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Bright star

(Jane Campion / Australie - Grande-Bretagne / 2009)

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Beaucoup évoquent le très beau film de Jane Campion en insistant avant tout sur ce qu'il n'est pas (un biopic, un mélodrame flamboyant) réduisant ainsi ses mérites à l'évitement de divers écueils avant d'éventuellement lui reprocher un manque d'émotion. J'ai trouvé pour ma part des raisons plus positives d'admirer Bright star. Les voici, sous forme de notes éparses :

* Bien que la cinéaste ait choisi une nouvelle fois de dessiner un portrait de femme, ce qui frappe dès les premières scènes, dès la rencontre entre Fanny Brawne et John Keats, c'est le pied d'égalité sur lequel sont placés les deux personnages. D'emblée, leur relation est donnée comme adulte, honnête et droite. Les obstacles à l'assouvissement de leur passion, d'abord sociaux et ensuite physiques, ne sont là que pour mettre en valeur leur admirable opiniatreté et ne prennent jamais la tournure d'une convention scénaristique destinée à provoquer l'apitoiement. Nulle trace de renoncement, pas plus de prise de position bravache ou provocante. Cette histoire tracée d'une ligne claire est celle de l'affirmation d'un amour sûr de son droit. *

* Si cet amour touche autant, c'est qu'il est menacé. La ligne risque la brisure, sous les effets de l'éloignement, de la maladie ou de la mort (a-t-on déjà entendu propos aussi terriblement lucides que ceux sortant de la bouche de John Keats à la veille de son départ pour l'Italie ?). La poésie irriguant tout le film jusqu'à en devenir sa raison d'être, il est fatal que la cassure vienne mettre en péril la fluidité des vers récités par John et Fanny. Toux et sanglots fissurent les poèmes. *

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* Que Bright star délaisse les torrents lacrymaux et musicaux alors qu'il est riche en événements dramatiques a semblé gêner. Le traitement du premier sommet émotionnel est significatif. S'attend-on à une course folle et à des trombes d'eau que l'on assiste à une marche soutenue sous une pluie fine. Jane Campion ne contourne pas les clichés romantiques, elle les épure, se débarrasse du décorum et du superflu, se concentre sur l'essentiel, soit, ici, des visages mouillés. La présentation telle quelle des articulations dramatiques laisse la poésie envahir l'espace du film comme il envahit celui de l'héroïne. Et c'est bien là qu'il faut chercher la plus grande réussite du film, qui tient dans la parfaite coïncidence de ces deux mouvements. La poésie s'entend toujours de façon justifiée, avec parcimonie, tout comme la musique qui ne vient que de loin en loin, mais de façon si marquante. Les flux progressent au même rythme. En résulte, de plus en plus au fil du récit et malgré un scénario serré, une impression de flottement en de nombreux endroits, une suspension, qui finit notamment par donner toute sa valeur, inestimable, aux derniers jours de Keats auprès de Fanny. *

* Jane Campion reconstitue en évitant la surcharge intérieure. Il s'agit de faire vivre ce décor et que les personnages s'y fondent. La fameuse scène de communion à travers la cloison, louée à juste titre, a aussi cette utilité : pousser le lit contre le mur, caresser la paroi, s'approprier le lieu, et devenir autre chose qu'un acteur en visite au XIXe. *

* Bright star touche à la beauté sans jamais paraître esthétisant. Si les plans, particulièrement ceux de nature, éblouissent, la vie ne manque pas d'y circuler, frémissante. La fluidité de la mise en scène nous laisse croire qu'il n'y a qu'à laisser faire le vent, à enregistrer le mouvement d'un rideau puis celui d'une jupe. L'art de la composition de Jane Campion a ceci de précieux, c'est qu'il ne semble jamais nous être imposé. *

* "Qu'il est bon de suivre une aventure amoureuse si pudique en ces temps d'étalage de vulgarité !" se sont exclamés certains. Mais cette délicatesse serait bien ennuyeuse si elle ne laissait filtrer un émoi bien réel. Le glissement du vent sous les habits et les variations de la lumière sur les visages suffisent déjà à propager les sensations au-delà de l'écran. Mais encore : est-ce vraiment la pudeur qui caractérise les baisers échangés au bord du lac ? Le chamboulement intérieur n'est-il pas douloureusement trahit par la plainte d'une Fanny qui s'affaisse, "Mère, j'étouffe !" ? *

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* Deux présences presque muettes impressionnent le spectateur, celle des enfants, jeunes sœur et frère de Fanny. Contrairement à l'usage, les plans de coupe qui leur sont consacrés ne cherchent pas à ponctuer, à souligner ou à attendrir. Il y a dans l'enfance, telle que la filme Campion, un mystère et une dignité. Deux instants admirables le démontre : la réaction à peine perceptible du garçon lorsque Fanny lui demande de jouer les messagers auprès de Keats au cours du bal, et celle de la petite fille qui s'écarte soudainement du bosquet dans lequel s'est écroulé le poète. Si les deux amants se retrouvent très souvent accompagnés d'un tiers, cette présence n'est pas source de conflit. Les deux jeunes et la mère sont observateurs et non juges. Il y a du Fanny en eux aussi. De même, l'ambiguïté qui caractérise la relation du couple avec Brown, l'ami fortuné, a finalement pour effet de consolider encore le lien amoureux. *

* Les enfants suivent Fanny partout et semblent dessiner un cercle moins contraignant que protecteur. Les arrivées de Keats à la maison des Brawne sont d'abord signalées par la petite sœur. Les relations qui s'établissent entre les personnages sont ainsi subtilement inscrites dans l'organisation spatiale des séquences. Sans verbalisation, sans insistance visuelle, Campion nous montre comment son héroïne empiète sur le territoire de Brown jusqu'à l'expulser du champ afin de rester seule avec John. Nous n'avons donc, par la suite, aucun mal à comprendre que chaque éloignement imposé provoque une blessure profonde. *

Jane Campion signe là son septième long-métrage. Tous sont passionnants.

 

D'autres avis, très différents, à lire ailleurs : De son cœur le vampire, Eclats d'images, Fenêtres sur cour, Films vus, La Kinopithèque, Laterna Magica, Dasola, Dr Orlof, Plan C, Préfère l'impair, Rob Gordon, Une fameuse gorgée de poison

Commentaires

  • Evidemment qu'elle étouffe cette gourde ! As-tu vu le fatras dont elle se vêt ? ^^

  • Rien de moins platonique (rien de plus concret, rien de plus physique) qu'un amour platonique...

  • Vous vous y êtes collé avec beaucoup de bonheur. Vos trois premières notes en particulier sont très justes.

  • ce que tu décris comme une si belle histoire d'amour, à la gravité servie par les poème de John Keats m'a laissé de marbre.
    Le fameux voyage en Italie sonne comme une délivrance par son dénouement.
    Non pas que le sujet soit inintéressant mais la forme semble mille fois vu. par on ne sait quel prouesse, tout sonne creux et faux. Comme si le langage ampoulé, le classissisme dans lequel s'enferme Campion allait à l'inverse de la légèreté mélancolique de Keats. Associer systématiquement romantisme et niaiseries appuyées lassent à la fin. Les précurseurs allemands entres autres n'avaient rien de ces êtres réduits à une futile fascination pour l'âtre aimé; Cela incluait une sorte de recul ironique sur leur situation sans jamais s'en défaire. Ça incluait également une forme de sacrifice de soit, mal incarné ici. Non ce Bright Star m'a laissé de marbre.

  • Alexandre : Nous sommes décidément en désaccord sur tous les points. L'absence de grandiloquence ne renvoie pas du tout la forme vers la convention. A partir d'un tel sujet, ce sont bel et bien les violons en cascade et les ciels orageux qui auraient été mille fois vus. Les dialogues ne m'ont pas paru le moins du monde ampoulés, attachés au contraire, lorsqu'ils ne véhiculent pas de poèmes, à la simplicité du quotidien. Nulle niaiserie non plus, à mon sens, dans le film, pas d'enfantillages, mais au contraire, une relation amoureuse adulte (une superbe "amitié amoureuse" comme je crois que l'a avancé Griffe quelque part). Et certes pas de recul ironique, ce qui me plaît énormément.

  • Je trouve aussi que la réussite du film tient dans la façon de faire vivre une époque (les meubles et les costumes bougent, vibrent, ne paraissent pas des pièces de musée), mais surtout de faire ressentir son goût (tant au sens gustatif qu'esthétique) et sa volatilité (Fanny est présentée comme une fashion victim au départ puis impose sa personnalité, sa lucidité de jugement). Cette écume du temps vient en balancement d'une quête artistique évidemment plus atemporelle, et, en ce sens, le film va beaucoup plus loin que le Marie-Antoinette de Sofia Coppola, assez esclave du tableau d'époque superficiel (et en même temps, la superficialité était aussi le sujet du film). Il y a là une belle épaisseur : à la fois dans le recul sur une époque et dans son présent, sa mode, son esprit, ce qui s'en est évanoui et a tout de même constitué une partie de son essence. En écrivant cela, je me dis que la démarche de Jane Campion est assez proche de celle de Wong Kar-Wai, alors que je n'y avais pas du tout pensé en sortant du film.

  • Merci d'apporter ce nouvel éclairage, Joachim. Je n'avais pas du tout fait ces rapprochements mais ils sont comme d'habitude très intéressants. Ce que l'on retient du Coppola (que j'aime bien), quelques années après, c'est effectivement la surface (voire la distance, à cause des petits anachronismes) et pas grand chose d'autre. Le Campion est bien plus profond, plus "épais", plus habité, comme on peut le dire de son décor d'ailleurs. C'est à la fois très solidement ancré et aérien.

  • Mon cinéma ne l'a programmé qu'une semaine, je l'ai raté. :(

  • Par les miracles d'internet, j'ai réussi à voir Bright Star. Je partage complètement ton point de vue, même si je ne suis pas d'accord pour mettre 4* au film comme tu le fais. Alexandre a tort, il n'y a nulle niaiserie dans ce film, plutôt adulte, serein, et évitant de tomber dans tous les pièges de l'imagerie romantique. C'est aussi un très beau film d'amour, genre que je méconnais totalement et sur lequel je tenterais de me pencher un jour (j'aime l'approche cinéma de genre et histoire du cinéma, chacun son truc).

    Par contre, je ne vois absolument pas le rapport que dresse Joachim avec le cinéma tapageur et m'as-tu vu de WKW. Je ne m'étends pas là-dessus, ce serait digresser allègrement jusqu'au hors-sujet.

    J'ai également été très sensible aux costumes, notamment ceux de Fanny Brawne, tous magnifiques. Je suis d'accord aussi pour dire que l'une des réussites du film tient dans son utilisation des décors. La photo est également superbe.

    Mais, pour moi, c'est 3* - sans doute parce que ce n'est pas exactement mon genre de films et qu'il ne m'a pas semblé suffisamment original ou iconoclaste pour atteindre le rang de film de l'année...

  • Il me semble que Joachim fait le rapprochement au niveau de la captation d'une époque dans ce qu'elle a d'évanescent. On pourrait ajouter, en pensant à "In the mood for love", la délicatesse, le flottement...

  • Je ne relèverai même pas la provocation !
    ;)

  • Salut, je découvre ton blog un peu par hasard, via celui d'Anna.
    Très intéressant (et très jolie maquette aussi). Je reviendrai. En ce qui concerne Bright Star, tout simplement le meilleur film 2010 pour moi pour l'instant.

  • Merci et bienvenue, Chris.
    Bright star est même le meilleur film de la nouvelle décennie, pour l'instant... (cela dit, je n'en ai vu jusque là que trois ou quatre).

  • ED ! arrête de me faire rire ! et ceci est écrit par a serious (wo)man !

  • C'est le weekend, Fred...

  • Hors donc ? c'est samedi c'est parti à rigoler mon kiki ?

  • Et vous, vous me fatiguez...

  • Tiens, je me rends compte aujourd'hui du malheureux collage des deux précédents commentaires.
    C'est qu'entre les deux nous avions l'un des ces messages-spams qui nous polluent de temps à autre. J'ai effacé celui-ci peu après son affichage mais en oubliant d'enlever ma réponse énervée (et bien inutile), réponse qui paraît alors destinée à notre chère FredMJG !
    J'ai toutefois bien envie de laisser cela en place. Je sais que, Fred, tu as beaucoup d'humour... :)

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