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Poetry

(Lee Chang-dong / Corée du Sud / 2010)

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poetry.jpgLes deux précédents longs métrages de Lee Chang-dong, Oasis et Secret sunshine, m'avaient laissé sur une impression mitigée mais plutôt positive. J'attendais donc sans impatience excessive mais avec une relative confiance la sortie de Poetry (Shi), le meilleur film du dernier festival de Cannes selon un nombre non négligeable de personnes. Hélas, à l'intérêt global suscité par les premiers titres cités s'est substitué ici un agacement assez vif.

Le dernier quart d'heure est bon. Enclenché par une petite manipulation narrative pas désagréable (un rebondissement "policier", quasiment la seule surprise scénaristique de tout le film), le final, si attendu soit-il, prend enfin du relief. Celui-ci se révèle tout d'abord grâce à la succession de plusieurs plans marqués par l'absence soudaine de l'héroïne (et de toute autre personne) en leur centre, des plans documentaires tout à coup débarrassés d'une surcharge de sens mais pas de leur vitalité, puis grâce à l'intrusion in extremis d'une poignée d'images, en conclusion, qui s'allègent pour une fois du naturalisme informe dans lequel baigne tout ce qui précède, long de deux heures.

Cent vingt minutes de naturalisme ennuyeux, éreintant, thématiquement appuyé et esthétiquement neutre. Voici un film long dont la durée des plans n'est jamais ressentie comme un enjeu. Le nez est collé à la vitre d'un réel qui n'est ni éprouvé viscéralement, ni distancié. Il me semble que Poetry est un film qui ne "réfléchit" pas. Il cherche à l'occasion à bousculer le regard, dévoilant par exemple une étreinte sexuelle entre une sexagénaire et un vieil handicapé, mais l'audace ne se niche que dans la situation, à aucun moment dans la manière de la montrer.

Mon autre réticence majeure provient de la peinture des personnages. Les comparses apparaissent médiocres et/ou calculateurs (le petit-fils, le groupe de pères de famille, la femme rencontrée au club de poésie) et lorsqu'il s'avère qu'ils peuvent être un support pour la grand-mère (le professeur, le flic), leurs gestes éventuellement réconfortants sont oblitérés par le montage. De plus, en suivant les épreuves subies par l'héroïne, j'ai eu l'impression progressive mais tenace d'assister à une série de scènes de vexations, de séquences régulièrement basées sur le sentiment de la gêne. Il n'est bien sûr pas question de repousser une proposition cinématographique au motif de la noirceur de son propos. Sauf si celui-ci ne débouche sur rien d'autre qu'un repli scolairement poétique. Pendant le film me sont revenues des images d'Import Export d'Ulrich Seidl. Cette œuvre réellement dérangeante, au naturalisme autrement "encadré", alignait elle aussi une série d'humiliations mais dans le but de rendre compte d'une capacité de résistance de l'être humain, sans besoin de béquille spirituelle. Ici, nous sommes menés vers le sacrifice, la résignation, la "poésie". Poetry échoue donc à se placer entre les deux grands films contemporains sur le sujet (la lutte d'une mère ou d'une grand-mère confrontée, à cause de sa descendance, à l'impensable) : Mother et Lola.

J'ai bien conscience d'émettre là un avis très minoritaire. Perdues au milieu de tant de réactions dithyrambiques, les recensions négatives se comptent sur les doigts tendus d'une main de tétraplégique. En voici deux : et (post du 27 août).

Commentaires

  • Et bien je crains pas de rejoindre les très minoritaires (formons un choeur !) je suis plutôt d'accord, même si je n'aurais pas été aussi sévère ("ennuyeux, éreintant, thématiquement appuyé et esthétiquement neutre", c'est peut être un peu poussé, mais bon...)
    Car de mon côté, ce qui m'a surtout irrité, c'est cette manière de nous prendre par la main pour souligner constamment et insidieusement son savoir faire "regarde, regarde spectateur comme je suis faire et je fais un très joli film avec du sordide...)

    http://ma.vie.a.nantes.over-blog.com/article-quel-est-le-commun-entre-la-poesie-et-une-pomme-57065284.html

    Par contre pas vu Import export, mais je garde par contre un bon souvenir (façon de parler) de son précédent Hundstage (dog days en bon français) un peu facile parfois, certes, mais efficace

  • Bonjour,
    C'est curieux le didactisme est normalement quelque chose qui m'insupporte, mais là je ne sais pas, j'ai eu l'impression que cela participait au charme enfantin du film. C'est pas de la poésie grandiloquente, c'est du petit poème d'écolier brimé. Je trouve que ça fonctionne bien ainsi. Et puis j'ai été touché par ce chemin de compassion, que je trouve ma foi assez cinématographique dans son principe.

  • Après les enfantillages, passons donc aux choses sérieuses. Quelle plaie que ces minorités agissantes :)
    Ce n'est pas évident de te répondre, d'une part je n'ai pas vu les autres films que tu cites et tu n'as pas (encore) vu "Boonmee", ce qui permettrait d'avoir des points de repère qui permettraient de mieux comprendre pourquoi ça passe ici quand là ça ne passe pas et vice versa.
    Il est certain que Lee Chang-dong fait des films sur le fil. Je n'ai jamais été retourné (au sens retourné comme un espion) comme avec "Oasis" en cours de film. il est donc aisé de basculer d'un côté ou de l'autre et de ne voir qu'ennui là où d'autres (moi au hasard) voient poésie (on va dire comme ça). Typiquement, sur la scène de sexe que tu évoques, je te renvoie au texte écrit pendant Cannes (http://inisfree.hautetfort.com/archive/2010/05/29/cannes-2010-un-peu-de-poesie-dans-un-monde-de-brutes.html) j'y vois une mise en scène aussi intelligente qu'audacieuse. Je ne suis pas d'accord sur l'idée d'humiliation, de résignation, etc. c'est le genre de chose que j'apprécie peu dans les films (c'est Haneke, ça). J'ai aimé justement dans ce film l'idée opposée, celle de la renaissance, d'une autre façon de vivre sa vie en étant soi-même, en cherchant quelque chose qui permet de surmonter les coups de l'existence (sévères ici il est vrai, comme dans les films précédents) et sans "béquille spirituelle" chose à laquelle je suis très sensible.
    L'idée maîtresse de Lee Chang-dong me semble être "le bonheur ici et maintenant et malgré tout". Sans vouloir remuer le couteau dans la plaie, la lecture du dernier Positif comme le texte de Une fameuse gorgée... (sans oublier le beau texte de Joachim dans Les Cahiers) laissent entrevoir une volonté d'opposer "Poetry" et "Boonmee". Artificielle peut être je ne saurais dire, j'ai aimé les deux films, mais différemment et il est clair que je me sens plus proche du premier que du second.

  • J'en ai très envie (comme le Weerasethakul), malheureusement pour ce genre de film il faut, par chez moi, patienter longtemps, longtemps...

  • Yoye : "souligner insidieusement" cet accollement contradictoire démontre, je trouve, qu'il n'est pas si facile que cela de parler de ce film (que ce soit en bien ou en mal)...
    Pour Dog days, nous partageons le même "bon souvenir".

    Timothée : Même si, pour moi, cela n'a pas "marché", je peux comprendre ta position, par rapport à la façon dont est utilisée la poésie dans le film. L'approche didactique, scolaire, est en quelque sorte justifiée par le choix des personnages, de l'environnement etc... (on pourrait presque dire une poésie "à ras de terre", comme ce que filme le cinéaste tout du long).

    Vincent : Pas facile donc, de débattre de ce film, même sans chercher à le relier à d'autres. Pour moi d'autant plus que mon désintérêt provient d'un sentiment de manque, bien plus que d'un rejet d'éléments qui s'y trouveraient. Manque de mise en scène, manque de "vibration" à l'intérieur des plans, manque de singularité esthétique... Alors sans doute, la frontière est ténue entre l'absence de style que l'on déplore et la subtilité et l'intelligence que l'on admire. Partant de là, cela apparaît moins étonnant que tu vois renaissance et bonheur préservé lorsque je vois anéantissement et résignation. J'avoue de plus (ce qui est aussi une explication à mes grandes réserves), que je n'ai guère été touché par l'actrice ni par son personnage, rendu par la maladie parfois ridicule.
    En ce qui concerne l'opposition que tu évoques entre Poetry et Boonmee, il faudrait que, d'une part, je vois ce dernier et que d'autre part, je lise les textes. Je n'ai pas encore lu celui sur Poetry dans Positif, à l'inverse de celui sur Boonmee, qui, il faut le noter tout de même, a été laissé à un défenseur, et pas lu non plus celui de Joachim. Mais il me semble à moi aussi que cette volonté existe en plusieurs endroits...

    Ornelune : Pour le Weerasethakul, il va falloir, moi aussi, que je patiente encore un peu...

  • Alors je vois que les divergences commencent à apparaître en cette fin d'année : c'était trop beau pour durer ;)
    Pour ma part, le terme qui me fait le plus tiquer dans ton article est celui de "naturalisme" : le film me semble opposé à cette notion et, je rejoins Timothée, il vise davantage du côté d'une certaine poésie qui ne m'a jamais semblé "ostentatoire" (comme elle peut l'être, par exemple, dans "Bright star" que j'aime bien par ailleurs).
    Effectivement, j'ai aussi été gêné parfois par la manière de caractériser l'adolescent (petite brute lobotomisée par sa télé et son ordinateur) mais je trouve que le cinéaste parvient toujours à rendre plus complexes les êtres qu'il filme, au-delà des apparences.
    Le film me semble donc toujours sur le fil du rasoir (d'où sans doute, comme le dit Vincent, le fait que certains le rejettent) mais réussi.

  • Doc : Sans relever cette pique envers le chef d'oeuvre de Jane Campion, j'ai été réagir chez toi.


    Désolé (?) chers amis, mais j'ai découvert aujourd'hui deux nouveaux textes sur Poetry. Allez-y voir, ils sont, au mieux, réservé (sur De son coeur le vampire), au pire, assassin (chez Rob Gordon). :)

  • Je me doute bien que tu n'est pas désolé :) mais si je repasse minoritaire, ça va peut être me remotiver en défense. Pour ne pas me disperser, je vais rester ici (il y fait bon, les sièges sont confortables).
    Un point pour commencer que j'ai relevé chez deux des chroniqueurs, le passé de ministre du réalisateur, point qui me semble amené de façon injuste et qui appelle de ma part quelques informations supplémentaires. Lee Chang-dong a été ministre de la culture de 2002 à 2004, essentiellement pour mettre en place un système inspiré de celui de la France et destiné à encourager et soutenir la production de films coréens. Ca n'a pas été de la tarte et il a été régulièrement attaqué par les amis des arts et de la poésie vraie que sont l'OMC et l'administration américaine. Si le cinéma coréen se porte aussi bien (quoique rien n'est jamais acquis en la matière, il y a eu de nouvelles attaques ces dernières années), c'est grâce à ce système. Je ne suis pas sûr qu'en tant que cinéaste il y ait gagné grand chose (voir ses récents entretiens et le récit de ses difficultés à monter ses deux derniers films) ni qu'il soit un puissant quelconque que le jury de Cannes, bien intentionné, aurait caressé dans le sens du poil. Quoiqu'un film coréen de Tim Burton ferait sans doute du bien à l'américain.
    Pour le scenario et la mise en scène, je prends le temps de la réflexion :)

  • Vincent : Installe-toi à ton aise... Je m'éloigne juste le temps du weekend (pour revenir enfin dans la peau du gentil, en parlant du film de Xavier Beauvois).
    Merci pour ces précisions sur Lee Chang-dong homme politique. Les petites attaques des collègues sur le sujet peuvent effectivement apparaître comme des facilités. Je pense que ce sont avant tout des formules... Mais tu fais bien de corriger un peu ce tir (pour celui visant scénario et mise en scène, on verra plus tard :)).

  • Tiens moi non plus, je n'ai pas trouvé l'actrice super. En fait, elle minaude un peu. Mais je crois aussi que son personnage est comme ça. On voit bien qu'elle fut d'une grande beauté (malgré l'âge, ses traits restent très fins, très doux) et peut-être que ce minaudage faisait partie de son charme...

  • Nolan : Certainement, oui, cet aspect du personnage est volontaire. Sa façon de s'habiller, sa façon coquette d'évoquer sa beauté passée le laissent penser. Personnellement, cela ne m'a pas vraiment ému.

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