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reygadas

  • Bataille dans le ciel

    (Carlos Reygadas / Mexique / 2005)

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    114721137.jpgMarcos, agent de sécurité, a deux types de travail quotidien : assister au lever et à la descente du drapeau mexicain par une garnison et servir de chauffeur et d'homme à tout faire à la fille d'un général. Cette dernière, Ana, s'offre régulièrement aux hommes, pour le plaisir, chose dont seul Marcos est au courant dans son entourage. Un jour, il lui raconte qu'il a kidnappé un enfant, avec la complicité de sa femme, mais que celui-ci vient de mourir. Rongé par l'envie de se rendre à la police et déboussolé par sa relation physique avec Ana, il finira par faire un autre geste irréparable avant de s'infliger un chemin de croix douloureux, au milieu de pèlerins repentants et convergeants vers la basilique.

    Bataille dans le ciel(Batalla en el cielo) démarre par une fellation. Énorme provocation. Quoique... Cette scène sexuelle explicite, comme les deux autres plus tardives, touche vraiment au sublime. Le ralenti de l'image, le choix musical, la lumière mettant en valeur les chairs sur le fond uniforme d'un mur nu, la douceur de l'ensemble donnent le sentiment flottant d'un fantasme, d'un rêve ou d'un souvenir, impression décuplée par le brusque raccord sur une parade militaire, filmée de façon documentaire. "C'est irréel. C'est irréel." se répète Marcos devant un reportage télé consacré au club vainqueur du championnat de foot mexicain (tout en se masturbant, sans doute). La phrase vaut pour toute la mise en scène de Carlos Reygadas. Bien que proposant un récit parfaitement linéaire et lisible, le montage assemble les scènes sans transitions. Chaque moment semble autonome, détaché. Partant de personnages souvent immobiles, cadrages et changements d'axes participent à l'étrangeté de l'ambiance : on passe, dans un même plan, du subjectif à l'objectif, du statut de regardant à celui de regardé. Des panoramiques urbains scandent le récit. Cet aspect fantastique fait que l'on accepte toutes les incongruités, toutes ces énormités dans les comportements, aussi bien que la dernière partie, cette étonnante procession religieuse. L'approche de Reygadas est alors bien plus ambivalente ici que dans la quête mystique qui alourdissait sérieusement Japon, son premier effort.

    Récoltant ce qu'il a semé, Bataille dans le ciela provoqué quantité de réactions épidermiques ("voyeurisme", "goût prononcé pour le laid", "branlette auteuriste" et j'en passe...). Il me semble qu'on se trompe si l'on prend trop au sérieux certains éléments de ce film, qui propose quelques dialogues et situations ouvertement ironiques. De plus, rarement aura-t-on eu ainsi l'impression d'être dans la tête d'un personnage, celle de ce Marcos qui se fait son film. C'est pour cela que j'ai pensé à d'autres oeuvres atypiques, pourtant radicalement différentes et beaucoup plus agressives : L'incinérateur de cadavresde Juraj Herz et Seul contre tousde Gaspar Noé. Reygadas lui aussi, en suivant son anti-héros jusqu'au bout, nous dit (et nous montre, mais très peu) de terribles choses avec une grande douceur.

    Bataille dans le cielest un film déroutant, excessif, impressionnant et assez fascinant. Carlos Reygadas y fait preuve d'une maîtrise de l'image plus affirmée que dans Japonet surtout travaille le son d'une manière extraordinaire (cette fois-ci, la musique classique, militaire ou religieuse est utilisée parfaitement, avec des variations d'intensité en fonction de la place de la caméra ou de la pensée du personnage). Je ne suis, pour ma part, pas prêt d'oublier les destins croisés d'Ana et de Marcos, ni le visage superbe ou ingrat de leur interprète respectif (Anapola Mushkadiz et Marcos Hernandez).

  • Japon

    (Carlos Reygadas / Mexique / 2002)

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    108461873.jpgJapon est un film cousin de Los muertosde Lisandro Alonso, dont je n'avais pas dit que du bien, ici même. On y retrouve le désir d'inscrire un récit elliptique et mystérieux dans une nature imposante, la volonté de saisir le trivial et le prosaïque des comportements pour en dégager une vérité humaine qui, par le travail du temps, élèverait le tout au niveau du sublime, la description sociologique mettant en avant divers rituels, la direction d'acteurs privilégiant la neutralité du jeu et l'emploi de non-professionnels, et bien sûr, la scène de sexe explicite que le montage nous lance à la figure sans préavis. Sans être entièrement convaincant, le film de Carlos Reygadas est tout de même supérieur à celui de son compère argentin. Le mérite de sa mise en scène tient d'abord à son double caractère contemplatif et fiévreux, d'une fièvre qui fait vaciller et trembloter. Reygadas aime embrasser l'espace en le balayant de façon circulaire, abandonnant un instant son protagoniste pour le récupérer en bout de plan, souvent de façon inattendue (il semble avoir changé de place, ou est-ce notre perception qui est altérée par ce tournis ?). Ces mouvements d'appareil ne sont pas parfaitement fluides, changeant parfois de vitesse pendant la prise de vue, comme pour rattraper quelque chose dans les temps. Cela a pour effet de ne guère faire oublier la caméra.

    Japon (titre qui ne se rapporte à absolument aucun élément du film, mais, comme le dit savoureusement Reygadas, pas plus incongru que le Brazil de Gilliam) raconte l'histoire d'un homme qui quitte la ville pour un petit village perdu au fond d'un canyon. Il veut mettre fin à ses jours. Une femme encore plus âgée que lui, lui propose de l'héberger. L'homme renonce à son geste suicidaire et se lie de plus en plus fortement à elle. Aussi radical soit-il, le film tisse une intrigue. La narration pleine de trous, s'étalant dans une temporalité insaisissable, nous laisse tout de même des repères, annonce assez clairement certaines choses. Par son étonnant travail sur la lumière, qui change parfois au cours d'un même plan, par les simples postures des personnages, le film baigne dans une inquiétude diffuse, une violence sous-jacente, qui n'explosera jamais vraiment (on sent dès le départ, lors de la rencontre avec les chasseurs, qu'il ne faudrait pas grand-chose pour que le film dérape vers le survival campagnard, du genre Délivrance). Déstabilisant est également le rapport aux corps et la relation qui se tisse entre l'homme et la vieille femme. Et plus que la scène d'amour, ce sont ses prémisses qui troublent énormément et qui nous questionnent sur la vieillesse, la normalité, le désir...

    La vision de Reygadas ne se limite toutefois pas à ce naturalisme provocateur et pessimiste. Il fait appel à un tas de symboles, parfois religieux, en essayant d'atteindre une grandeur tarkovskienne. Si de beaux moments en découlent, cela ne se fait pas son excès. La scène de la tentative de suicide auprès du cheval mort, filmée d'hélicoptère, ne fait pas dans la dentelle, comme le dernier (très) long plan du film. Dans ce même but de dépassement, le recours à la musique classique n'est pas toujours très heureux (celle de Arvo Pärt, certes magnifique, est beaucoup utilisé par le cinéma d'auteur actuel).

    Une note sur le deuxième long-métrage de Reygadas arrivera prochainement sur cet écran.