entraîne des échanges sur la difficile acceptation de son corps et du corps de l'autre ; une scène de larmes annonce l'évocation d'une douleur familiale.
Sans nier l'apport émotionnel, on peut donc mégoter sur la mise en scène. L'angle choisi est assez original, la focalisation sur les jeunes retardant par exemple l'apparition de Pina Bausch jusqu'à la deuxième moitié du documentaire. En revanche, la forme l'est beaucoup moins. La progression se fait sans heurt, vers un succès programmé comme dans un feel good movie. Les portraits d'adolescents sont bien dessinés mais le travail de la danse a été bien mieux rendu ailleurs. Appréhender ce travail ne semble ici possible qu'en faisant confiance à ce système de champs-contrechamps basé sur les regards attendris que s'échangent danseurs et chorégraphes. Se multiplient ainsi les plans de coupe de connivence, au détriment de la durée nécessaire au partage d'une sensation d'effort et de progrès.
Une forme conventionnelle s'attache donc à un projet (à une artiste) qui ne l'est pas. Partant de là, je ne comprends pas bien comment on a pu tant vanter la simplicité de ce film estimable pour l'opposer au Pina de Wim Wenders dans le but de rabaisser ce dernier. Au moins, le cinéaste des Ailes du désir a-t-il pris des risques, opéré des choix radicaux de mise en scène, engagé une véritable réflexion sur la façon dont on peut filmer les corps dansants et, ainsi, rendu le meilleur hommage qui soit à Pina Bausch. Ses partis-pris peuvent être discutés mais ils sont assumés. On a par exemple raillé le caractère univoque des témoignages mais au moins étaient-ils mis en forme de manière cohérente, celle de l'hommage à une femme disparue. Chez Linsel aussi, les propos tenus par les danseurs et les collaboratrices de Bausch sont tous révérencieux, mais peu de gens l'ont souligné.
Pina est un film de Wim Wenders, comme La danse est un film de Frederick Wiseman. Qui peut dire que Les rêves dansants est un film d'Anne Linsel ? C'est un film sur un projet de Pina Bausch. C'est déjà pas mal mais ça ne suffit pas à en faire un grand documentaire.
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LES RÊVES DANSANTS, SUR LES PAS DE PINA BAUSCH (Tanzträume)
d'Anne Linsel et Rainer Hoffmann
(Allemagne / 90 min / 2010)