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Et demain ?

(Frank Borzage / Etats-Unis / 1934)

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etdemain.jpgLe parcours du jeune couple Hans-Lammchen dans l'Allemagne en crise du début des années 30, leurs difficultés financières, leurs rencontres, le frottement de leur idéalisme au contact d'une société en quête de repères, la fortification de leur amour et le maintien de leur volonté combative...

Comme l'a établi la majorité des études sur le cinéaste et comme me le laissaient penser quelques souvenirs lointains (liés aux admirables Lucky star, Liliom ou L'adieu aux armes), Et demain ? (Little man, what now ?) confirme que Frank Borzage est essentiellement un grand artiste des années 20 et 30. Nous sommes en effet ici loin du factice I've always loved you. L'histoire est racontée simplement et les effets s'y trouvent ménagés et d'autant plus émouvants. Le tournoiement du manège sur lequel s'est réfugié Lammchen, pleine de remords, ou l'accession à une mansarde sous les étoiles renvoient aux meilleurs moments de l'oeuvre muette. Borzage offre à ses deux amoureux une évolution ascendante, les poussant du rez-de-chaussée d'une officine au dernier étage d'un immeuble bourgeois et jusqu'à un grenier aménagé "près du ciel". Notons bien que cette élévation ne traduit pas une réussite sociale mais plutôt un délestage, une prise de conscience libératrice et, pour le spectateur, une montée émotionnelle.

Ce beau scénario, qui tire vers la chronique sensible plutôt que le mélodrame larmoyant, séduit par sa capacité à enchaîner les épisodes révélateurs de l'évolution des rapports à l'intérieur du couple. La pesanteur du contexte se fait sentir par des allusions du dialogue (très bien écrit) et par l'apparition de silhouettes secondaires (petits chefs de magasins, chômeurs errants), mais aussi et surtout par une suite de confrontations entre le couple et des figures supérieures sur le plan social, abusant le plus souvent de leur position. Ce sont les réactions de Hans et de Lammchen qui éclairent sur la position morale de Borzage (qui met moins en garde contre le péril nazi, jamais nommé, qu'il ne professe une même méfiance envers toutes les idéologies). Les caractères sont révélés par les différentes situations et anecdotes, ils ne sont pas pré-programmés. L'épisode du début du film, celui de l'employeur désireux de marier sa fille à Hans (qui cache l'existence de son épouse pour conserver sa place), est à ce titre exemplaire. Il ne semble d'abord tenir que sur le jeu théâtral et quasiment vaudevillesque de la dissimulation des intentions avant de dévoiler sa profonde nécessité dans l'affirmation de la sincérité et de l'inaltérabilité de l'amour partagé par Hans et Lammchen.

De la chronique sociale, le récit adopte le rythme en ruptures de tons, s'appuyant sur l'évantail des registres apportés par les différents protagonistes, sur lesquels notre regard peut évoluer au cours de l'histoire : le vieil escroc libidineux devient, sans changer ses habitudes, un attachant protecteur ; Hans, écorché vif, pétri de certitudes difficiles à mettre en pratique, finit par être très attachant par son volontarisme (c'est sur son visage et non sur celui de sa femme que coulent le plus souvent les larmes) ; Lammchen, enceinte, à la maison, s'efface parfois pour mieux affirmer au final sa présence indispensable.

Borzage nous touche avec ce portrait d'un couple lié par un amour fou d'autant plus fort qu'il n'est pas donné comme tel mais construit sur la durée. Le jeu de Douglass Montgomery est singulier, à la fois affecté et vif. Margaret Sullavan quant à elle, tournait là son deuxième film, à 25 ans. Elle dégage un charme extraordinaire. L'érotisme discret qui affleure lors de son escapade champêtre avec Hans, la simplicité de sa présence et l'émotion vibrante qui en émane sont à l'image du film.

Commentaires

  • un très joli film, emblématique de son auteur (la fameuse "élévation" notamment, élévation physique qui traduit une plénitude spirituelle comme dans Seventh Heaven), premier volet d'une trilogie de Borzage consacrée à l'Allemagne contemporaine, au fur et à mesure que la trilogie avancera, les films seront de plus en plus sombres, de plus en plus directs quant à l'évocation du péril nazi, de plus en plus forts aussi. Margaret Sullavan illumine les trois films de sa présence et est une raison suffisante pour les voir.

    il faudrait nuancer votre affirmation quant au fait que Borzage est un artiste essentiel des années 20/30. Dans ce que j'ai vu, Moonrise et China doll sont loin d'être négligeables.

  • Vous avez certainement raison de nuancer Christophe. Ma connaissance de l'oeuvre post-"Strange cargo" et "Mortal storm" se limite en fait à "I've always loved you" et "Pavillon noir", qui ne m'avait guère enthousiasmé. Je note en tout cas les deux titres que vous mentionnez (qui reviennent également ici ou là dans les quelques écrits que j'ai pu survolé ces jours-ci).

    "Mortal storm", que j'aurais dû citer avec les autres grands films de Borzage (comme "Strange cargo") est, si je ne me trompe pas, la dernier volet de la trilogie allemande, non ? Je l'ai vu lui aussi il y a très longtemps. Je vais m'empresser de voir le deuxième, "Trois camarades", qui signera malheureusement la fin de mon mini-cycle Borzage.

  • vous ne vous trompez pas.

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