L'acteur est un sujet qui m'intéresse généralement assez peu. En réaction peut-être à l'époque de mon adolescence, quand presque tout le cinéma me semblait passer par le charisme de quelques actrices et acteurs suivis le long de leur carrière quels que soient les titres et les réalisateurs, je ne parviens plus vraiment à extraire ce facteur humain des images sur l'écran. D'ailleurs, je ne vois plus depuis longtemps un film "pour" un acteur. S'il m'est arrivé ici ou ailleurs de tenter de décrire l'effet produit sur moi par une interprétation admirable, j'aurais toutes les peines du monde à m'étendre longuement sur le sujet.
En conséquence, je rechigne toujours à dire ou à écrire : "J'adore celui-ci" ou "Je déteste celle-là". Par exemple, je me fiche pas mal de la star Léa Seydoux. Il se trouve simplement qu'elle est parvenue à m'intéresser, me toucher, me plaire, chez Benoit Jacquot et Ursula Meier. Il se trouve simplement que Les adieux à la reine et L'enfant d'en haut m'ont paru de bons films.
Mais il y en a une qui m'agace, c'est Greta Gerwig. Je ne l'aime pas. Enfin, je ne l'aime pas "pour le moment". Car je n'aime ni Damsels in distress de Whit Stillman ni Frances Ha de Noah Baumbach, deux films découverts ces derniers temps à quelques jours d'intervalle.
Dans l'un comme dans l'autre, la grande affaire serait, nous dit-on, "le corps burlesque" de Greta (et éventuellement de ses partenaires). Greta est danseuse, elle a de grandes jambes et une démarche de "mec bizarre". Et en effet, il lui arrive de tomber et de secouer étrangement les bras à mi-hauteur sur les côtés, comme si elle voulait prendre son envol. C'est tout. Comme il s'agit ici de deux comédies, vous pensiez que nous parlerions de Blake Edwards ou de Jerry lewis ? Non, non. Au niveau du burlesque, nous avons déjà fait le tour.
Sur les plans esthétique et visuel, Damsels in distress et Frances Ha n'ont pas grand chose à nous apporter, malgré les couleurs chatoyantes de l'un et le noir et blanc mignon de l'autre. Ce sont essentiellement des œuvrettes verbales, verbeuses, bavardes, dans lesquelles les gens parlent pour ne rien dire en accumulant les décalages, les litotes et les sentences teintées d'absurde. Ne s'exprimant jamais au premier degré, ils manquent toujours de nous toucher et de nous attacher.
Faire apprécier des personnages décalés, voilà une tâche difficile. Et si ce décalage tient lieu de principe de mise en scène, l'exclusion totale du spectateur est le risque encouru. L'agacement pointe rapidement devant ces deux comédies à la fantaisie mollassone et au déficit comique certain, devant ces minauderies artistiques, devant cette gentillesse, devant cette politesse à peine perturbée par quelques saillies verbales graveleuses (autour de la sodomie chez Stillman, du 69 ou de l'homosexualité chez Baumbach) dans une volonté de contre-pied venant quinze ans après les petits dérapages des films de Woody Allen sur les prostituées ou la fellation (Harry dans tous ses états, Maudite Aphrodite...).
Woody Allen, c'est un peu celui que l'on ne nomme pas dans ces deux films. Référence devenue trop ringarde sans doute. Pourtant, bien des choses renvoient vers son œuvre et poussent finalement à la réévaluer à la hausse, jusqu'à ses films les moins intéressants. Chez Allen au moins, la plupart du temps, le récit se tient, va au-delà d'un assemblage de vignettes, ne compte pas seulement sur la couverture musicale pour trouver son homogénéité et son rythme.
Plutôt qu'Allen, Stillman et Baumbach préfèrent citer directement Truffaut. Littéralement obsédés par la Nouvelle Vague, ils veulent en retrouver l'insolence et la liberté. Malheureusement, ils n'en récupèrent que l'habillage, l'apparence culturelle, pour transformer ce qu'ils filment en un contemporain vague, un faux présent en train, déjà, de passer. Ainsi, à côté des références aux anciens jeunes turcs français, abondent dans leurs films les moqueries sur les comportements d'aujourd'hui, les rejets de la technologie, les refuges dans les plis douillets des partitions de Georges Delerue, les étagères remplies de disques 33 tours, les fringues vintages et les tournures de phrases désuètes.
Dans les années 80-90, Jarmusch, Hartley ou Carax payaient eux aussi leur dette envers la Nouvelle Vague mais ils n'en faisaient pas leur camp retranché, leur petite caserne arty à l'écart du monde. Dans Simple Men, pendant la séquence de danse en hommage à Godard, ce n'est pas un Madison que l'on entend, mais Sonic Youth. S'attachant à des jeunes gens, Stillman et Baumbach font en fait des films pour vieux cinéphiles.
Terminons avec Carax. Je le confesse : moi aussi, depuis un certain jour de 1986, j'ai pu me demander à l'occasion ce que cela donnerait si je filmais, depuis une voiture, ma copine en train de courir le long d'un trottoir, avec le Modern love de David Bowie à fond dans les oreilles. Mais c'était pour abandonner l'idée aussitôt. Baumbach, lui, l'a fait et l'a montré à tout le monde. Grand bien lui fasse...