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Casanova

(Federico Fellini / Italie / 1976)

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Casanova (Il Casanova di Fellini) ou un film comme un rêve.

Ce chef d'oeuvre du Maestro Federico est une adaptation ("libre" croit devoir nous prévenir le générique) des mémoires de Giacomo Casanova (1725-1798). On ne parlera pas ici de biographie, le film n'obéissant à aucune règle narrative classique, ni dramatique, ni psychologique. Non pas que la construction soit embrouillée (elle est au contraire rigoureuse et limpide), mais le récit ne semble obéir qu'à une seule logique : celle de l'esprit de Casanova et donc, de Fellini. Une structure en flash-backs, organisée à partir de l'épisode de l'emprisonnement du héros, soutient d'abord l'édifice, mais elle est vite abandonnée ; la voix du héros-narrateur qui nous accompagne de temps à autre ne nous provient finalement de nulle part. Nous voyons bien, après les années de pleine santé, le corps se fatiguer, les rides se creuser, jusqu'à dessiner ce portrait de vieillard aigri. La progression est donc en apparence chronologique mais les sauts d'un souvenir à l'autre ("Je voudrais vous parler maintenant de ma rencontre avec...") nous placent toujours volontairement hors du temps.

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Casanova vit pourtant bel et bien dans ce XVIIIe siècle, celui des Lumières, celui des salons et des dîners, celui des voyages des élites de cour en cour, à travers l'Europe, à la recherche des faveurs de monarques plus ou moins éclairés. Ce monde est ré-inventé par Fellini (quels décors, quels costumes !!!). L'époque revit. Mais si l'archéologue a exhumé l'environnement, il n'a pas ressuscité les hommes : nous ne croisons que des spectres. Dès sa première apparition, au milieu de la nuit et de la brume, au bord d'une mer de plastique des plus inquiétantes, Casanova glisse déjà au milieu du royaume des morts. Plus tard, lorsqu'il approchera la petite couturière Anna-Maria, au visage fantomatique, ce sera dans un jardin aux allures de cimetière. L'une des femmes qu'il courtisera en Suisse le plaindra ainsi : "Vous ne pouvez parler d'amour sans être funèbre". Il n'y a pas ici une seule séquence qui ne se leste d'une certaine morbidité.

Le mythe de Casanova est celui de l'homme aux trois-cents femmes. Fellini le ridiculise. Non en le niant, mais en le poussant vers le mécanique et le vide. En filmant les ébats de son héros, il ne détourne pas les yeux devant le sexe et le graveleux mais il ne fait rien non plus pour atténuer l'impression perpétuelle de simulacre. Lorsque Casanova chevauche une partenaire, la caméra prend régulièrement la place de la femme ou inversement et ces champs-contrechamps d'accouplement semblent repousser les partenaires à distance. Les rares moments de réelle intimité, de fusion sincère, sont laissés hors-champ ou tout simplement refusés au séducteur (les femmes qui le touchent vraiment restent inaccessibles). Casanova s'épuise dans sa recherche de la Femme : il veut la plus belle ou la plus forte ou la plus vieille ou la plus parfaite. Tout le ramène à son désir, comme lorsqu'il entre dans la baleine (séquence admirable où l'on peut voir, sous forme de lanterne magique, une série de dessins érotiques de Topor). Et ce désir est vu comme une maladie. Il se dessèche au fur et à mesure qu'il monte vers le Nord de l'Europe, en passant par des villes (Venise, Paris, Londres, Dresde...) qui, par la magie de Cinecitta, sont dans le même espace trouble. Arrivé au terme de sa vie, Casanova aura eu beau se courber devant les puissants, offrir ses services en tant que savant ou bibliothécaire, revendiquer le statut d'écrivain et de grand témoin de son temps, il restera, aux yeux des nouveaux courtisans imperméables à l'Art (ceux qui transforment un opéra en cacophonie orgiaque et vulgaire), l'aventurier, le symbole flétri d'un monde qui se meurt.

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Le Casanova de Fellini est un film monstrueux et désespéré, mais fascinant et revigorant. Il y a le regard de Donald Sutherland, prodigieux. L'acteur se laisse faire, impassible. Fellini a modelé son image et l'a dirigé comme une marionnette (les plans où il prend des postures de pantin sont innombrables). Le cinéaste a souvent déclaré que le personnage lui donnait la nausée, mais le glissement qui s'opère vers le pathétique et vers la mort ne peut qu'émouvoir. Il y a aussi de la chair. Devant les situations scabreuses et les inventions de casting felliniennes, on se dit que l'outrance peut passer décidemment à merveille lorsqu'il s'agit de recréer un passé fantasmé. Il y a enfin du foisonnement. Comme il agence parfaitement son récit, Fellini organise son chaos en allant chercher le hors-champ, en détournant abruptement une conversation ou un spectacle en cours. Puis, il isole, par les plus beaux artifices de mise en scène qui soient, ses personnages, concentre son regard et peut laisser aboutir l'épisode avant de passer à un autre. Son film avance par blocs. Par tableaux, dirait-on, pensant parfois au cinéma de Peter Greenaway, à ceci près que l'on ne sent pas de dispositif ni de théâtre. Chez l'Italien, les angles sont moins coupants, les bords du cadre sont moins rigides que chez le Britannique (l'un de ses descendants possibles ; à l'autre bout du spectre, nous aurions Kusturica).

La marche funèbre de Casanova par Fellini (au son d'une géniale partition de Nino Rota) est une promenade somptueuse avec l'amour et la mort dont chaque instant devrait être raconté, de la tête géante du début, (presque) hissée hors de l'eau en plein carnaval, au ballet mécanique rêvé d'un finale mélancolique. Voici le plus beau : en un plan, la salle de théâtre se vide, laissant Casanova seul, de profil. De gigantesques candélabres descendent lentement du plafond. Et on vient les éteindre à l'aide de grands évantails.

Depuis plusieurs années je voulais revoir ce Fellini-là, histoire d'être sûr de ne pas avoir rêvé la première fois. Finalement, j'ai rêvé une deuxième...

 

Photos : allocine.fr

Commentaires

  • Bon anniversaire !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! Bisous

  • Je l'ai regardé cinq minutes, et ça m'a dégoûtée...

  • Très beau texte, vraiment ; il m'ordonne presque de courir à la Médiathèque près de chez moi (j'ai la chance d'y travailler) pour emprunter ce Casanova. Merci bien !

  • ha ben Joyeux anniversaire ed.

    sinon, le Casanova de Fellini est somptueux mais c'est aussi complètement décadent. A mon sens, tout est dit dès le premier quart d'heure, les premiers ébats. Le reste n'est que redondance et vaine surenchère.

  • Aurélie : Merci et à plus.

    Dominique : A quoi ce haut-le-coeur est-il dû ? au style de Fellini, à l'ambiance mortifère ou au personnage ?

    Raphaël : Merci. Je ne peux effectivement que te conseiller de le récupérer. Et si c'est en dvd, je crois que l'on peut trouver des bonus très riches, notamment en rapport avec le tournage du film.

    Christophe : Merci également. Devant le film, je n'ai pas ressenti de surenchère. Je n'avais pas vu ou revu de Fellini depuis un bout de temps, mais il me semble que son cinéma est comme ça : on est tout de suite dedans et il n'y a pas vraiment de tension de tout le récit vers une apothéose conclusive. La progression narrative est étrange, et je n'ai jamais eu l'impression que les séquences voulaient se dépasser les unes après les autres. De même pour la redondance. Chaque épisode est bien distinct des autres. Je parlerai plutôt de répétition et d'évidement, deux choses qui sont au coeur même du sujet. Le film est long (2h30), mais il est passé comme un charme.

  • Bonjour Ed, je n'ai vu ce film qu'une fois à la TV, il y a longtemps. J'avais trouvé somptueux et magnifique l'ensemble, la musique, les costumes, les décors. Ce factice est sublime. Je me rappelles d'un interview avec D Sutherland (ce fut pour lui une expérience inoubliable) et il est très bien dans le rôle. J'espère que ton billet donnera envie de revoir ce film. En tout cas, pour moi, c'est le cas. Merci.

  • Rien à rajouter Ed.Je partage absolument tout ce que tu as écrit.Et le vainqueur est..Casanova,certainement trahi,le Dr.Orlof a raison,mais si humainement tout à la fois tragique,grotesque et finalement proche.Bravo vraiment.

  • Dasola & eeguab, mille mercis.

  • Pardon, j'arrive bien tard!
    Oui je crois que c'est le style de Fellini, qui, après la Dolce Vita ne me dit plus rien. Trop de carnaval, d'artifices, des décors surchargés, des personnages auxquels je ne crois pas. Même si ça n'a rien à voir, Pasolini me fait un peu le même effet, après sa période néo-réaliste, je n'aime plus tellement...

  • J'adore, pour ma part, le Fellini de cette période-là (à part les trois derniers, à partir de Ginger et Fred).
    Sinon, ne vous excusez-pas. Chacun gère sa disponibilité comme il le peut, encore plus quand il s'agit de suivre l'évolution des commentaires chez les autres.

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