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Vincere

(Marco Bellocchio / Italie / 2009)

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vincere.jpgDe l'audace ? Les injonctions lancées sur l'écran par un Marco Bellocchio reprenant la vulgate mussolinienne n'auraient-elles pas pétrifiés certains au point de leur faire perdre le sens commun ? L'accueil qui est en train d'être réservé par la presse à Vincere me laisse pour le moins sceptique et l'énervement prend le pas lorsque je pense à la manière dont fut récemment traitée L'armée du crime (*). Le Bellocchio serait une œuvre cinématographique majeure alors que le Guédiguian ne se hisserait pas au-dessus d'un honnête téléfilm. La clarté d'une mise en scène renvoie-t-elle à l'anonymat télévisuel ? Suffit-il, par conséquent, de plonger tous ses décors dans l'obsurité, de sous-exposer tout ce qui n'est pas au centre des plans, pour échapper à l'académisme ?

Dans Vincere, où sont les gestes ? On ne retient du filmage de Bellocchio que des champs-contrechamps bavards et des plans rapprochés répétitifs. La première séquence en imposait certes : le jeune Benito Mussolini y défiait Dieu devant une assemblée de catholiques. Mais cette grande "force" que l'on semble trouver au film n'est-elle pas due simplement et uniquement à la prestance du Duce (voir la très mauvaise scène où il s'avance nu, le torse bombé, vers le balcon) et à un accompagnement musical incessant, tonitruant et redondant ? On en appelle à l'opéra, mais on peut tout aussi bien estimer que la bande-son est assourdissante.

Les tentations surréalistes et fantastiques de Bellocchio déchiraient magnifiquement la chronique contemporaine du Sourire de ma mère. Ici, la fumée, les points de passage étranges d'un lieu à l'autre, les apparitions surprenantes ne sont pas moins figées dans la reconstitution que le reste. Ces trouées, ces brefs plans en flash-forwards, ne dynamisent pas plus le récit. Et si Bellocchio le parsème de rappels cinématographiques, ceux-ci ne disent rien de plus que l'importance qu'a pris le septième art à cette époque dans la société (par ailleurs, la séquence de la projection du Kid rabaisse l'émotion que procure les images du chef d'œuvre de Chaplin en nous imposant lourdement le contrechamp sur Ida en larmes et sur le bon médecin compréhensif à ses côtés).

L'oblitération à mi-parcours du personnage Mussolini au profit des images d'archives du véritable Duce est sans doute la meilleure idée du film. Elle a toutefois des prolongements malheureux. D'une part le retour à l'écran de l'acteur Filippo Timi, jouant dès lors le fils imitant le père, tombe complètement à plat, et d'autre part, il est tout de même un peu gênant d'entendre à plusieurs reprises cette Ida, si dévolue, si obstinée, si digne et tellement à plaindre, revendiquer son adhésion absolue aux idées de son mari, fixé idéalement dans sa fougueuse jeunesse.

(Présenté en avant-première au Festival du Film d'Histoire de Pessac, où il a reçu le prix du jury, sortie française le 25 novembre 2009)

 

(*) : A l'infortune critique, s'est ajouté ces derniers jours le ressentiment de l'historien Stéphane Courtois. Celui-ci a co-signé une tribune libre publiée dans Le Monde pour tancer Guédiguian à propos de détails aussi importants, par exemple, que la possession par Manouchian d'un revolver lors de son arrestation et, ce qui est aussi idiot que "porteur", pour l'accuser de communautarisme. Ce texte, qui passerait presque pour une caricature de réaction d'historien face à une œuvre cinématographique, a été porté à ma connaissance suite à la salutaire mise au point effectuée par le journaliste Laurent Delmas sur son blog (billet du 15 novembre). J'attends avec impatience de lire les remarques que  Stéphane Courtois ne manquera pas de faire quant à la singulière manière qu'a Bellocchio de traiter la figure de Mussolini...

Commentaires

  • Bonjour Ed, tu vas être moins seul: j'ai vu ce film hier en fin d'après-midi dans une salle comble et je suis ressortie à la fin de la projection avec un sentiment de déception: j'ai trouvé ce film pompeux (peut-être que la musique y est pour quelque chose) et je n'ai pas été émue une minute par le destin tragique d'Ida. Son personnage n'a aucune épaisseur à part qu'elle répète de façon lancinante qu'elle aime Benito, qu'elle est mariée avec lui et qu'elle a un fils (c'est un peu court jeune homme comme dirait l'autre). Et je suis d'accord avec toi quand elle dit qu'elle partage les idées de son Benito adoré: c'est pour le moins dérangeant. A la différence de toi, j'ai trouvé que c'était une bonne idée, le fait que ce soit le même acteur qui joue le père et le fils. D'ailleurs les dix dernières minutes films sont les plus réussies. En tout cas, ce n'est pas le chef d'oeuvre annoncé quoiqu'en disent les critiques du Masque et la Plume. Bonne journée.

  • Ce n'est pas tellement l'idée de prendre le même acteur qui me gêne, mais bien celle de lui faire faire cette pantomine, cette imitation grotesque qui, à mon avis, rate son but. Pour le reste, Dasola, nous avons exactement le même ressenti.

  • "Suffit-il, par conséquent, de plonger tous ses décors dans l'obsurité, de sous-exposer tout ce qui n'est pas au centre des plans, pour échapper à l'académisme ?" Héhé! Bonne remarque mais qui s'applique davantage, à mon sens, au navet d'Eastwood ("l'échange") plutôt qu'au film de Bellocchio...
    Ceci dit, cher Ed, nous ne nous chamaillerons pas aujourd'hui car j'ai également été un tantinet déçu par "Vincere" même si je trouve ton éreintement un peu sévère (c'est quand même largement supérieur à Haneke!) Je te laisse découvrir dans ma note ce qui m'a plu mais, au final, je trouve effectivement que c'est un film plus riche et intelligent que véritablement émouvant. Ce qui est un peu gênant lorsqu'on veut retrouver le lyrisme de l'opéra...

  • ... sauf que "L'échange" ne se veut pas (et ne fut pas reçu par les critiques comme) un film audacieux comme c'est le cas pour "Vincere". C'est en ce sens que l'académisme supposé d'Eastwood me gêne finalement moins que la fausse nouveauté esthétique de Bellocchio.

  • je crois que tu as raté l'essentiel du film. Le cinéma, à l'instar d'autres arts, plus pure, se revendiquent comme support d'une illustration sociale. c'est ce que fait avec brio Vincere selon moi (bien sur, je respecte ton point de vue).
    ici, Bellocchio illustre magnifiquement la transposition de l'histoire sur grand écran. Magnifique idée que de relier cette histoire personnelle à la grande histoire.
    on y illustre un Mussollini comme force sexuelle, sortant un peu des logiques traditionnelles. tant e choses s'explique par l'attrait sexuel ou le charisme.
    j'ai aussi bien accroché à cette mise en scène.justement les gros plans sont très beau, naturels, les yeux de l'actrice magnifiques. En plus, on assiste à quelques moments de pure poésie théâtrale, ou photographique (le jeter de lettre à travers les barreaux, avec la neige). Et puis, le passage du Kid m'a personnellement profondément ému, justement car on assiste à l'impact du cinéma. Le regard d'une mère perdue, prise pour folle, mais qui ne l'est pas. Ne nous laissons pas abuser par sa fausse posture de folle, c'est l'histoire d'une héroïne de 'ombre qui nous est compté.
    voilà mon point de vue, elle est belle mon histoire, non? ^^

    (bonne idée le lien de so foot! un site intelligent qui parle plus que de foot!)

    voilà, c'est en général bon signe quand je débat avec vigueur sur un film par blogs interposé, ça prouve que je sens que la discutions sera intéressante.

  • Cette "héroïne de l'ombre" ne m'a pas bouleversé et que l'on en fasse, en plus, une résistante "malgré elle" au fascisme, m'a quelque peu gêné (comment peut-on être résistante et adhérer pleinement à l'homme et à ses idées, comme elle le revendique ?). On peut toujours trouver que cette métaphore du totalitarisme, à travers l'isolement d'Ida, est très subtile, personnellement, elle ne me satisfait pas.
    Sur la forme, je trouve le film très soigné mais d'une grande lourdeur. Par exemple, la scène d'amour m'a paru insupportable et les gros plans sur Mussolini, à ce moment-là, très laids (pour ne rien dire de la scène grotesque de nudité sur le balcon).
    Enfin, la puissance du cinéma, je la ressens effectivement à chaque fois que je revois Le kid et sa scène de séparation, de mon point de vue sans doute la plus déchirante de toute l'histoire du cinéma (par les cris que l'on "entend" littéralement, par les mains qui se tendent vers le vide, par les regards qui semblent se croiser, tout cela unifier par le montage qui fait que les deux se répondent alors même qu'ils sont séparés). En tournant sa caméra vers le public, Bellocchio me casse toute cette magie.
    Je précise, si cela est nécessaire, que je suis très attristé de devoir réagir ainsi, moi qui avait aimé Buongiorno notte, Les poings dans les poches et le génial Sourire de ma mère...

    En tout cas, merci Alexandre pour la visite et le commentaire.

    PS : Le site So Foot, en effet, réconcilierait, à mon avis, n'importe qui avec le football (ce qui est un véritable exploit !).

  • une toute petite précision concernant le passage du Kid. Si le spectateur veut voir le film, il n' pas à le faire à travers Vincere. Il part du principe que tout le monde connait ce grand classique. Il ne fait que recadrer l'action de l'émotion grâce au film, et nous reconcentre sur l'histoire d'Ilda. Quant à la scène d'amour, elle est justement là pour montrer un plaisir égoïste, une plongée où les cris langoureux d'Ilda contrastent avec cette surenchère Mussollinienne. La scène sur le balcon est volontairement ridicule à mon avis. Benito est vu comme un personnage à la fois grossier et fascinant. Pour l'anecdote personnelle, mon arrière grand père disait que s'il avait quitté l'Italie de Mussollini c'était parce qu'il le trouvait inquiétant de surenchère. (bon la réalité recouvre bien d'autres raisons, mais peut importe, c'est une représentation de l'Homme qui nous intéresse ici. )

    bon et bien j'espère que le prochain cop, nous seront plus en accord.

  • Oui, la vision de Mussolini se veut en équilibre entre le ridicule et le grandiose, ou plutôt veut dépasser ce ridicule par l'opéra.
    D'accord aussi avec cette explication de la scène d'amour, mais l'attachement qu'éprouve Ilda malgré tout cela fait que je ne la comprends pas et qu'elle ne me touche pas.
    Enfin je trouve la séquence de la projection du Kid très ampoulée, avec ses champs-contrechamps entre Ilda et la toile et les regards du médecin qui explicitent encore inutilement ce que l'on doit ressentir à ce moment-là. Des scènes où l'on projette des Chaplin, il y en a déjà eu pas mal (il y en a une très belle, si je me souviens bien, dans Au revoir les enfants de Louis Malle).

  • Moi Vincere m'a intéressé malgré des exagérations mainfestes et une tendance au mélo pur et simple un peu lourdingue.La musique,c'est selon:on peut y entendre une sorte de Verdi dont on sait les rappoorts avec l'histoire de l'Italie,on peut tout aussi bien la trouver pour le moins envahissante.D'accord aussi pour le rôle du père et du fils,et pour l'utilisation de ce pauvre Kid qui n'en peut plus d'être mis à toutes les sauces,orphelinat,asile,prison.
    Mais je trouve que l'incrustation d'archives est plutôt bien faite.Je trouve que Bellochio est assez à l'aise dans le monde de la folie ou de la psychiatrie mais ce n'est pas une surprise.J'aime aussi beaucoup la disparition du Duce à la moitié du film même si cela a l'inconvénient de relayer au second plan la tragi-comédie de cette Italie 1920-1945.Pas aussi fort qu'Il divo par exemple mais ce n'est guère un film politique.A voir cependant mais c'est vrai que je suis assez partial quand il s'agit du cinéma italien.J'y reviens plus en détail sur le blog.

  • Merci pour ce point de vue, eeguab. Je surveille la parution de ta note et j'irai réagir, s'il y a lieu...

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