(Jonathan Demme / Etats-Unis / 2006)
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En août 2005, l'année de ses 60 ans, Neil Young remonte sur scène à Nashville après plusieurs mois d'absence, suite à une rupture d'anévrisme et un opération au cerveau. Il y joue les morceaux de Prairie wind, l'album qu'il vient de publier, ainsi qu'une poignée de ses classiques. Le concert est filmé par l'un des cinéastes sachant le mieux mettre en valeur la musique devant une caméra : Jonathan Demme.
Demme a tout d'abord l'intelligence de faire simple. Le contexte est posé en cinq minutes, par le montage de bribes d'entretiens réalisés à la volée auprés des divers musiciens réunis autour de Young pour ce projet. Le concert peut ensuite débuter et rien ne viendra le perturber jusqu'au dernier morceau. Englobant le lever de rideau et le début de la première chanson, le plan introductif donne le ton, lent travelling avant et discrètement aérien. Demme refuse de hacher les séquences, d'étaler sa virtuosité et de s'enivrer de ses moyens techniques. Sur différentes échelles, cadrant toute la scène ou le chanteur de manière reserrée, les plans longs sont la norme (The needle and the damage done, chanson certes la plus courte du lot, tient d'ailleurs en un seul). La mise en scène se met entièrement au service de la musique, lui offrant un écrin sobre, fluide, calme, la faisant entendre au spectateur de la plus belle des manières. Les performances enregistrées par Jim Jarmusch pour Year of the horse (1997) souffraient d'être entrecoupées d'intermèdes sans grand intérêt, celle qui le fut par Young lui-même pour Rust never sleeps (1979) ne bénéficiait pas d'une image particulièrement soignée. A ces deux tentatives précédentes, on préfère donc largement ce Heart of gold.
Le show se déroule en deux parties distinctes (la reprise du même lent mouvement avant de la caméra qu'au début du concert signale l'ouverture du second temps), sans que l'une paraisse inférieure à l'autre. Neil Young, en effet, a toujours cette vigueur qui lui permet d'aligner de récents morceaux qui ne déparent nullement aux côtés de ses classiques des périodes précédentes. Difficile d'imaginer les Stones ou Dylan faire de même. Ici, The painter, This old guitar, Far from home et le formidable Prairie wind ont la même tenue que les impérissables Old man ou Comes a time. Le cadre (une salle mythique de Nashville), la moyenne d'âge des musiciens et les allusions de Young aux grands noms de la country ne doivent pas laisser penser à un spectacle confortablement passéiste (voire réactionnaire, selon l'étiquette qui colle abusivement au genre et à la ville). Le parcours du musicien depuis les années 60, navigant constamment entre tradition et modernité, des ballades folk aux défèrlements bruitistes, le met à l'abri d'une telle tentation. Sur scène, alors qu'il chante toujours avec la même ferveur, nous l'observons et le sentons entouré de ses multiples fantômes, souriant. Loin de l'entraver, ceux-ci semblent encore le pousser vers la vie et une création inépuisable.
A lire aussi : cette note très informée et passionnée.
Commentaires
Chroniqué aussi sous le titre hilarant de Jonathan et Neil Young le goéland.Grand film musical,témoignage comme The last waltz ou The song remains the same.Essentiel pour ces années rock.
Eeguab, je t'ai (re)lu et lié, ta note complétant bien la mienne.
(sinon, à ma grande honte, je n'ai toujours pas vu The last waltz... (ni le Led Zeppelin d'ailleurs))
Merci Ed.Cinérockement on peut citer aussi Gimme shelter,et l'inénarrable Spinal Tap,témoignage de la vie de groupe,éphémère souvent.Pour les biopics je ne suis pas trop client,Ray m'ayant assez plû,davantage que Walk the line pour ne parler que des plus récents.Vu aussi U2 Rattle and hum, le film avec The Clash dont j'ai oublié le nom,le vieux doc Don't look now.Je déteste The Doors vu par Stone.Je répète toujours:le meilleur film musical rock a surout pour intérêt de replonger dans sa discothèque,que je viens de ranger justement,ce qui est méritoire.A bineôt et jolie bougie tarkovskienne.Tu fais du bon boulot.
Souvenirs lointains mais plutôt bons, effectivement, de Gimme shelter, Spinal tap, Rude boy (le Clash qui t'échappe), Don't look back... Il y a aussi un assez beau "Songs for drella" (Lou Reed / John Cale).
Pas friand non plus des biopics. Pas forcément détesté le Doors de Stone, à l'époque mais pas revu depuis. Pas vu Ray ni Walk the line mais Control est plus qu'honorable (j'en ai causé ici même).
Merci pour l'encouragement.
Niveau biopic, je serais tenté de conseiller aussi 'Control', qui arrive à mon sens à faire à peu près à toucher les limites supérieures de l'exercice (forcément un peu restreint et porteur par nature de mal de lacunes).
Ai vu le the song remains the same des chevelus de led Zep. Et là, sans avoir vu 'the year of the horse", je pense pouvoir dire qu'en matière "d'intermèdes sans intérêt', le film de Jarmush est battu à plates coutures.
parce qu'on n'y mégotte pas sur la kitcherie !
du point de vue musical, c'est grandiloquent, cabotin, maniéré, avec des solos interminables (batteries et guitares) et couinements ad hoc. bref, sans être excellent, du bon hard rock avant que le genre ne dégénère prématurément et avec une vitesse foudroyante pour finir en phase terminale en Scorpion, Europe et consorts
Merci pour l'appréciation, Yoye. Ces limites supérieures je les avais évoqué dans ma note sur Control justement, donc je n'y reviens pas...
A part ça, moi, le hard rock tu sais... (d'ailleurs, j'ai récupéré mon premier CD de Led Zeppelin à plus de 30 ans, alors...)
J'avais pas vu !
Oui bon le hard rock, je sais.. Moi non plus je ne suis pas un érudit de la chose. mais Led zeppelin est intéressant, comme disons dernier souffle frais du rock des années 60 avant que celui ci ne s'empatte et devienne fétide...
Sur le hard rock on peut gloser des heures et je n'en suis pas spécialiste,loin s'en faut.Mais on ne peut réduire Led Zep à cette appellation qui n'a d'ailleurs pas forcément de connotation péjorative.Et puis surtout le rock a ceci de particulier qu'il dévore ses enfants,même survivants.On admet Renoir arthritique et ses pinceaux accrochés,Beethoven en sa surdité,les Picasso ou Braque ou Rodin vieillissants,les Rubinstein ou Horowitz ou Gitlis chenus,les oeuvres très tardives de Bergman ou Oliveira,100 ans,idem en littérature,Green,Gracq pour rester en France.Mais souvent un groupe rock dès le troisième ou quatrième album on l'accuse facilement de routine,de recette,d'autoplagiat.Il y aurait beaucoup à dire et à écrire là-dessus.J'essaie modestement de m'y employer:à décrypter ce vieillir rock.Mais ceci nous éloigne du cinéma...
En parlant d'empattement, je pensais surtout du 'genre' hard rock avec ces infects avatars FM des années 80 qui ont allègrement franchi le rubicon de la grosse daube (en deçà duquel LZ était toujours resté (quoique bon, Stairway to heaven...)
En même temps, Robert Plant avec de la bedaine et un sonotone, ca aurait du mal a atteindre la dimension tragique d'un Renoir arthritique ou d'un Beethoven sourd
Mais c'est vrai, on s'éloigne du sujet
Nous avions bien compris la distinction, Yoye, car bien sûr la musique de Led Zep n'est pas réductible au hard et se révèle par endroits fort intéressante (sinon, je n'aurai pas sauté le pas et écouter vraiment les 4/5 meilleurs albums).
Cela dit, je mentirai en disant avoir reçu un choc. Mais je partais avec un handicap : mes goûts se sont forgés sous l'influence des Inrocks (période mensuelle, hein!), The Smiths et cie... Bref, on me disait qu'un solo, c'était mal :)
Quant au vieillissement... Peut-être faut-il chercher aussi du côté du fait que les rockeurs deviennent généralement des stars à 20 ans, soit beaucoup plus tôt que les cinéastes, qui, accèdant beaucoup plus difficilement à la célébrité, ont les épaules plus solides...
Mais c'est assez étrange, en effet : si le troisième album est bon, en général, le groupe est parti pour en faire dix, s'il est mauvais, ça s'arrête là.
Et puis le cinéaste peut changer d'équipe, alors que la vie de groupe... bon... etc, etc...