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Le grand silence

(Sergio Corbucci / Italie - France / 1968)

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grandsilence.jpgMalgré le fait qu'il soit loin d'être détestable, j'ai quelques problèmes avec Le grand silence (Il grande silenzio), western italien qui ne manque ni d'admiratrices ni d'admirateurs.

Les montagnes de l'Utah à la fin du XIXe. Des bandits s'y cachent, des chasseurs de primes les traquent, un étranger vengeur les protège et un sheriff leur promet une amnistie. Certes, la préférence ayant été donnée pour une fois à la neige et non à la poussière, le cadre est original mais Corbucci en tire parti de manière assez inégale, plus efficace dans les détails (les fusils enrayés, les corps gelés, la diligence comme recouverte de glace) que dans les plans d'ensemble (l'abus des chevauchées dans la neige, l'imprécision de la topographie - où se réfugient les bandits ? de quel côté se trouve la ville ?). Le cinéaste a un sens de l'espace très relatif et ses séquences d'intérieur reposent essentiellement sur les dialogues (par exemple, l'ultime séquence au saloon n'est mémorable que pour sa violence). Le film est d'ailleurs plus bavard que ne l'annonce son titre et le choix d'un héros muet. Les évènements nous sont la plupart du temps expliqués par les protagonistes. De même, les deux flash-backs éclairant les motifs de la vengeance de Silenzio n'apportent pas grand chose d'autre qu'une illustration.

Corbucci, surtout dans la première moitié, filme vraiment à la va-comme-j'te-pousse : zooms acrobatiques, recadrages incessants sur des éléments du décor ou sur les personnages, cadre tremblé et images floues. La grossièreté du style rejoint celle du langage, tirant le tout, régulièrement, aux portes de la caricature. Les barbes, la crasse, le froid, les cicatrices trahissent moins une volonté de démythification des figures du western qu'ils ne s'érigent en simple signe de reconnaissance du genre à l'Italienne. Plus gênant encore, de mon point de vue, est l'évaporation de la vérité des gestes, notamment pendant les fusillades. La séquence de l'entraînement au tir sur des patates par Silenzio et le sheriff vire à la parodie. Dans les différents face-à face, la rapidité du découpage annule les gestes, ne donnant à voir que les prémisses et le résultat. En privilégiant la vitesse, Corbucci nous prive de la lecture du trajet des balles. Devant ces confrontations si ouvertement irréalistes, il n'est finalement même plus question d'adresse.

L'éloignement permet encore une fois de porter un regard original et critique sur l'histoire de l'Amérique, le carton final rappelant la véracité du contexte. Malheureusement, le sujet, méconnu, est traîté sans trop de nuances : les bandits pourchassés sont les "bons", les chasseurs de primes les "méchants", les notables sont "les corrompus". Les représentations sont trop claires et les causes trop obscures par défaut d'approfondissement.

Ce qui semble rester longtemps dans les têtes cinéphiles est le final du Grand silence. Assumée par Corbucci de manière bravache, sa noirceur surprend et accroche indéniablement. Le hic est toutefois que, passé l'effet de surprise, la séquence ne se voit lestée que d'une valeur de provocation. Dans les cent minutes précédentes, rien n'annonçait ce changement de ton puisque tout, y compris les disparations des personnages les moins antipathiques et les violences à l'encontre des plus faibles, se trouvait mis à distance par un point de vue ironique, voire farceur.

 

Merci à Jocelyn

Commentaires

  • Voilà ce que j'en avais écrit il y a deux ans après l'avoir vu pour la première fois.
    Vu hier Le grand silence qui ne m'a que peu inspiré. Une curiosité tout au plus, Trintignant dans un rôle de muet face à l'incontournable Klaus Kinski dont seul Werner Herzog saura la démesure. Une fin un peu étonnante quand même, conditionnés que nous sommes par le happy end de rigueur dans la plupart des westerns.

    Je ne suis pas un zélateur du spaghetti-western,ni un amateur bien que les films de Sergio Leone soient maintenant au patrimoine, mais Leone est bien au-delà de ce simple sous-genre.Mais, diable, que de neige dans Le grand silence,une neige westernienne qui m'a relancé tout schuss sur la piste de de deux grands moments de blancheur d'une tout autre qualité.Il est vrai que Sergio Corbucci n'est ni Pollack ni Altman.Les deux grands moments de blancheur étant bien sûr Jeremiah et John que les amateurs auront reconnus.

  • :)
    Bon évidemment, j'aurais préféré que tu sois aussi enthousiaste qu'avec Castellari. J'ai souvent abordé le film, je ne reviendrais pas sur les points qui font de ce film, pour moi, une perle noire inoubliable.
    Une chose sur la maîtrise de l'espace. J'avais étudié une scène de "Django" pour me rendre compte qu'il y a un travail très précis de Corbucci sur ses fusillades, particulièrement en intérieur. La façon dont il positionne ses personnages et les fait se déplacer durant la confrontation dessine une sorte de géométrie dans l'espace et, effectivement, quand ils tirent, c'est très rapide, presqu'abstrait. Il rejoint en cela les principes de Hawks qui faisait toujours éclater la violence en un éclair. Ça le démarque du style de Léone et, outre atlantique de Peckinpah. On retrouve ça dans plusieurs scènes, notamment le duel final qui dessine comme une forme de croix, rimant visuellement avec le martyre de Silence. Bref, je trouve ça très pensé, ce qui n'ôte rien, c'est vrai à certaines approximation par ailleurs, mais chez Corbucci, c'est une habitude. Et je m'y suis fait.
    Sur Kinski, on parle toujours d'Aguirre, Aguirre... Mouais, je trouve sa composition ici tout à fait remarquable, d'autant plus qu'il joue pour une fois dans un registre sobre et qu'il personnifie une éclatante figure du mal tout en suavité. Pour moi, c'est son plus beau rôle.

  • Aaaaaaaaargh !!! Chuis d'accord avec Vincent :)
    Le grand silence est un film d'une noirceur absolue et sans appel.
    En fait, c'est justement le mélange de comique grinçant, d'idioties patentées et de méchanceté grandiose qui font la saveur de ce film. Et le final apocalyptique, je pleure... quoique Klaus, bon sang de bois, a-t-on réellement envie de le voir périr pour ses péchés demande la perverse ? Et bien non ! c'est une des plus grandes figures monstrueuses que Kinski ait eu à jouer sans pour autant en faire des tonnes.
    Et chez Herzog, en définitive, ma scène préférée est celle d'Ennemis intimes où Werner le surprend à jouer avec un papillon... scène d'un suspense éhonté car à chaque fois que je le vois si souriant, je m'attends à le voir écrabouiller la bestiole... :D

  • Mais Kinski est doublé en italien, non ? N'est-ce pas problématique d'y voir là sa meilleure composition ? Cette suavité, cette sobriété, n'est-elle pas due à la voix très douce que Corbucci a choisi de plaquer sur les lèvres de l'acteur ?

    Je suis donc en accord avec eeguab, préférant largement Kinski chez Herzog. "Aguirre" est pour moi indépassable de ce point de vue, collant au plus près au comédien, fixant son magnétisme avant d'en offrir ensuite des variations un peu moins fulgurantes ("Fitzcarraldo", "Nosferatu" ou "Woyzeck").

    Vincent, je prends note de tes arguments quant à la mise en scène de l'espace chez Corbucci. Peut-être n'ai-je pas été assez attentif tout du long, mais pour tout dire, le début, de ce point de vue, m'a agacé par ses facilités, ses quelques plans mal foutus, ce style trop heurté... D'autre part, il me semble que si, chez Hawks, la violence survient effectivement en un éclair, elle est le prolongement de gestes très purs, très clairs, très réalistes. La façon dont Wayne tient son fusil dans "Rio Bravo" veut vraiment "dire" quelque chose. Ici, Trintignant a un pistolet particulier mais cela reste un gadget, il n'implique pas une gestuelle ferme ni marquante.

  • Bon, déjà je suis déçu : je ne compte ni parmi les admiratrices ni parmi les admirateurs alors que j'y ai consacré une note élogieuse...

    Après, je n'ai pas tout lu mais je me demande comment tu peux mettre 3 cases à Keoma (qui est bien bien ridicule quand même... avec de bons morceaux de mise en scène dedans j'suis d'accord) et 1 case à cet western unique qui ne ressemble à aucun autre et qui est très beau, poétique, nihiliste, entêtant. Singulier tiens, pour résumer. Personnellement, je le compte parmi mes favoris.

    Enfin, sur Kinski, on tombera peut-être tous d'accord : il est insurpassable dans Aguirre et c'est bien avec Herzog qu'il est le meilleur.

  • J'm'en vais tous vous mettre d'accord... le meilleur dans les duels c'est lui !!!
    Ici : http://lanuitdescinesfous.tumblr.com/post/191620938
    ou là : http://lanuitdescinesfous.tumblr.com/post/191624662

    et parfois, peu importe la langue si le film est bon ! d'ailleurs, la première fois que j'ai vu le Corbucci, il était doublé en arabe avec sous-titres français !!!!
    Bon, j'vous laisse, j'vais creuser
    :D

    PS. Julien, ousqu'elle est la note élogieuse ?

  • C'est ici Frederique (mais attention, je ne prétends pas à la plume ni au degré d'analyse d'Ed, Dr Orlof ou Vincent) :
    http://casaploum.20six.fr/casaploum/art/143910783/Il-grande-silenzio-1968-Sergio-Corbucci

  • @Julien : t'inquiètes grand fou, je ne suis pas sectaire !!! en plus un gars qui aime Corbucci ne peut pas être complètement mauvais... :D

  • Julien : Je comprends ta déception... C'est que ma phrase-liens était avant tout un clin d'oeil aux deux personnes qui m'attendaient le plus au tournant, suite à ma note sur "Keoma" et aux commentaires postés (j'ai parfois eu l'impression de sentir leur regard au-dessus de mon épaule, derrière mon canapé, pendant le film). Quoi qu'il en soit, tu as bien fait de mentionner ta note.
    Pour mes jugements respectifs sur le Castellari et sur le Corbucci, tu n'as qu'à tout lire... :-D. Enfin, je dirai que le premier m'a paru plus cohérent dans sa mise en scène, mieux bâti dans son scénario, plus intéressant dans sa vision politique et historique, moins boiteux dans le mélange des genres.
    Voilà, j'espère avoir encore une fois atteint un haut degré d'analyse (tu parles... :-D)

    Frederique : Merci pour ces deux sucreries qui, effectivement, mettent tout le monde d'accord (celle tirée de "Et pour qqes dollars de plus" est aussi pour moi une piqûre de rappel car je n'ai pas revu le film depuis des années, au point d'en avoir oublié l'existence de cette scène).

  • Non mais je blaguais hein, bien entendu ! Keoma, on dirait une BD filmée ou un film pour ados ou pour fans de genre (avec des gros traits bien stéréotypés), très loin du particulier Grand Silence qui, fais la comparaison, est unique en son genre et ne ressemble à rien (c'est un compliment). Après, les goûts et les couleurs... Mais objectivement, je ne vois pas en quoi la mise en scène de Corbucci n'est pas cohérente, ce que souligne Vincent sur son usage de l'espace m'avait aussi marqué et seule cette mise en scène me permet de dire qu'il y a de la poésie et du nihilisme dans le fond...

  • Alors disons que la mise en scène du Grand silence est très heurtée, manque de fluidité, est parfois approximative.

    Et Keoma doit être un peu plus que ce que tu en dis puisque je l'ai apprécié en n'étant ni un amateur de BD, ni un spécialiste du western italien et encore moins un ado... :-)

  • on est d'accord Ed.

  • on est d'accord sauf sur Keoma qui ne vaut pas mieux que Le grand silence à mon avis.

  • Il manquait à ces différentes prises de position un avis négatif qui engloberait les deux titres. C'est fait.

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