Cahiers du Cinéma, n°356, février 1984
Positif, n°509-510, juillet-août 2003
James Stewart, l'homme de mains en couverture
par Vincent
(Inisfree)
Début 1984, je suis des études scientifiques à la faculté de Nice et baigne dans une intense phase cinéphilique. J'ai trouvé ma voie avec Starfix que je lis depuis janvier 1983, m'intéresse à Mad Movies et abandonne progressivement Première que j'ai toujours trouvé un peu léger. Dans mon entourage cinéphile, on me demande souvent pourquoi je ne m'intéresse pas à une revue plus sérieuse. Les Cahiers du Cinéma au hasard. On me demande aussi pourquoi je ne m'intéresse pas à un cinéma plus sérieux, c'est à dire celui qui est célébré en cette époque par la critique digne de ce nom et, déjà, par l'histoire depuis les années 60. En 1984, je reste réticent face aux sorties des films de Pialat, Rohmer, Antonioni, Godard, Bergman, tous encore très actifs. J'y vois, certainement, le cinéma de la génération d'avant, celle des adultes dont je ne fais pas tout à fait partie. C'est un cinéma que j'oppose encore au mien, plus américain, plus physique, celui de Spielberg, Coppola, Cimino, Dante, Carpenter et Sergio Leone, associé aux grands classiques, Ford en tête. Un cinéma dont The right Stuff (L'étoffe des héros) de Philip Kaufman, sorti fin 83, est un peu la synthèse.
Avec le recul, je pense que j'avais besoin d'affirmer ce cinéma là, celui que je m'étais construit, affirmer mes goûts avant de pouvoir m'ouvrir aux autres, ce que j'ai fini par faire avec le temps. Mais à l'époque, je ne savais pas comment m'y prendre et le choix d'une revue développant un discours dans lequel je pouvais trouver une réponse à mes questions était important. Capital.
Curieux, j'ai donc tenté l'aventure des Cahiers en janvier 1984. Il étaient revenus à une forme plus classique et l'on y trouve alors les signatures de Serge Daney, Alain Bergala, Olivier Assayas (qui m'énervait déjà dans les pages de Métal Hurlant), Charles Tesson, Pascal Bonitzer, etc. Premier essai donc avec le numéro 355 de janvier avec Sandrine Bonnaire et Jean-Luc Godard en couverture, et un dossier sur les inévitables listes de l'année passée où l'on apprend que Maurice Pialat avait aimé Rambo. Peu emballé, je récidive avec le numéro suivant de février à cause de leur couverture. James Stewart et Grace Kelly dans Rear Window (Fenêtre sur cour - 1954), photographie d'exploitation célèbre aux couleurs un peu passées. En 1984, l'évènement, ce sera la ressortie en salles et avec succès de cinq films majeurs d'Alfred Hitchcock, entraînant d'autres ressorties. Hitchcock est alors très haut dans mon panthéon (il l'est encore), et je lis et relis le Hitchbook de Truffaut qui vient d'être réédité. Il y a donc un point de contact. Mais le contact ne se fait pas, l'article de Michel Chion qui rapproche le film de Prénom Carmen de Godard m'est hermétique. D'une façon générale, ce que je tire de cette première expérience Cahiers, c'est que je n'y comprends rien, ou pas grand chose. Et je vais conserver cette impression longtemps. En m'y replongeant, il n'y avait bien sûr rien de si compliqué, simplement je n'étais pas à même de recevoir le langage utilisé et celui de Starfix me parlait plus simplement, plus directement. Ce n'était pas le bon moment et puis les gros pavés de texte m'ont surement découragé. Il y avait pourtant des choses passionnantes, surtout une table ronde sur la critique, son rôle, sa crise, son influence, réunissant Assayas, Daney, Bergala et Toubiana, abordant des problèmes que l'on pourrait transposer mot pour mot aujourd'hui. Comme quoi cela n'a pas beaucoup bougé.
En 1994, je me mets un peu par défaut à Positif. Starfix (et quelques autres) mort et Mad Movies devenant progressivement illisible, je vais m'accrocher et rester fidèle à la vénérable revue. J'ai toujours beaucoup aimé l'iconographie de Positif, les couvertures en particulier à partir du moment où ils sont passés à un format un peu plus grand. Celle du numéro de l'été 2003 a eu son importance parce qu'elle m'a conforté dans mon choix. J'ai eu des périodes où je lisais la revue un peu mécaniquement, voire partiellement, avec un peu d'ennui. Avec ce portrait de James Stewart dans l'un de ses westerns pour Anthony Mann, noir et blanc sur papier glacé, annonçant un dossier superbe sur mon genre de prédilection, le western, je me sens très Positif. La série d'articles signés Youri Deschamps, Philippe Fraisse, Christian Viviani (dont le livre sur le sujet est ma bible), Jean-François Giré (autre auteur de référence avec sa monumentale histoire du western européen) ou Philippe Ortoli sur le western italien, est riche et très complète, abordant toutes les nuances, tous les styles. Cette couverture et ce sujet, en 2003, c'est une ligne, une position qui me convient. C'est aussi ce que je préfère et ce qui me marque le plus dans la revue : les dossiers qui me permettent d'élargir le champ de mes curiosités et de mes désirs, plus que le discours critique d'actualité, les choix de la rédaction, dans lesquels je vais plutôt chercher une confirmation à mes propres réflexion. Je ne me sens guère influencé.
Stewart en couverture chez les Cahiers comme chez Positif, c'est un passé, une histoire que je partage, mais je m'en rends compte, pas une ligne que je suis. Ils ne sont pas, n'ont pas été, les passeurs, les initiateurs, l'éclaireur que Starfix a pu être dans les années 80. C'est ainsi.
(Publié le 20/04/2012)
Précédents numéros :
#1, LE MASQUE D'ARGILE DE TIM ROBBINS (Positif, n°377, juin 1992) par Edouard Sivière
#2, LE DOSSIER EASTWOOD (Cahiers du Cinéma, n°674, janvier 2012) par David Davidson
#3, SANDRINE BONNAIRE, UNE FLEUR ROSE DANS LES CHEVEUX (Cahiers du Cinéma, n°353, novembre 1983) par Jean-Luc Lacuve