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Whatever works

(Woody Allen / Etats-Unis / 2009)

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whateverworks.jpgWhatever works commence avec l'interpellation du spectateur par le personnage principal, Boris Yellnikoff. Cette apostrophe est déstabilisante tout d'abord par l'indécision du degré de distanciation qui la caractérise : débarquant au milieu d'une conversation entre amis, nous croyons bien déceler deux ou trois coups d'oeil de l'un des protagonistes vers la caméra avant que celui-ci s'adresse à nous directement, à la surprise de ses compagnons, qui continuent tout de même, tous comme les passants, à vivre leur vie de fiction.

Sur un ton très acide, Boris Yellnikoff entame une longue plainte et nous exhorte à nous détourner de tous ceux qui nous empoisonnent la vie en nous dictant notre conduite, des nutritionnistes poussant à la consommation quotidienne de fruits et légumes aux producteurs de feelgood movies. Par la voix de son nouveau double, Larry David, Woody Allen condamne ce qu'il va pourtant nous imposer sans sourciller pendant 90 minutes : le prosélytisme en faveur d'un certain mode de vie, le sien.

Sa leçon de morale se développe à partir de la mise en relation du vieil intellectuel acariâtre et d'une jeune idiote. Mise au premier plan, la philosophie de Woody Allen ne prend même pas ici la peine d'émerger d'un récit. Rien ne vient justifier la rencontre entre Boris et Melodie, plus qu'improbable, et les discussions qui s'en suivent dans l'appartement du premier (qui a décidé d'héberger la seconde) ne sont là que pour accumuler les bonnes formules sans jamais tracer de ligne narrative et émotionnelle cohérente. De même, la dernière partie sera l'occasion d'une série de retournements de situation purement mécaniques, des basculements sexuels et comportementaux qui auraient pu être imaginés il y a trente ans.

Plus grave encore, la mise en scène n'enrobe l'exposé d'aucun éclat particulier, se contentant de quelques "trouvailles" humoristiques plus ou moins fines (Boris expliquant avoir trouvé son équilibre alors qu'il se trouve devant... la balance d'un marchand de légumes ; Melodie écoutant Beethoven et croyant que les coups frappés à sa porte font partie de la partition - gag piqué à Chaplin dans Mr Verdoux). Habituel point fort du cinéaste, la direction d'acteur encourage cette fois-ci un cabotinage assez épuisant.

On aura beau deviner derrière la misanthropie de Boris un ironique autoportrait de Woody Allen (le mot "génie" est entendu tellement de fois...), on aura beau se dire que le cynisme cache forcément de grandes blessures, le personnage restera jusqu'à la fin détestable. Certes une petite inflexion est perceptible au contact de ces gens qui lui sont "inférieurs", mais la réconciliation finale se fête bien chez lui, dans son appartement d'un autre âge. Tous se retrouvent sur son terrain, tous ont été convertis.

Dans la mise en miroir ironique de sa propre personnalité, je trouve la démarche de Clint Eastwood beaucoup plus honnête.

Commentaires

  • Encore une fois, complètement d'accord avec toi. J'ai trouvé le film paresseux, bâclé et pas drôle.
    Il me semble que Woody Allen ressemble de plus en plus à un vieux filou qui pique ses acteurs et idées à droite et à gauche, sans trop se préoccuper de les retravailler (ou de les diriger, en ce qui concerne les acteurs) avant de les présenter à sa sauce.

    En l'occurence, Larry David & la prise à témoin du spectateur viennent tous deux directement de la série "Curb Your Enthousiasm", où Larry David se filme dans des situations quotidiennes et où, de manière beaucoup plus fine (et drôle) qu'ici, sans regarder la caméra, il semble dire au spectateur, avec une mauvaise foi joussive: "Bon sang, mais vous avez vu les trucs merdiques qui m'arrivent?"

    En fait je crois que ça fait dix ans que je n'ai pas vu un bon Woody Allen. Depuis Accords et desaccords sans doute.

  • Je crois qu'une ligne de démarcation infranchissable est en train de s'établir entre les pros-Woody et les pros-Clint parce que j'ai adoré ce film qui est pour moi le meilleur film du cinéaste depuis "Anything else".
    Pas d'accord sur ton idée de "prosélytisme" : c'est l'inverse que recherche le cinéaste, à savoir l'ouverture sur l'Autre. Pour cela, comme dans "Vicky, Cristina, Barcelona", il part de clichés pour tenté d'en extraire la substantifique moelle.
    Il faut voir "Whatever works" comme un conte à la Capra : bien sûr, la vie ne vaut pas la peine d'être vécue mais il faut jouer malgré tout la carte de l'optimisme et de l'ouverture à autrui en se défiant de ses propres préjugés, ses propres clichés (après tout, le cinéaste ne maltraite pas plus la petite "plouc" du sud que son alter-ego).
    De plus, le film m'a paru tordant (les confrontations avec les beaux-parents sont géniales) et au détour d'une scène, Woody Allen parvient à faire sourdre une émotion qui m'a rappelé les grands moments d'"Annie Hall" et "Manhattan". Pour moi, c'est le meilleur film de l'année (pour le moment). Tout simplement

  • Si vous me permettez, j'aimerais franchir cette ligne de démarcation. C'est du bon vieux Woody que nous avons là. Le New-yorkais, celui qui déblatère des bêtises à la caméra, celui qui barbotte dans la mauvaise foi, le bon mot et la mégalomanie. Et c'est très bien comme ça. Dr Orlof a raison de dire qu'il ne maltraite pas plus les pégus sudistes que les intellos new-yorkais, et d'ailleurs c'est toute la lucidité de ce film que de résumer ce second clan (le sien) à une catégorie anthropologique. Et puis on rigole bien tout de même, il y a de sacrées répliques. La seule chose que je ne m'explique pas est pourquoi Woody Allen ne joue pas le personnage principal.

  • Sadoldpunk : Ce que tu me dis là des activités de Larry David, que je ne connaissais pas, me conforte effectivement dans mon jugement. Au cinéma, toutes les reprises sont permises, à condition d'en faire autre chose. Ici, non seulement c'est moins subtil que dans la série (si j'en crois tes propos), mais c'est l'éternel retour d'un procédé déjà utilisé maintes fois par le cinéaste.
    Je suis sévère avec ce film mais pas avec Allen en général, dont j'ai beaucoup apprécié la récente période européenne. Mais voilà, à mon sens, un ratage comme il en arrive de temps à autre, une oeuvre en roue libre qui n'accroche jamais le regard et, oui, assez baclée. Je n'ai pas ri moi non plus.

    Doc : Voilà donc une nouvelle preuve : nous aimons tous deux le cinéaste mais pas les mêmes films. Selon moi, "Anything else" n'arrive pas à la cheville de "Mélinda et Mélinda" et "Whatever" est à des années lumières de "Vicky...".
    Je persiste à voir dans ce film un plaidoyer pour un certain style de vie. Il y a bien quelques concessions de la part de Boris, mais au final, c'est vers lui qui tout tend. Lui n'a pas évolué, n'a pas changé de vie, n'a pas changé d'opinion. La fille n'est pas "maltraitée", mais on sait très bien d'où Allen la regarde et donc, d'où le spectateur la juge. Quant au personnage de Boris, il le protège par une espèce d'auto-ironie qui l'absout facilement de ses petits pêchés. Il n'y a pas de réelle remise en question.

  • TG : Oui, c'est une bonne question, celle de la non-interprétation du personnage principal par Allen. A mon avis, Larry David n'apporte rien de neuf.

  • Pour ma part, même si j'ai pu admirer certains de leurs opus, je ne suis en 2009 ni Clintien, ni Woodyen, ni républicain, ni démocrate, somme toute. Après "Gran Torino", "Whatever works" est l'une des immenses déceptions de l'année. J'y verrais même un problème identique: une façon de dessiner le monde en deux camps antagonistes, quelque chose d'assez binaire et caricatural qui m'empêche de croire aux conversions subites des personnages. Je sais bien qu'on est dans la comédie, mais je ne retrouve rien de la profondeur humaine, de l'empathie des précédents opus. Juste des marionnettes pas très sympathiques et une morale cynique contenue dans le titre.

  • Je ne suis donc pas le seul à avoir mis en parallèle les deux films...
    Ce qui fait, selon moi, l'écrasante supériorité de "Gran Torino" sur "Whatever", c'est notamment sa construction narrative et sa façon dépasser justement son point de départ binaire. Chez Woody Allen, les changements affectant les personnages sont totalement arbitraires et ne sont justifiés que par la morale du cinéaste, alors que chez Eastwood, les actes et les paroles ont des causes multiples et précises. De plus, et encore une fois, la mise en miroir auquel se soumet le second me semble bien plus riche de contradictions et bien plus passionnante que celle du premier, avec sa petite ironie qui ne bouleverse rien.

  • Comment peut on prendre au sérieux ce film au point d'y voir une leçon de moral ou du prosélytisme ?

    Pourquoi pas un film de propagande pour le triolisme ou l'homosexualité tant que vous y êtes.

    Il s'agit juste d'une comédie avec des dialogues éblouissants et comme toujours chez Allen, un romantisme secret et pudique.

    Dernière question à ceux qui noux expliquent régulièrement qu'Allen n'a plus fait un bon film depuis 10 ans: pourquoi vous infligez vous ça ?

    Allen doit être le seul cinéaste dont on va voir les films en sachant par avance qu'on ne les aimera pas, juste pour le plaisir d'en dire du mal et d'être condescendant vis à vis de ceux qui les ont aimés.

  • Et puis franchement, le personne de Larry David ne fait pas envie: solitaire, dépressif, sale (quel appartement....), méchant. Si ça c'est du prosélytisme.

    D'ailleurs, personne n'a suivi sa voie à la fin du film: un petit couple bobo, un trio d'artistes, un couple homo; rien à voir avec le scientifique hétéro aigri.

    C'est le sens même du titre du film et je ne vois pas comment on peut conclure que "tous ont été convertis".

    Eastwood est beaucoup plus complaisant envers son propre personnage: si la déchéance physique est montrée, du point de vue moral, c'est toujours lui le modèle.

    A cet égard, vrai malaise devant ce WASP qui apprend au petit niakwe délinquant à devenir un véritable homme, c'est à dire un américain conduisant une grosse voiture américaine en faisant de bonnes vannes américaines.

    Pour le coup, le mot de conversion est bien choisi.

    Dernière chose, l'immense différence entre les deux films, c'est l'effet de surprise.

    Dès les 10 premières minutes, on a compris ce que serait en gros GRAN TORINO (la rédemption du raciste, l'histoire d'amitié avec les voisins, le père et le fils de substitution etc...).

    Le Allen part dans tous les sens, dans un joyeux bordel qui donne l'illusion de la vie.

  • Pour finir et après j'arrête:

    Qu'aura découvert Eastwood de ses voisins ? Leur bouffe, point barre.

    Leur histoire ? Leur culture ? Leur spiritualité ? Non, juste des nemmes.

    On peut trouver cette attitude "honnête"' comme vous ou juste désolante comme moi.

    Cela dit, la chanson sussurée par Eastwood à la fin du film est très jolie.

  • Si Whatever works est "juste une comédie", mais que l'on peut y trouver aussi le "romantisme secret" de Allen, je ne vois pas pourquoi je me fourvoierai en le prenant au sérieux et en y trouvant une leçon de morale.
    Pour la conversion, tous se retrouvent chez lui dans la dernière scène et tous ont adopté le style de vie "intello new yorkais", après une série de revirements totalement arbitraires. C'est en cela que je vois du prosélytisme : Allen chante un mode de vie, le sien. Vous me direz, il a toujours fait ça. Vous avez raison et quand c'est réussi, cela ne me gène pas.
    Malgré mon jugement sévère cette fois-ci, je continue à aller voir les films d'Allen sans traîner les pieds. J'ai dit ici même, à l'occasion de leurs sorties, tout le bien que je pensais du "Rêve de Cassandre" et surtout de "Vicky...".

    Enfin, sur Eastwood. Si le personnage de "Gran Torino" n'évolue pas du point de vue moral, je ne sais pas ce qu'il vous faut. Si cela avait été le cas, aurait-il été se "suicider" ainsi au final, sans arme ? Et le personnage en apprend un peu plus, notamment auprès de la jeune voisine (sur la culture, sur l'histoire de sa communauté), que simplement le bon goût des nems.

    Par "honnête", je voulais dire qu'Eastwood s'interroge sur son personnage de cinéma et ses contradictions, sur sa carrière bâtie sur le thème de l'auto-défense etc... Allen, par l'intermédiaire de Boris paraît se moquer de lui-même mais finalement, ne se remet jamais vraiment en question avec ce film ("Tout est bien qui finit bien, rien n'a bougé").

  • Et on pourrait aussi se demander, qu'a appris Boris de ces gens qu'il méprisait avant qu'ils ne le "rejoignent" ?

  • 1) Je ne vous visais pas à propos des gens qui dénigrent systématiquement Allen tout en allant voir ses films à chaque fois, mais je pensais à l'une des premières réactions.

    2) "Allen chante un mode de vie, le sien" Non. Il évoque son mode de vie mais dans tous ses films, il y a toujours une ironie dévastatrice à l'encontre de ses personnages.

    Annie Hall est une ch..., Alvy Singer un égoiste épouvantable, Harry un pauvre obsédé sexuel totalement inadapté à la vie etc...

    Toute proportion gardée, votre remarque me fait penser à ceux qui qualifient Proust de romancier mondain, le pire contre sens qu'on puisse imaginer.

    Et puis le plus beau personnage d'Allen, c'est quand même la petite serveuse de la Rose pourpre, bien éloignée de l'intello de NY, voire le gangster de "Coups de feu..." qui ironie du sort, a cent fois plus de talent que les poseurs de Broadway qui constituent l'univers habituel du cinéaste.

    3) "Si le personnage de "Gran Torino" n'évolue pas du point de vue moral, je ne sais pas ce qu'il vous faut."

    Le personnage passe de la haine au paternalisme; dans les deux cas, il y a un refus de considérer l'étranger comme un alter ego.

    3) "qu'a appris Boris de ces gens qu'il méprisait avant qu'ils ne le "rejoignent" ?"

    Ca me paraît évident: le misanthrope a (re)découvert l'amour; c'est en cela que le film est gentiment romantique.

    Au lieu de basculer vers la solitude après son deuxième suicide raté comme il l'avait fait après le premier, il s'ouvre vers les autres, probablement grâce à la fraicheur de sa jeune amie et au grain de folie de la mère de cette dernière.

    La vie appelle la vie, par contagion.

    A l'opposé, Eastwood reste finalement misanthrope; certes, il s'est attaché à ses voisins mais le monde reste quand même pourri d'où, en partie, sa décision de se suicider.

    Le Eastwood est morbide quand le Allen respire la joie de vivre; l'un fait bien son âge quand l'autre a l'air d'avoir 20 ans.

  • ca y est, je l'ai vu hier soir. Je suis plutôt sur la ligne du bon Docteur, le film a "marché" pour moi, j'ai marché au film, bref, nous sommes effectivement en deçà de "Vicky, Cristian, Barcelona", mais je ne pourrais prêter à Woody les sombres arrières pensées manipulatrices dont tu parles. Ceci dit, je me refuse à tracer une frontière entre Allen et Eastwood, ils ont tous les deux leurs grands moments et des choses qui nous laissent perplexe, ça fait partie du jeu, ce jeu que nous jouons avec eux depuis 20, 30 ans. Tant que ça fonctionne.

  • Vincent : bien sûr que WA n'est pas devenu un terrible manipulateur (son cinéma peut-être déconstruit mais pas manipulateur, contrairement à celui d'Eastwood qui peut l'être parfois) mais disons alors qu'il fait passer son message bien maladroitement, en premier lieu en faisant exactement ce que son alter-ego condamne chez les autres dans son premier monologue : nous dire comment il faut vivre.
    Je juge seulement sur les deux derniers opus d'Eastwood et Allen qui me semblent procéder du même désir de mise en abîme, je ne trace pas de frontière. Si l'on se mettait à comparer "Vicky Cristina Barcelona" et "L'échange", ma position serait inverse. Sur leur carrière, les deux me paraissent au même (très haut) niveau.
    Bref, pour moi, pour une fois, "ça n'a pas fonctionné".

    Rémy : 1) J'ai fait exprès de ne pas comprendre que vous ne me visiez pas à cet endroit-là. J'en ai juste profité pour préciser ma position générale sur WA.
    2) Loin de moi l'idée de réduire WA et son cinéma à l'archetype immuable du personnage d'intello new yorkais. Si j'aime la plupart de ses films, c'est que j'y trouve forcément plus de variations que ne veulent bien le dire ses détracteurs. Et j'aime aussi tous les personnages que vous citez. Mais celui de Boris ne m'a jamais touché et son interprète m'a paru très insuffisant. Par conséquent, et compte tenu de tout ce que j'ai déjà pu dire, cette "évocation" d'un mode de vie m'a semblé particulièrement pesante.
    3) Je pense que le personnage d'Eastwood se trouve un alter ego, qu'il refuse tout d'abord, avant de le reconnaître : la vieille femme d'à-côté. Je ne parlerai pas de paternalisme dans son rapport avec la fille. Ils se parlent d'égal à égal. En revanche, il y en a certes avec le garçon mais l'on peut tout aussi bien voir cela simplement comme l'expression du fort désir de transmission qui anime Walt Kowalsky.
    3bis) Vous faîtes bien de rajouter "en partie" dans votre explication de la fin de "Gran Torino" car il y a une quantité de raisons convergentes : le poids du remords, l'annonce d'une maladie grave et surtout la recherche de la seule issue légale possible pour sortir de l'engrenage en sauvant ses voisins, ce qui l'éloigne de la misanthropie.
    Boris qui retrouve goût à la vie, ce n'est qu'un gag. Il change d'avis car il tombe sur une belle femme. A mon avis, il s'ouvre aux autres seulement parce qu'ils vont vers lui.
    Enfin, ne soyons pas si tranchés : chez Eastwood, il y a une petite lueur subsistant dans les ténèbres et chez Allen, la comédie n'est jamais exempte de noirceur.

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