****
L’exercice de l’Etat est un film sans doute "important", un film cohérent qui affronte bravement son sujet, un film qui a assurément des choses à dire, un film qui manifestement marque son public. Ce film pourtant, il ne m’a jamais saisi.
Il s’ouvre sur un rêve érotique et surréaliste, cela, tout le monde le sait maintenant. Mais il faudrait aussi parler du plan qui suit la séquence. Pour montrer d’où proviennent ces images fantasmatiques, la caméra pointe vers la tête endormie du ministre des Transports Bertrand Saint-Jean et glisse le long des draps pour finir par cadrer une belle protubérance ne laissant aucun doute sur l’émoi ensommeillé de ce dernier. Plus tard, on verra notre homme vomir au cours d’un trajet en voiture et à la fin du film, une formidable nomination lui sera annoncée par téléphone alors qu’il est tranquillement assis sur sa cuvette de WC. L’audace est donc de nous montrer enfin à l'écran un ministre en train de bander, de dégueuler et de chier (pas en même temps ! il reste donc un cran à passer...). Avec cet hyper-réalisme, Pierre Schœller se met au niveau désespérant des hommes politiques qu’il filme, colle à leur vulgarité et à leur bassesse. Peut-être le personnage de Michel Blanc y échappe-t-il en partie mais, figure d’une autre époque, il est irrémédiablement condamné à disparaître. Tous les autres sont imbuvables, y compris le premier d'entre eux, qui sacrifiera comme ses congénères ses convictions sur l’autel de sa réussite personnelle. Au passage, il me semble que cette médiocrité morale ambiante se trouve en porte-à-faux par rapport au fantasme visualisé au début. Supposé primordial par cette place même qui lui est accordée, énigmatique, sophistiqué et ouvrant sur des dimensions autres, il ne peut être véritablement celui du personnage. Par ailleurs, si beaucoup d’observateurs parlent d’absence de manichéisme, il faut tout de même remarquer l’opposition radicale qui existe dans le film entre le personnel politique et les "vrais gens". En effet, ici, ce sont les pauvres qui sont plein de noblesse, la façon dont le cinéaste filme leurs visages en plans fixes et pénétrants le montre assez clairement.
Dans sa quête de réalisme documenté, Schœller s’approche au plus près des acteurs, au point que l’accumulation des cadres resserrés sur les têtes parlantes fatigue (même si, admettons le, cela peut être une manière de redoubler les œillères dirigeant le regard de ces responsables politiques coupés de la réalité). En fait, pour se distinguer du point de vue formel, le film compte seulement sur quelques effets d’images-choc : une femme s’engouffrant dans la gueule d’un crocodile, des corps d’adolescents écrasés sous un bus, un membre arraché. Cette dernière image peut être comparée à une autre, qui se trouve dans Paranoid Park. Chez Gus Van Sant, la vision d’un corps tranché en deux articulait le film tout entier car cette révélation-confrontation devenait à un moment donné nécessaire pour le personnage comme pour le spectateur. Dans L’exercice de l’Etat, le plan gore ne produit rien au-delà de son surgissement.
Pourtant, c’est bien lorsqu’il sort de ses rails que le film de Schœller suscite quelque intérêt : quand le ministre s’invite dans la caravane de son chauffeur, quand il décide d’emprunter un tronçon d’autoroute encore en travaux ou quand il récite dans sa tête le discours qu’on lui a interdit de prononcer. Là, cela respire un peu plus et on s'extirpe de la description speedée et appliquée d’un monde détestable. Alors bien sûr des réflexions potentiellement stimulantes filtrent, notamment sur la disparition d'une puissance publique et le maintien de multiples pouvoirs personnels, mais je vois là surtout un film qui épouse trop bien la grossièreté de l'univers qu'il décrit. De plus, en jetant un voile sur la couleur politique précise du clan auquel il s'intéresse et en ne se tournant à aucun moment vers une opposition quelconque, Pierre Schœller pousse à généraliser, à désespérer totalement, à considérer que décidément tous sont pourris et tout est perdu.
L'EXERCICE DE L'ETAT
de Pierre Schœller
(France / 115 min / 2011)
Commentaires
Goodbye cruel world !
PS. C'est très étonnant mais j'ai songé aux Yeux de Laura Mars et ses mannequins découpés en morceaux lors du rêve tant est qu'il est manifestement inspiré par la photo de Newton, particulièrement castratrice
Allez Fred, reste un peu... De toute façon, sur ce film, tout le monde sait que j'ai tort... :)
PS : Jamais vu Laura Mars. Je n'y ai personnellement pas pensé mais c'est vrai pour Newton... Toutefois, cela ne modifie pas mon impression d'une "non correspondance" entre le rêveur et son rêve.
Eh bien moi c'est justement quand le film s'égare dans une maison en construction que Shoeller me perd (pour mieux me retrouver un peu plus loin. Je ne suis pas certain que le metteur en scène fasse de son film une énième démonstration du "tous pourris" mais au contraire, qu'il cherche à cerner tant que faire se peut l'éternel tiraillement entre ambition politique et engagement idéologique. Le jugement est rude. Il mérite toutefois d'être revisé en appel.
Je n'ai pas eu l'impression que le film développait un discours "Tous pourris" mais, par contre, il y a, pour moi, une difficulté d'articulation entre un regard sur le monde politique et l'idée affirmée de l'impuissance (nouvelle) de l'Etat. Autant le premier me semble assez pertinent, autant la seconde m'apparaît contestable. Et il est possible que cette idée contamine le premier film puisque si est mise en jeu la notion d'éthique de conviction, celle d'éthique de responsabilité n'a plus la moindre raison d'être dans la vision de Schoeller. Or, c'est bien dans la confrontation entre les deux qu'une réflexion sur le politique, pas seulement à travers le cinéma, acquiert toute sa dimension.
princécranoir : Oui peut-être le jugement mériterait-il une révision ultérieure. A partir du printemps 2012 par exemple, quand notre vie aura changé et que nous serons tous heureux...
Je dis "tous pourris" non parce que j'y ai entendu ce discours mais parce que c'est un sentiment de désastre qui m'a saisi devant ce tableau. Aucun pour rattraper l'autre. Il n'y a pas de contrepoint, pas d'opposition et le fait de ne pas placer le parti clairement (même si on le pense à droite) peut faire dire : "voilà la classe politique".
Antoine : Ce que tu dis là me fait penser au film de Moretti et au personnage de Piccoli. En fait "Habemus papam" est un peu le miroir inversé de "L"exercice de l'état"... :)
Bonjour Ed.
Vous avez déjà eu mon avis sur ce film par votre "regard d'ensemble" ;-)
Votre billet me confirme en tout cas que, pour ma part, je ne suis pas et ne serai jamais un bon "critique", capable d'aller chercher au-delà de ce qu'il voit.
Pour ma part, j'ai pris ce film dans la figure au 1er degré, sans chercher à y voir trop de symboles (si j'avais dû prolonger votre comparaisons - b..., dégu... et ch... -, alors j'aurais été chercher Reiser à la rescousse! ;-)
Pour moi, c'est "juste" - et c'est déjà pas mal, un film qui, donnant à voir, est susceptible de "donner à réfléchir" (aux citoyens?) sur telle ou telle pratique de la Politique, en leur soufflant, peut-être, que ça peut valoir la peine de "voter" pour une autre. Enfin, on verra dans 6 mois...
(s) T d loi du cine, "squatter" chez Dasola
Hum, je suis moins optimiste que vous quant à la portée du film... Espérons quand même... :)
Je crois que mes illusions sur le monde politique sont depuis bien longtemps déjà perdues, c'est peut-être aussi pour cela que j'ai apprécié ce film!
Moi aussi mais peut-être que je regrette finalement, au contraire, que ce film me conforte là dedans...
Vu ce soir. J'arrive pas à voir l'intérêt. J'arrive pas à voir en quoi c'est pas un téléfilm français vaguement sous speed.
D'accord avec vous sur l'incongruité profonde du rêve inaugural, au sens où il n'a rien à voir avec le personnage (non pas "insaisissable" comme j'ai pu le lire mais "indéfini" comme la plupart des enjeux qui ne sont que brassés). Voir d'ailleurs la reprise presque coupable et maladroite d'une micro-séquence "rêvée" beaucoup plus tard dans le film (le sac plastique sur la tête) : très mauvais passage, je trouve, uniquement pour tenter de se dédouaner que l'ouverture c'est n'importe quoi (en plus d'être lourd, à mon avis : voilà l'exploitation d'une image (Newton-Bausch) qui m'a l'air bien dévoyée).
D'accord aussi sur le rapport avec le GVS. Et je crois que je n'aime pas la scène de l'accident, même si c'est un des rares moments qui pourraient relever d'un truc un peu "cinématographique" : pourquoi cette scène est écrite ? J'ai du mal à ne pas la sentir petit-malin et malhonnête (c'est totalement superficiel et utilitariste, le rôle du chauffeur, je trouve, qui, quelque part, sert avant tout à cette scène-là, ne sert presque qu'à ça, au fond, disons que j'ai envie de trouver ça dégueulasse).
En fait je crois que je suis en colère d'être allé voir ça ce soir :-)
Je suis entièrement d'accord avec votre commentaire D&D.
L'idée du détour est bienvenue mais elle débouche sur cette séquence d'accident, certes spectaculaire, mais que je n'aime pas moi non plus. C'est une séquence qui contraint les spectateurs et qui les poussent à juger, tous de la même façon.