****/****/****
Le génie de Kelly, la maîtrise de Donen, la pertinence de Comden et Green (au scénario)... Inutile d'insister sur tout cela. Mais en revoyant Chantons sous la pluie pour là énième fois, je me suis surtout dit que ce qui le rendait décidément inaltérable, c'était son double statut d'œuvre divertissante et réflexive. Le rêve hollywoodien est ici réalisé dans le sens où le spectateur, quelque soit son âge, sa culture, son humeur et son niveau de lecture, est accueilli avec la même grâce. Car ce film porte en lui son propre commentaire, tout en nous laissant libres de le lire ou pas. Gene Kelly cherche d'emblée la connivence, entrant dans le champ avec un sourire ostensiblement affiché et nous réservant, à nous seul, la vérité sur le parcours de son personnage, grâce à l'insertion d'images contredisant les propos tenus face à ses fans. Comme ils le font de l'opposition entre bons et mauvais acteurs, les auteurs s'amusent de celle existant entre "culture de masse" et "haute culture", l'intégrant à une écriture du comique qui repose notamment sur la gêne (ressort classique dans la comédie hollywoodienne, qui, ici, n'est jamais activé contre les personnages puisque le dépassement de cette gêne est aussi donné à voir, comme le montre la séquence de la fête dans laquelle Debbie Reynolds sort du gâteau et découvre dans l'assistance Gene Kelly, qu'elle vient de rencontrer et de rabrouer pour la vulgarité de son art : désarçonnée, elle se donne pourtant à fond jusqu'au terme de son numéro de music hall un peu nunuche).
Quand nous pouvons savourer la réflexion sur le genre et l'approche historique précise, d'autres, les plus jeunes par exemple, peuvent profiter du caractère instructif du spectacle. Derrière les frasques des stars, se discerne l'hommage aux artistes et techniciens de l'ombre (dans le duo Don Lockwood - Cosmo Brown, soit Gene Kelly - Donald O'Connor, c'est bien le moins célèbre des deux, le compositeur, qui trouve généralement les solutions aux problèmes artistiques). De même, toute la machinerie du septième art est exposée, à l'occasion bien sûr de la déclaration d'amour chantée dans le studio désert mais figurant bientôt un extérieur au clair de lune magique ou encore de la balade des deux amis qui les fait passer devant plusieurs plateaux où se tournent des films de série. Par conséquent, un peu plus tard, lorsque se fait le numéro Good morning dans la maison de Don Lockwood, celle-ci apparaît comme un pur décor, avec ce faux mur de cuisine à travers lequel passe la caméra et une chute finale sur un canapé, accessoire utilisé peu de temps auparavant pour le Make 'em laugh d'O'Connor dans le studio de cinéma.
La dernière partie du film est toujours aussi éblouissante. Peu après le fameux numéro-titre (quelles admirables variations de rythme !), vient le morceau de bravoure Broadway melody, merveilleusement détaché du reste du récit, illustration d'une idée que Don Lockwood explique à son producteur (celui-ci ayant du mal à la "visualiser" et décidant probablement de ne pas en tenir compte pour le film en cours de réalisation). La (seconde) première du film dans le film est l'occasion de dénouer l'intrigue. Kelly et Donen tirent alors un parti admirable du lieu tout en rendant un nouvel hommage au music hall. Et enfin, Don Lockwood rattrape Kathy Selden, le chant et la musique reviennent, le spectacle descend dans la salle, le cinéma est partout. Debbie Reynolds se retourne brusquement vers Gene Kelly et son visage en larmes bouleverse, que l'on soit n'importe quel type de spectateur...
De Donen à Oury et de Kelly à Montand, la chute s'annonçait rude, mais elle fut quelque peu amortie. Le corniaud était, dans mon souvenir, meilleur que ce qu'il est réellement. Avec La folie des grandeurs, la modification de mon jugement se fait dans le sens inverse. Alors que je m'attendais à revoir une œuvre médiocre, je me suis retrouvé devant une comédie assez agréable, pas loin d'être une vraie réussite.
Inspiré du Ruy Blas de Victor Hugo, le scénario fait preuve de consistance et ménage de plaisants rebondissements. Ainsi, bien campés sur leurs jambes, les auteurs du film peuvent glisser des anachronismes de langage ou de comportement, des pointes d'absurde, du comique plus distancié que d'ordinaire (les apartés que nous réserve Montand, la lecture de la lettre qui se transforme en dialogue avec une voix off, les clins d'œil au western italien). Les gags sont nombreux et atteignent souvent leur but.
Le film a, de plus, une vivacité certaine. Le soin apporté à l'ensemble (décors, costumes, photographie, interprétation de qualité égale) fait que le rythme est tenu sans réel fléchissement. Les scènes d'action, souvent pathétiques dans ce genre de production, sont réalisées avec vigueur (la capture de César par Salluste, l'évasion du bagne dans le désert) et même lorsqu'elles gardent un pied dans le pastiche, elles ne tombent pas dans le ridicule. Il y a certes quelques facilités ici ou là et une musique bien faible, signée de Polnareff, mais le refuge dans un passé lointain et le relatif éloignement géographique autorise mieux les fantaisies. La mise en scène d'Oury n'a rien d'exceptionnel, les différents mouvements s'effectuant de manière assez rigide, mais tel raccord ou telle plongée ont leur efficacité.
Le dynamisme provient de l'histoire, de l'équipe de réalisation, mais aussi et surtout, du remplacement de Bourvil par Montand. Alors que le premier restait toujours en-dessous de De Funès, encombrait parfois ses avancées, le second lui tient parfaitement tête et parvient à se caler sur son rythme effréné. Montand apporte sa verve et, par rapport à son prédécesseur, rend infiniment moins gnan-gnan les épisodes romantiques (qui sont de plus, ici, accompagnés d'une légère ironie, via le décorum ou le regard de De Funès).
De Montand à Hallyday, la chute s'annonçait encore plus tragique que la précédente, mais elle fut en fait, elle aussi, assez peu douloureuse. D'ailleurs, j'exagère un peu. La présence de Johnny Hallyday dans Titeuf, le film est limitée, en terme de durée et bien sûr parce que nous nous retrouvons ici uniquement face à son "avatar" dessiné. Toutefois, il faut dire que ces quelques minutes du film de Zep constituent sans aucun doute le meilleur clip vidéo que nous ait jamais offert l'ex-idole des jeunes. La chose a échappé au journaliste de Télérama en charge de la critique de ce Titeuf. Dans l'hebdo, le film est descendu sous le prétexte qu'il marcherait à l'esbroufe. Trois éléments prouveraient, selon l'auteur du texte, la réalité de l'arnaque : la bande originale, l'inadéquation entre le coût du projet et son résultat et enfin le choix de la 3D. La musique est effectivement inégale (le fond étant touché avec un morceau réunissant quatre tocards de la chanson française) mais... relativement en accord avec le sujet et les personnages. Et Zep réussit quand même à placer ces vieux punks des Toy Dolls (pas n'importe où de surcroît). Le fric dépensé et la publicité accompagnant la sortie, à vrai dire, je m'en tape. Reste le problème de la 3D, à propos duquel... je ne peux me prononcer, ayant vu le film en 2D. Cela reste le seul point sur lequel je pourrai m'accorder avec Télérama car je ne vois en effet pas très bien ce que la technique peut apporter dans ce cas précis.
Ceci étant précisé, je dois dire que, de mon côté, c'est au contraire la modestie du film qui m'a plu. Pas de voix people pour de nouveaux personnages (les aficionados, dont je ne suis pas, peuvent éventuellement se plaindre de ce manque de nouveauté), pas de translation spectaculaire du monde de Titeuf (l'amusante introduction préhistorique est une fausse piste) : on reste au ras de la rue, au niveau de la cour de récré. Le fait que Zep ait obtenu le contrôle total de sa création était sans doute, déjà, un gage de fidélité sinon de qualité. L'esprit cracra et bébête de la série et de la BD est heureusement préservé, ce qui nous vaut un festival de gros mots, de blagues pipi-caca et de pensées sexuelles idiotes. L'histoire est toute simple, ancrée dans le quotidien, juste réhaussée visuellement par les illustrations des délires de Titeuf et de ses copains. L'esthétique du film n'est pas transcendante mais quelques idées se remarquent, ainsi que plusieurs micro-gags à l'arrière-plan. La thématique abordée est celle d'un passage d'un âge à l'autre draînant ses inquiétudes. Si l'issue ne fait guère de doute (happy end pour les parents, plus en demie-teinte pour Titeuf qui doit encore avancer...), cette structure classique donne l'assise nécessaire pour un passage réussi au format long.
CHANTONS SOUS LA PLUIE (Singin' in the rain)
de Gene Kelly et Stanley Donen
(Etats-Unis / 103 mn / 1952)
LA FOLIE DES GRANDEURS
de Gérard Oury
(France / 108 mn / 1971)
TITEUF, LE FILM
de Zep
(France / 87 mn / 2011)
Commentaires
Rien à ajouter sur "Singing in the rain", c'est un sommet. Et cela fait un moment que je me dis que je devrais le montrer à ma fille.
Sur le Oury, je suis assez d'accord, il a beaucoup de verve, mais moi, j'aime aussi la musique de Polnareff qui est pour beaucoup dans le côté western (c'était l'idée proposée par le musicien au réalisateur, d'autant que certaines scène sont été tournées dans le désert d'Almeria, très utilisé dans le genre). Même en disque, ça s'écoute bien.
Titeuf je passe, je n'aime guère la BD.
Je suis peut-être sévère avec la musique de Polnareff (qui ne m'a jamais vraiment attiré) et tu as bien raison de dire que le parfum de western enrobant par moments le film lui doit beaucoup. D'ailleurs, il faut souligner que même cet aspect "spaghetti", qui prend ailleurs souvent la forme de clins d'œil grossiers voire méprisants, est ici assez pertinent.
Pour ce qui est de Titeuf, je n'étais certes pas demandeur pour cette séance, n'aimant pas spécialement la bd. A vrai dire, je m'attendais au pire et j'ai donc été agréablement surpris.