(Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic / France / 2009)
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Mais que se passe-t-il avec le cinéma français ? Est-ce vraiment celui "du milieu" qui doit nous inquièter le plus ? Je n'ai pas encore vu Welcome, mais il me semble que Lioret va bien, ne t'en fais pas. Le prochain Tavernier ne va pas tarder à débarquer : il y a peu de chances que ce soit un chef d'oeuvre, il y a peu de chances que ce soit un navet, il y a de grandes chances que ce soit un bon film. Arnaud Desplechin semble avoir trouvé la place qu'il souhaitait en signant des oeuvres de plus en plus accessibles. Lucas Belvaux et Jacques Audiard se sont installés eux aussi et j'attends avec confiance la suite de leur carrière. Les signaux alarmants ne viennent-ils pas plutôt d'un autre côté ? De là où se tiennent les cinéastes censés nous bousculer, nous entraîner sur des terrains glissants, nous confronter à la radicalité de leur vision ? Je veux parler des Zonca, des Noé, des Kassovitz, des Grandrieux, des Odoul, des Bonello, des De Van, des Miret, des Bernard/Trividic. Tous ont, entre 1995 et 2003, effectué des débuts (premier ou deuxième film) fracassants, audacieux, dérangeants : La vie rêvée des anges, Seul contre tous, La haine, Sombre, Le souffle, Tiresia, Dans ma peau, De l'histoire ancienne, Dancing. Tous ont invariablement déçu par la suite (seule Marina De Van peut faire exception dans ce groupe : son deuxième film est annoncé pour le mois de mai prochain). Le constat est d'autant plus douloureux quand les échecs ne peuvent être cachés au milieu d'une production soutenue : Zonca n'avait pas tourné depuis 9 ans quand il proposa son récent Julia, le dernier long de Noé, Irréversible, date de 2001. Quand on a du mal avec le rythme de Kubrick, ne vaut-il pas mieux essayer de se caler sur celui de Godard qui, dans les années 60, parvenait à accumuler les projets et à faire ainsi oublier que Une femme est une femme était une toute petite chose, coincée qu'elle était entre Le petit soldat et Vivre sa vie ? Ce saut dans le temps n'est pas pertinent ? Alors faisons-le dans l'espace. Avec quels auteurs américains peut-on comparer ? Larry Clark, Todd Solondz, Paul Thomas Anderson, Lodge Kerrigan : autant de cinéastes travaillant les limites du spectacle cinématographique, par la forme et/ou les sujets et ayant signé des oeuvres-phares du cinéma US indépendant des années 90. Après Kids, Happiness, Boogie nights ou Clean shaven, ils ont su se renouveler, que ce soit en creusant le même sillon ou en élargissant considérablement leur spectre. Avec Bully et Ken Park, Clark a gardé intacte sa force de transgression, avec Palindromes, Sollondz a réussi un pari complètement fou et avec There will be blood et Keane, Anderson et Kerrigan ont réalisé deux des plus grands films de cette décennie. Chez nous, je ne vois qu'une exception, un seul réalisateur de cette mouvance capable de tenir un rythme régulier et de rester à sa place parmi les créateurs de forme les moins discutables : Bruno Dumont. C'est peu et c'est cela qui est, à mon sens, inquiétant pour le cinéma français.
Cette longue introduction désabusée pour évoquer brièvement L'autre, film attendu, film ambitieux, film à moitié réussi, film à moitié raté. Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic ont décidé d'aborder le thème de la folie et là réside à mon avis, le défaut de l'oeuvre. Même s'ils s'attachent à un personnage défini, ils décrivent moins un cas précis (comme l'a si puissamment fait Kerrigan avec Keane) qu'ils ne parlent du problème "en général", qu'ils l'illustrent. La mise en scène est surchargée de signes : champ large mais constamment obstrué par des caches en amorce, caméra fébrile et près des visages, bande son inquiétante, jeux de miroirs, raccords déstabilisants, ambiances nocturnes irréelles... Le sous-texte est lui aussi excessif : références à la magie et à l'antiquité, omniprésence de l'alcool, contamination de la misère sociale, caractère liberticide des nouvelles technologies... Cette insistance dans la forme et le fond semble traduire un manque de confiance dans la capacité (pourtant réelle chez les cinéastes) à emmener le spectateur aux confins du fantastique. Donnée pour perturbée dès le départ, l'héroïne, comme la mise en scène, n'évolue pas (alors que la description d'un glissement progressif vers la folie aurait été certainement plus satisfaisant, vu ce que peut proposer par moments Dominique Blanc, dans la modulation de sa voix par exemple). Dans L'autre, nous ne voyons pas le monde par les yeux du personnage, mais nous regardons celui-ci s'y débattre. Cela peut faire toute la différence entre un film bouleversant et un exercice de style brillant mais vain.
Commentaires
Quoi qu'en disent les chiffres, il est certain que le cinéma français va mal ; ou, pour le dire autrement, le "mauvais" cinéma va très bien (Bienvenue chez les Ch'tis, Le Premier jour du reste de ta vie, Lol, Séraphine font des cartons au box-office), et celui qui prend des risques se ramasse... Bref, c'est le "marché" qui veut ça.
Il manque juste dans cet aperçu du "jeune" cinéma français, parmi les plus intéressants :
- Claire Denis
- Pascale Ferran
- Olivier Assayas
- Jean-Claude Brisseau
- Alain Guiraudie
- Bruno Dumont
- Matthieu Amalric
- Serge Bozon
- Xavier Beauvois
- Emmanuel Finkiel
- François Ozon
- Emmanuel Mouret
- Arnaud DesPallières
- Nicolas Klotz
- Eugène Green
- Jean-Charles Fitoussi
- Vincent Dieutre
- Yves Caumon
- Thierry Jousse
- Laurent Achard
- Laurent Tuel
- Marc Recha (français ?)
- Bruno Podalydès
- Jean-Marie et Arnaud Larrieu
- Christophe Honoré
(éventuellement : Robert Guédiguian, Patrick Grandperret, Claude Miller, Tony Gatlif...)
PS : euh, Lucas Belvaux, il est belge, non ?
Belvaux est belge, mais "Pour rire" est un film français, sa trilogie est franco-belge et "La raison du plus faible" également.
Je ne comptais pas faire un tour d'horizon complet mais me limiter à un groupe d'auteur qui semblait amener à la fin des années 90 quelques espoirs de bousculade du cocotier français en proposant une approche plus radicale, plus physique, plus formaliste (deuxième "vague" qui venait après une première, aussi intéressante mais ruant moins dans les brancards, celle du début des années 90 avec Desplechin, Ferreira Barbosa, Ferran, Lvovsky, Beauvois, Kahn, Mazuy...). Selon moi, les rares occasions où le cinéma français se retrouve au plus haut, on les doit aux anciens (Resnais, Rivette, Rohmer) et à quelques cas isolés (Kechiche, Cantet, Nicolas Klotz).
Sinon (pour être désagréable) par rapport à cette proposition de liste, je dois dire qu'à part Brisseau (bien que "jeune" cinéaste, faut pas pousser...) et donc Dumont et Klotz, je n'y trouve pas grand chose d'enthousiasmant. Ozon ne réussit qu'un film sur trois, Ferran, Beauvois, Denis et Assayas m'ennuient de plus en plus. Podalydès, bof. Pour la plupart des autres, je n'ai vu qu'un film et dans le lot, à part un charmant Mouret, un Amalric pas mal, ceux d'Honoré, Larrieu, Des Pallières, Caumon, Bozon me sont vraiment tombés des yeux. Finkiel revient apparemment bientôt, croisons les doigts (beau souvenir de "Voyages").
"Welcome", je me suis précipité avant mes congés et je compte bien te me lui faire un de ces articles dithyrambique. "Une femme est une femme", j'aime beaucoup. Mais je préfère le Godard léger d'une manière générale. Sinon rien à redire à la liste du père Delauche (au fait, "le", c'est un hommage paysan, ecclésiastique, à Noël-Noël, à celui de la mariée ?). J'y ajouterais volontiers quelques noms comme Yves Caumon, Gérald Hustache-Mathieu, Henri-François Imbert...
Sinon, je partage complètement ton avis sur Zonca, et ce problème qui me semble fondamental : nos réalisateurs ne tournent pas assez.
Oups, je fais la moue devant Podalydès au moment où Vincent arrive...
On peut aussi penser à Guédiguian, Doillon et Breillat. Et à "La trahison" de Philippe Faucon... Tout n'est pas perdu.
Mais bon, on ne va pas refaire le débat initié il y a peu par Ludovic de Cinématique (pour vous repencher dessus, passez par ma colonne de droite, Bilans et questionnaires, Un palmarès français).
Ah ! Il semble que nos commentaires se soient croisés... C'est effectivement notre bon vieux débat qui revient et je pense que tant que tous ces cinéastes seront au cœur de leur activité, il restera irrésolu.
tout n’est pas perdu non
tout n’est pas perdu de vos mythes d’aurore
ici le soleil brille pour tous et on y croit.
Ah ben je sors de "La fille du RER" et je me disais, au contraire, que les cinéastes français du "milieu" tourne "trop". Ce n'est pas inintéressant mais je ressens trop le calibrage destiné à plaire aux chaînes publiques (un peu de "fait divers", un peu de "sujet de société") et j'ai bien peur que "Welcome" soit un peu dans cette mouvance (je vais sans doute m'abstenir d'y aller pour éviter les inimitiés durables après les tempêtes Eastwood/GVSant :-))
Je ne suis d'ailleurs pas totalement d'accord avec ta nomenclature : Desplechin et Belvaux, que j'aime beaucoup, ne me semblent pas jouer dans la même catégorie que le père Tavernier ou l'ennuyeux Audiard. Pour ma part, que Tridivic rate un film ne m'émeut guère puisque je n'avais pas aimé "Dancing".
En revanche, je soutiens plutôt "Irréversible" (plus intéressant que ce qu'on a bien voulu en dire) et j'aimerais avoir l'occasion de voir les deux films de Grandrieux qui ont suivi l'éblouissant "Sombre".
Le problème de ce cinéma, c'est que ces cinéastes ont totalement abdiqué du point de vue de leurs ambitions (Kassovitz), soit ils se sont figés dans un "auteurisme" académique (Odoul, Bonnello...). Mais ces remarques valent aussi pour les grands anciens (Assayas, Téchiné dans une certaine mesure...)
Doc, on ne parlait pas (moi en tout cas) des réalisateurs installés quand on disait qu'ils ne tournaient pas assez, mais des autres, ceux qui devraient tirer la production vers le haut par leur sens plastique ou leur propension à prendre des risques.
Le mot nomenclature est un peu fort. Mais il me paraît indéniable que les films récents de Desplechin et ceux de Belvaux tendent vers le "grand public" (ce que je ne leur reproche nullement). C'est plus tiré par les cheveux pour Audiard, qui pourrait être rapproché plus facilement des autres. Moi j'aime beaucoup ses films.
De Grandrieux, pas vu "Un lac" mais "La vie nouvelle" m'avait paru bien obscur et auteuriste alors que "Sombre" fut pour moi un véritable choc.
Je ne sais pas si j'irai voir "Welcome". J'aime plutôt bien Lioret sauf "Je vais bien...". Je crois que je vais préserver mes forces pour ouvrir le mois prochain le dossier Tavernier (Tavernier l'épouvantail, celui qu'il ne faut surtout pas aimer si l'on veut garder sa crédibilité de cinéphile).
Après avoir lamentablement oublié ci-dessus, dans mon "tour d'horizon" Carax et Lvovsky, j'ajoute :
- Jean-Marc Moutout
- Xavier Giannoli
- Jean-François Richet
- Pascal Bonitzer (bien qu'il ne soit pas "jeune"...)
- Emilie Deleuze
- Hélène Fillières
- Siegrid Alnoy
- Hélène Angel...
Hum... difficile pour moi de parler aujourd'hui du "jeune cinéma français"... Plus tard, peut-être...
Néanmoins, je partage la déception quant à la vision du film de Trividic-Bernard. Dancing m'avait agacé à la première fois, mais en le revoyant je l'ai trouvé assez "culotté".
Problème des "films pairs et impairs" soulevés par le grand Chabrol...
@Vincent
- "Père Delauche", ça fait "mauvais genre". Disons que l'article défini, c'est pour le maintien ;-DDD
Je suis assez d'accord avec ce que tu écris, Ed (décidément !), et ce qui s'est fait de plus inattendu, novateur, audacieux ces dernières années, c'est il me semble Rohmer (par rapport au genre historique) ou Guédiguian (par rapport à son propre cinéma).
Le hasard a fait que je n'ai pas vu les derniers Guédiguian en date (depuis "Le promeneur..." en fait, que j'avais beaucoup aimé). Ta remarque sur son rapport à son propre cinéma me remet en mémoire ce (ou ces ?) flashback bouleversant que l'on trouve dans le magnifique "La ville est tranquille" et où l'on voit soudain Ascaride et Meylan plus jeunes de vingt ans, images tirées d'un ancien film du cinéaste.
Sinon pour un cinéma contemporain audacieux, que tu cites en premier lieu Rohmer, comme moi je pourrais citer Resnais (qui semble pouvoir tout se permettre et tout réussir), est tout de même symptomatique.