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Simon du désert

(Luis Bunuel / Mexique / 1965)

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simon.jpgSimon du désert (Simon del desierto) dure moins de 45 minutes et Bunuel n'y va pas par quatre chemins.

Simon est un stylite, soit l'un de ces chrétiens des premiers siècles ayant choisi de faire pénitence au sommet d'une colonne pendant des jours, des mois, des années... Nous faisons sa connaissance alors que dans la foule des pèlerins, un riche notable lui propose un nouvel édifice, plus haut, plus beau, plus sûr. Simon est un jusqu'au-boutiste de la foi, un super-champion de l'ascèse. Seulement, plus il s'approche du ciel et plus il s'éloigne de l'homme. Le Saint devient méprisant et insensible.

Les dévots qui l'entourent ne sont pas décrits de façon plus tendre. Les armées de prêtres sont en effet vues par Bunuel avec la même ironie dévastatrice que celle, plus tardive, des Monty Python. On pense en effet plusieurs fois au final de La vie de Brian, où les imbéciles se succédaient aux pieds des crucifiés et, de manière très précise, on découvre même un gag bunuélien dont on retrouvera l'idée dans le film anglais de 78 : la querelle entre différentes factions de chrétiens ("- A bas le Christ ! - Vive le Christ ! - A bas la Sainte Trinité ! - A bas... euh... Vive la Sainte-Trinité !").

Aux côtés des officiels, le petit peuple est à peine mieux représenté : une mère qui ne comprend pas son fils, un nain zoophile, un paysan qui, une fois ses mains miraculeusement retrouvées, s'empresse de repartir travailler, giflant son gosse au passage... Autour de la colonne de Simon, on vient voir les miracles comme on va au marché. Et comme celui-ci le dit lui-même, "bénir fait passer le temps et cela ne fait de mal à personne".

Simon a tout de même un problème : le Diable ne cesse de le tenter. Et comment pourrait-il résister alors que Satan a choisi le corps de Silvia Pinal pour s'exprimer ? L'érotisme est ici aussi direct que le message anticlérical.

Pourtant, si Bunuel a fait grincer bien des dents, si certains de ses films, comme celui-ci, ont poussé très loin le bouchon, il s'est toujours trouvé des défenseurs des deux côtés, par exemple chez les bouffeurs de curés de Positif autant que chez les cathos des Cahiers du Cinéma. Chez les premiers, l'énervement était grand de voir leur auteur favori récupéré, après, certes, de nombreuses contorsions, par ceux qu'il aurait dû a priori choquer. C'est que si l'on peut voir dans Simon du désert (et les autres) l'expression d'un athéisme absolu et surréaliste (comme le voyait par exemple le flamboyant Ado Kyrou), on peut aussi y déceler une critique de l'intérieur et une critique, non du christianisme, mais de ses déviances. Devant l'insistance de Bunuel sur le sujet (quasiment du début à la fin de sa carrière), il faut bien se rendre à l'évidence que tout cela a pour origine autre chose qu'un simple rejet de principe. Cette petite ambiguïté toujours présente, malgré la vigueur de certaines flèches, rend finalement l'ensemble de l'oeuvre du maître d'autant plus passionnante.

Deux remarques pour finir. D'une part, Simon du désert, si clair pendant quarante minutes offre au spectateur un dénouement sous forme de pirouette totalement inattendue et désarmante. Dans la folie d'une boîte de nuit new-yorkaise, Bunuel nous laisse pantois, au son d'un ultime cri diabolique de la Pinal. D'autre part, le cinéaste se plaignait parfois, semble-t-il, à propos de ce film-là, du manque de moyens et de temps. C'est pourtant l'une de ses plus belles réussites plastiques. Un Bunuel aux allures de pochade, même de trois quarts d'heure, même de transition, ne saurait que nous combler.

Commentaires

  • Il devait tout de même bien y avoir dans les fifties et Sixties des cathos à POSITIF comme il y en avait dans le groupe surréaliste (PASTOUREAU, CARROUGES) !!! Je me renseigne sur le champ auprès d'un affidé !!! Je ne vois d'ailleurs pas en KYROU, auteur d'une désolante adaptation pseudo-bunuélienne du MOINE (1973), un exégète très sérieux de Buñuel (son SEGHERS est proprement ILLISIBLE qui fait de Don Luis le champion d’un athéisme imperméabilisé au nom du seul dogme surréaliste alors que c’est précisément , sur le mode picaresque, une interrogation angoissée de la présence / absence divine qui nourrit ses meilleurs films (EL, ARCHIBALD, NAZARIN) comme chez un DREYER ou un BERGMANN). Ce que l'on retient très généralement de Buñuel, cette condamnation tout azimut des valeurs et étiquettes de la bourgeoisie ou de l’église et tous les atours comiques qu’elle emprunte dans ses films ne suffit pas à évacuer une authentique inquiétude métaphysique et existentielle, présentes dès Un chien andalou (1928). S'il a tourné la Montée au ciel (1952), il semblait définitivement inapte à monter en chaire !!!

  • Bien évidemment ma phrase est un grossier raccourci puisqu'il y eut même, dans les premiers numéros de Positif, un ou deux textes signés d'un Révérend Père. J'imagine (je connais moins bien) que c'est la même chose pour les Cahiers.
    A propos de Simon du désert, Positif avait publié, en plus d'une critique de Kyrou, une très longue analyse de Louis Seguin qui se démarquait de la vision purement athée du premier. Seguin brossait un tableau du monde chrétien "primitif" et montrait que le geste de Bunuel ne consistait pas en un refus mais à une interrogation et une dénonciation d'excès.
    Vous avez raison, le virulence de Bunuel est trop régulière et voyante pour ne pas cacher une inquiétude, celle de quelqu'un qui a baigné dans le catholicisme.
    Enfin, pour ce qui est de Kyrou, je ne connais ni ses livres, ni ses films (j'aimerai beaucoup découvrir son long-métrage, Bloko), juste ses écrits pour Positif. Ils peuvent paraître parfois contestables et trop exclusifs, mais je les trouve souvent réjouissants.

  • Je confirme que les Cahiers abritait en leur sein un pasteur helvète qui tel Calvin, allait semer au sein de la nation qui avait eu l'imprudence aveugle de l'héberger, la révolution quelques années plus tard. Trève de plaisanterie, la relation de POSITIF à Buñuel est très loin d'être monolithique, traduisant par cela même des apports hétérogènes (surréaliste, trotskiste ...et catholique)... Heureuse (?) époque ou les avis des rédacteurs pour être plus tranchés qu'aujourd'hui trouvaient à se fondre au sein d'une même revue.

  • Retrouvé cette belle formule du regretté Robert BENAYOUN sur BUNUEL : "Il a bu le thé amer de la religion".

  • Entièrement d'accord. Je suis toujours un lecteur attentif de Positif mais la revue parle sans doute un peu trop, aujourd'hui, d'une seule voix. Le champ y est assez large, mais les avis divergents et les desaccords au sein de la rédaction n'apparaissent plus guère.
    Belle formule de Benayoun, merci.

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