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Entre les murs

(Laurent Cantet / France / 2008)

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entrelesmurs.jpgEntre les murstire sa force de quelques parti-pris intelligents. Pendant les deux heures de projection, jamais nous ne sortons du collège Dolto et si de brèves incursions en salle des profs, dans le bureau du directeur ou dans la cour, nous sont autorisées, c'est bien dans la classe de 4ème, pendant les cours de François Martin (aliasFrançois Bégaudeau), que nous revenons incessamment. Le film débute le jour de la rentrée et se termine à la veille des vacances d'été, balayant ainsi une année scolaire, mais sans apporter de repère temporel particulier entre ces deux bornes. Le récit progresse par blocs de longues séquences, laissant entre chacune d'importantes ellipses, particulièrement reposantes (par exemple, celle qui ne nous explique pas comment ni pourquoi Khoumba revient sur sa décision de ne plus adresser la parole au prof). Travailler ainsi sur la durée permet de laisser les discussions se dérouler dans toute leur complexité et de ne pas mettre en valeur artificiellement les bons mots et les répliques saillantes.

Autre singularité, Laurent Cantet n'élude pas les impasses auxquelles peuvent mener ces conversations entre élèves et enseignant. Contrairement à l'usage qui veut qu'une séquence mettant en scène un dialogue se termine toujours clairement et de façon résolue, à plusieurs reprises ici, nous finissons sur François Bégaudeau pris au dépourvu. Entre les mursest un film sur le langage et il traite le sujet en passant par tous les chemins possibles. Le débat qui éclate autour de la différence qui existerait ou pas entre les termes "enculé" et "pétasse" ne dépasserait guère le clin d'oeil tragi-comique si il ne trouvait pas sa place dans un réseau complexe de pistes de réflexion. De même, si les scènes entre professeurs semblent plus appliquées et plus didactiques que les autres, il n'est pas sûr que cela soit dû à une différence dans le jeu des acteurs (un jeu qui serait naturel chez les comédiens adolescents et plus travaillé, plus artificiel chez les autres). Il faut plutôt y voir l'expression d'un autre type de langage et la démonstration que chacun module inconsciemment sa parole en fonction du contexte.

Tout au long de son film, Cantet redouble à l'écran le travail de l'enseignant avec ses élèves, donnant lui aussi des exemples de registres et d'usages multiples de la langue. Les rapports profs-élèves sont beaucoup vus à travers le problème des punitions et récompenses. Là aussi en épousant le regard de Bégaudeau, le cinéaste parvient à nous faire approcher d'une certaine vérité. Le thème de l'utilité des sanctions est l'un des éléments principaux du moteur narratif, mais plus souterrainement, on ressent la recherche constante de Bégaudeau pour trouver la bonne position par rapport à ses élèves. La  scène où il félicite Souleymane, l'élément perturbateur qui vient de faire un bon travail, me semble très importante dans cette optique.  On sent à ce moment-là que le prof cherche, exactement comme Cantet, à ne pas tomber dans la démagogie et à être juste. Trouver la bonne distance pour éviter l'angélisme : cinéaste et comédien-professeur feront à nouveau ce même effort quand il s'agira d'écouter le fan de gothique défendre son look et son attitude "anti-conformiste".

A la limite, tout cela ne ferait qu'un bon reportage informatif sans une mise en scène travaillée. Il faut donc souligner le sens du montage et du rythme de Laurent Cantet (les plus de deux heures de film passent très vite). Sa caméra est à l'affût sans être hystérique. Aucun tremblement ostentatoire. La vivacité n'exclue pas la souplesse.

Entre les mursa décidément beaucoup à voir avec le cinéma d'Abdellatif Kechiche. Chez Laurent Cantet, la place réservée à la parole est également prépondérante. Mais le goût de la conversation est l'une des choses les plus répandues dans le cinéma français. Ce qui rend les oeuvres de ces deux réalisateurs si passionnantes, c'est que cette parole est fortement incarnée et portée par des corps remarquablement présents. Et la transmission de cette énergie n'est possible que parce qu'elle a été pensée à partir d'une démarche cinématographique ambitieuse.

Maintenant, à propos des leçons politiques que l'on peut tirer du film, à propos du débat sur l'éducation, de la frontière documentaire-fiction, du râââvissement devant ces jeunes ados si fôôôrmidables de vie, je vous renvoie vers à peu près tous les journaux depuis la rentrée, à moins que vous n'ayez choisi, comme moi, de façon peut être injuste mais salutaire de vous boucher les oreilles face au tintamarre.

Commentaires

  • Plutôt d'accord avec ton analyse même si je trouve la mise en scène un brin moins forte que tu veux bien le dire (et, en ce sens, je préfère les films de Kéchiche). Mais c'est vrai que quelque chose passe au sein de la classe. François les fait travailler sur l'autoportrait et ça résume assez bien le projet de Cantet : non pas jouer sur le typage sociologique mais créer de véritables personnages, offrir une "fiction" à des jeunes qui ne pensent avoir rien à raconter...

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