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franju

  • Judex (Georges Franju, 1963)

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    Bel hommage de Franju à Feuillade qui s'approprie avec respect et intelligence le matériau (même s'il aurait préféré adapter Fantômas). Sans faire dans le clin d'œil trop appuyé ni dans le pastiche esthétique, il part du réalisme (la conduite des voitures 1900 semble effectivement des plus difficiles) pour glisser vers l'insolite avec son art habituel (ces travellings précédant des personnages dans de vastes décors, cette utilisation de la musique !). Si le film n'est pas muet, il est très économe en paroles et certaines actions semblent délibérément ralenties. Si dans la deuxième moitié les révélations et retournements se succèdent de façon apparemment plus aléatoire (cela m'avait gêné lors d'une première vision), c'est que Franju opère une condensation et cherche la clarté narrative. Finalement, Judex (Channing Pollock peu charismatique) l'intéresse moins que les superbes personnages féminins de Francine Bergé, Edith Scob et Sylva Koscina (à qui échoit le privilège de sauver la situation lors du dénouement). Visuellement, l'organisation, tout du long, de la lutte entre le blanc et le noir est fascinante, à l'origine de plusieurs plans d'une grande beauté. Celui initiant la séquence de la réception, partant des pieds de Judex pour remonter vers sa tête immobile sous le grand masque d'oiseau, est l'un des plus marquants, des plus intenses, des plus étranges de l'histoire du cinéma. 

  • Le sang des bêtes

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    Le sang des bêtes, premier film que Georges Franju signe avec un aplomb impressionnant, est une horrible beauté, une réalité fantastique, un poème macabre, une calme tuerie. Oui, pour en rendre compte, on ne peut qu'associer des termes a priori opposés. Le cinéaste nous y invite dès le début, en commençant par montrer, dans un quartier de brocanteurs, des meubles posés sur l'herbe. Le cousinage avec le surréalisme et ses collages est rendu tout de suite évident.

    Pour autant, les oppositions ne sont pas, ici, arbitraires, elles sont au moins justifiées géographiquement puisque le film repose d'abord sur un véritable voisinage. Le montage et le commentaire font alterner des séquences consacrées au travail dans des abattoirs de la région parisienne et celles d'observation aux alentours, "à deux pas" comme il est dit à un moment. Régulièrement se produit un effet de contraste à partir de ces allers-retours, de même qu'est convoquée la notion de limite (limites entre l'abattoir et l'extérieur mais aussi, à d'autres niveaux, limites dans la représentation, limites de ce que peut soutenir le regard...).

    Si, imagine-t-on, les conditions techniques de tournage n'ont pas dû être faciles, Franju n'en a pas moins réalisé un film plastiquement très élaboré, gorgé d'images aussi choquantes que graphiques, baignant dans les fumées et les flots de sang noir, tenant entre les inquiétants revêtements des sols et des murs, se laissant traverser par les tabliers blancs et les bottes grises des ouvriers.

    Le travail est observé avec fascination. La caméra enregistre des gestes mille fois répétés, d'une précision améliorée de jour en jour et le commentaire emmène encore plus près des hommes à l'ouvrage, en donnant les noms et les prénoms, en insistant sur la dextérité acquise, en soulignant la pénibilité, voire la dangerosité.

    Avec une froide ambiguïté, ces hommes sont appelés les "tueurs", faisant avec application ce travail car "il faut bien se nourrir". Le sang des bêtes doit bien, encore aujourd'hui, servir à quelque croisade végétarienne. Or, si on y montre bien frontalement des cycles d'abattage, la neutralité du ton et l'absence d'appel direct en font tout autre chose qu'un tract : un choc recevable par tous, y compris par ceux qui ne s'intéressent pas à la question de la nourriture.

    On ne peut pas dire qu'il y ait ici "dénonciation", ni d'un système, ni des hommes qui y prennent une part active. Il y a avant tout un "étonnement". Étonnement devant le déroulement paisible d'actions à première vue aberrantes (ces éviscérations, ces démembrements...) et donnant des résultats absurdes (ces corps d'animaux s'agitant sans tête). L'interrogation dérive de la surprise devant un tel frottement entre deux états du réel. A travers son documentaire, Franju se demande comment un simple geste peut produire l'inconcevable, la coupe d'un corps en deux morceaux par exemple. N'oublions pas que le film date de 1949. Une phrase du commentaire compare un troupeau de mouton dirigé vers l'abattoir à un groupe d'otages. Le sang des bêtes paraît ainsi parcouru de métonymies, il renvoie à des atrocités qui ne seraient pas présentables directement (la fiction horrifique serait une autre manière de contourner cet interdit : ce seront Les yeux sans visage), il fait constamment penser à une boucherie bien humaine celle-ci, dans laquelle des bourreaux ont fait aussi consciencieusement leur travail.

    Bien que basé sur des éléments factuels précis (lieux, noms, outils), le film de Franju s'élève ainsi, par sa brillante mise en forme et par sa capacité à nous faire regarder derrière ses images, au-dessus du pur document-choc.

     

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    franju,france,documentaire,40sLE SANG DES BÊTES

    de Georges Franju

    (France / 21 min / 1949)