(Philippe Ramos / France / 2008)
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Philippe Ramos, ambitieux, a donné à Moby Dick un prologue. En laissant courir son imagination autant qu'en s'inspirant de la biographie d'Herman Melville et de la sienne, il a inventé une enfance au Capitaine Achab. Cinq chapitres égrènent des épisodes de la vie du chasseur de baleine. Seul le dernier recoupe le roman. Capitaine Achab est un film singulier, fragile et rageant.
Un film singulier par ses propositions radicales. Intitulés "Le père", "Rose", "Mulligan", "Anna" et "Starbuck", les chapitres sont pris en charge par cinq voix-off différentes et chaque récit a une tonalité différente. Ramos entraîne une troupe d'acteurs dans un projet étrange qui mêle le théâtre et les fantasmes visuels pour aboutir à une sorte de primitivisme (on pense au cinéma muet et pas seulement pour l'abondance des ouvertures et fermetures à l'iris). Les comédiens sont pour la plupart des francs-tireurs habitués aux expériences à part. Aux côtés de Denis Lavant, Achab adulte des deux dernières parties, on trouve Jacques Bonnafé, Jean-François Stévenin ou Lou Castel (et Philippe Katerine dans un rôle tragi-comique dont il se tire bien). La musique brasse envolées lyriques et chansons pop sans que cela paraisse incongru, ce qui est un bel exploit. Un voyage magique en barque est accompagné par la voix la plus évanescente du monde, celle de la seule chanteuse qui semble vous susurrer chaque mot à votre oreille à vous, ici, dans le noir : Hope Sandoval de Mazzy Star.
Un film fragile car en équilibre constant entre l'ellipse qui dit tout et le manque qui frustre. Le récit des origines qu'invente Ramos est constamment convaincant. Il n'était pourtant pas évident d'amener toute cette Amérique de ce côté-ci. Le panneau central ("Mulligan") est celui qui a ma préférence. Malgré toutes les limites imposées à l'expression du conte, on croit à cette rencontre avec des brigands et à cette dérive fluviale qui mène à la mer. Il suffit d'une poignée de plans très simples pour faire passer toute la fascination qu'éprouve tout à coup le petit Achab face à l'immensité (et au bruit) de l'océan. Les séquences de la blanchisserie sont moins tranchantes, malgré la présence de Dominique Blanc et l'importance de l'épisode dans l'affirmation du thème principal du film (le rapport aux femmes) et de sa couleur (la blancheur partout : des draps au ciel). Le dernier chapitre, lui, n'a pas tout à fait la force attendue avec cette mise en scène tiraillée entre les ombres de la cabine et l'ouverture sur le pont du baleinier. La chasse prend la forme d'un vieux document d'archives et sonne ainsi comme un aveu, celui de l'impossible tournage d'une séquence sensationnelle.
C'est en cela que le film est rageant. Un cinéaste français tente un pari audacieux, qui tranche avec l'insupportable tiédeur habituelle, mais les moyens ne suivent pas (et le public non plus : projection d'hier soir, pourtant avec présentation préalable, pour cinq spectateurs, moi y compris). Comme face au Radeau de la Méduse d'Iradj Azimi sorti à grand peine en 98, nous voilà à nouveau devant un film bancal qui ne peut que proposer une épopée en creux et des fulgurances, comme quand Achab, géant, se tient droit sur la mer.
Commentaires
Très intéressante analyse pour un film aurait mérité que l'on en parle plus pour drainer plus de spectateurs. Ce n'est pas un film comique, les acteurs ne sont pas très connus du grand public. C'est le genre de film étiqueté "intello-chiant" ce qui n'est pas vrai du tout mais c'est comme cela et c'est dommage. Moi, j'ai vu le film le jour de sa sortie, on était une quinzaine dans la salle.
Beau film original et témoignant de vrais partis pris de cinéma. Tout n'est peut-être pas parfait (la fin, effectivement, est un peu moins forte que l'enfance d'Achab) mais le film mérite vraiment d'être découvert...