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POLICIER, adjectif.

(Corneliu Porumboiu / Roumanie / 2009)

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policieradj.jpg- ARGUMENT, nom. Résumé, trame narrative d'une œuvre lttéraire, théâtrale, cinématographique, chorégraphique ou lyrique.

Pendant huit jours, Cristi, un jeune policier, surveille un lycéen soupçonné de revendre du haschich. Manquant de preuves et estimant que la loi roumaine est dépassée, il s'oppose à l'idée d'une arrestation en flagrant délit qui enverrait un simple consommateur en prison. Avec l'aide d'un dictionnaire, son supérieur s'appliquera à lui forcer la main.

- ENNUI, nom. Lassitude, abattement provoqués par l'inaction et le désintérêt.

Les plans s'étirent et se répètent, donnant à voir la filature réalisée par Cristi. La mise en scène se cale sur son rythme. La caméra l'accompagne dans sa marche, dans ses planques, caché derrière un pan de mur, un poteau, un grillage. La journée terminée, on le voit repasser à son bureau, préparer son compte-rendu, puis rentrer tardivement chez lui où sa femme a déjà mangé depuis longtemps. Pas de musique, pas d'effet visuel, les mouvements de caméra se limitent à de sobres panoramiques suivant les déplacements des protagonistes d'un coin de rue à un autre. Dès les premières secondes, Porumboiu nous prévient de ce que sera son film et au fil du temps, il semble user de quelques provocations, tel ce long plan séquence frontal sur Cristi prenant son repas. Le cinéaste prend le risque de l'ennui, du soupir, du fauteuil qui claque. Pourtant, nous restons accrochés et très vite, on sent que du "rien" peut naître "quelque chose".

- BORNER, verbe. Délimiter à l'aide de bornes, marquer des limites.

Ces plans séquences donnant l'illusion d'un "temps réel" ne peuvent cependant pas être qualifiés d'interminables. Ils ont tous un terme, et souvent, un terme annoncé. L'architecture de la ville conditionne la durée des panoramiques accompagnant le suspect suivi du policier. Entre collègues ou du supérieur au subordonné, on se donne des horaires impératifs ou l'on précise le temps qu'il faut attendre : Cristi, pressé, demande, grâce à son portable, à la secrétaire qu'il attend devant la porte fermée de son bureau si elle peut arriver dans "pas plus de cinq minutes" et nous savons que nous allons devoir patienter avec lui dans le couloir ce temps-là ; le patron veut prendre le temps de lire le rapport de Cristi avant de le laisser entrer et nous savons que nous allons devoir poireauter également. Les journées elles-mêmes sont encadrées et comme remises à plat par la relecture intégrale que Cristi nous fait de chaque compte-rendu.

- CONNIVENCE, nom. Complicité, entente secrète.

Devant ces situations, le rire nerveux devient vite rire de connivence. La séquence, que je viens juste d'évoquer, de "l'antichambre" du chef de la police, avec sa secrétaire de mauvaise humeur tapotant sur son clavier, ce collègue demandant des journaux qu'il a en fait déjà lu, et un Cristi impassible, provoque un rire étonnant, un rire de l'attente. Plus tôt, il y a un rire de la répétition, lorsque Cristi mange seul dans sa cuisine alors que sa femme, reléguée dans le hors-champ, écoute trois fois de suite une chanson à l'eau de rose sur son ordinateur. Notons bien que la séquence va beaucoup plus loin que ce simple plaisir humoristique et qu'elle se révèle primordiale. En effet, la femme de Cristi, une fois que ce dernier l'a rejointe, se lance dans une analyse destinée à démontrer que les paroles de cette chanson ne sont pas si idiotes que cela. Non seulement le personnage est ainsi éclairé d'une façon inattendue et le dénouement du film, basé sur la sémantique, est annoncé, mais l'idée de l'anodin dégageant finalement un signification est formulée.

- POLICIER, adjectif. Film, roman policier, dont l'intrigue repose sur une enquête menée à l'occasion d'un crime ou d'un délit.

Certains plans nous font partager exactement le regard que porte Cristi sur le suspect et son environnement. Mais contrairement à ce qu'il se passe chez Haneke par exemple, il n'y a rien à débusquer, il n'y a que du réel, du temps. Et cela Cristi le sait, lui qui s'efforce, devant son supérieur, d'orienter l'enquête vers d'autres pistes. Pas de mystère à élucider, pas de suspense policier dans cette affaire et donc dans ce film qui se dirige plutôt vers un questionnement sur la morale, la loi et la conscience, abordé de magistrale façon dans un incroyable dénouement qui nous renverse en deux plans séquences fixes successifs cadrant trois personnes devisant dans un bureau. L'absence d'enjeux importants du point de vue narratif fait que le cheminement aboutissant à cette réflexion ne semble jamais surligné et si le récit ne s'est pas transformé en machinerie policière, Porumboiu est parvenu, à partir d'une série de séquences anodines à créer un objet cinématographique assez fascinant. On peut filmer "du vide", il suffit en fait que l'on sente une direction, un but, une idée, que l'image nous fasse une promesse...

- CONFIRMATION, nom. Acte, fait, élément qui vient confirmer une opinion, un sentiment, une théorie, un état, etc.

Venant après 12h08 à l'est de Bucarest, POLICIER, adjectif. (Politist, adjectiv) est le deuxième long métrage de Corneliu Porumboiu, cinéaste roumain de 34 ans.

Commentaires

  • Bon, "Ennui" c'est fait.
    Tu me donnes la définition de Crever ? t'as l'air d'avoir un dico sous la main merci.

  • CREVER, verbe. Avoir un pneu qui se perce accidentellement.

    Mais le film n'a rien à voir avec le Tour de France, Fred !

    Si tu t'es endormie, va voir Night and Day, ça doit aller plus vite... :)

  • :D
    Yé né pas de watoure Ed
    Pour Knight and day je passe mon tour merci bien. J'ai vu la BA. J'ai pigé le truc nul besoin d'aller plus avant.
    Par contre, pour notre brave Corneliu, l'idée de la durée on a eu l'occasion de la piger à deux reprises et j'aime à avoir la sensation de ne pas être prise pour un pignouf ou l'impression que le metteur en scène est en train de se faire un plaisir bien solitaire. Le film aurait gagné à être un poil plus court surtout en ce qui concerne la séance de lecture... j'ai failli frapper (mais bon, j'aime bien le méchant flic... c'était le seul intérêt du film, avec l'épouse et deux ou trois autres bricoles)

  • Mais j'aime bien ton texte... il rendrait presque le film plus intéressant qu'au moment où je l'ai vu ^

  • Beaucoup de fauteuils ont claqué.
    Mais je suis restée digne.
    Je me suis accrochée jusqu'à la fin du générique.
    J'ai juste déchiqueté les accoudoirs.

  • Mais je dois reconnaître mon étonnement devant la défaite du communisme... Non vrai... Ils sont trop forts question torture psychologique. J'aurais pris ma carte du parti rien que pour qu'il arrête de lire le dico l'autre Droopy !

  • La scène finale de Policier adjectif, avec la confrontation avec son chef, m'a particulièrement impressionnée. Violence de la maïeutique, tout ça. J'ai un dossier word avec des prises de notes sur cette séquence, il faudrait que je me lance, mais dur...
    Je n'ai pas vu 12h08... mais je vais essayer de combler cette lacune. Très beau film, et super critique en tout cas!

  • Fred : Tu t'acharnes, là.
    Pour la (presque) dernière scène, au contraire, c'est sa durée extrême qui en fait l'intérêt et la force.
    Quant à qualifier le personnage principal de "Droopy", si cela peut se tenir en pensant à une certaine absurdité et en rapprochant sa filature de celle du loup par la chien chez Tex Avery, au niveau du caractère, du physique et de la psychologique, cela ne va plus (ne prenons pas la lenteur du style pour une lenteur du personnage et d'ailleurs, Droopy ne joue pas au tennis-ballon).
    Mais bon, si mon texte peut te faire réévaluer le film à la hausse, ne serait-ce qu'un instant... :)

    Anna : Merci. J'espère bien pouvoir te lire bientôt sur le film. Vu sa faible diffusion, sa fragilité et son parti-pris, il a bien besoin de commentateurs et de défenseurs. Ce serait dommage que tes notes restent dans un coin... (surtout que, si je ne me trompe, tu as dû te retrouver, avec ce dénouement philosophique, plus ou moins en terrain connu).
    N'hésites pas pour "12h08", film basé lui aussi sur une certaine illusion du temps réel mais comédie beaucoup plus franche que celui-ci.

  • Suis une acharnée.
    Pour la dernière scène, c'est son peu de durée qui en fait l'intérêt et rend à l'absurdité de ce qui précède toute sa force

  • "Night and day" est un très beau film =O

  • @Dr Orlof
    Tu me le conseilles donc ?
    Tu es z'un véritable ami alors ^^
    Je suis toutémue

  • On parle bien du film de Hong Song-Soo, hein? Parce que je viens de voir une affiche d'un autre "Night and day" qui sort demain !

  • La tournure que prend cet échange demande quelques recadrages :

    Fred : Nous nous mélangeons un peu les pédales entre l'avant-dernière scène, très longue, et la toute dernière, qui tient en un plan assez court (l'explication au tableau du flagrant délit). Bon, ceci précisé, nous n'allons pas changer d'avis je crois...

    Doc : Je renvoyais notre amie Fred vers le nouveau "Night and day", celui avec Tom Cruise et Cameron Diaz, un bon gros blockbuster US, loin de la lenteur roumaine... et coréenne (pas vu, à mon grand regret, ce Hong Sang-soo là).

  • Votre amie Fred avait bien compris l'allusion narquoise... pauvre Orlof complètement à l'ouest ;p

  • Je ne mélange rien moi
    j'aime beaucoup l'explication au tableau du flagrant délit, c'est court, concis, j'ai tout compris
    Mais n'empêche que j'apprécie ton texte, j'en arriverai à regretter qu'on n'ait pas vu le même film ^

  • Bonjour Ed, j'ai trouvé ce film remarquable, j'aurais aimé qu'il dure encore plus et mon regret, c'est que le scénario ne soit pas édité, je l'aurais bien lu pour me remémorer certaines phrases comme la séquence de la confrontation de Cristi et son chef à la fin avec les définitions du dictionnaire (voir mon billet du 11/06/10). Bonne journée.

  • Pour le coup, c'est plutôt carrément à l'est, jusqu'à la Corée! Mais si on tient compte de mes notes sur John Ford et le Dude John Wayne, j'accepte l'appellation contrôlée "carrément à l'ouest" :)

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