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Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu

(Woody Allen / Etats-Unis - Grande-Bretagne - Espagne / 2010)

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vousallezrencontrer.jpgUne douceur après le désagréable Whatever works. Travaillant à nouveau une partition à plusieurs voix, les recouvrant de temps à autre par une autre, en off, indéfinie et plus détachée que d'ordinaire, Woody Allen dans Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu (You will meet a tall dark stranger) abandonne son idée précédente de faire la leçon à son spectateur. Le nouvel opus n'adopte pas de ton sentencieux, évite les formules percutantes et baisse d'un cran le registre des dialogues, sans doute moins brillants mais servant remarquablement la circulation des émotions et facilitant notre attachement aux personnages. Tous ont ici leur chance, à un moment ou à un autre (y compris le plus chargé de stéréotypes, celui de Charmaine, l'ex-prostituée blonde peu futée et attirée par tout ce qui brille, qui sera "rattrapé" in-extremis dans une dernière scène désarmante). Et si le pessimisme foncier du cinéaste tend à imprégner de toutes parts un récit bâti sur des bases plutôt comiques, Allen a le bon goût de ne pas laisser tomber systématiquement les épées de Damoclès suspendues au-dessus de ces têtes tourmentées. Au moment de les quitter, les fortunes seront donc diverses et tout ne sera pas figé.

S'il est possible, au sein de cette œuvre doucement chorale, de faire endosser à Anthony Hopkins le rôle d'alter ego de Woody Allen que l'on cherche dans tous les films où ce dernier n'apparaît pas, il faut avant tout saluer la performance de l'acteur britannique qui apporte quelque chose de neuf, une certaine opacité, là où trop de prédécesseurs ayant eu à supporter le même poids s'essoufflaient dans l'imitation du modèle (je pense surtout à Kenneth Branagh dans Celebrity et à Larry David dans le Whatever works déjà cité). L'alchimie se crée entre stars et visages inconnus, acteurs aux origines diverses se calant tous sur le bon tempo. Cette justesse de jeu accompagne la discrète élégance de la mise en scène d'un Woody Allen visant à l'essentiel. Les plans-séquences accentuent l'aspect "petit théâtre" des va-et-vient dans l'appartement de Naomi Watts mais une succession de champs-contrechamps butés peut soutenir le dernier échange de cette dernière avec sa mère, provoquant ce qui ressemble à une rupture. Plusieurs détails d'une grande délicatesse attestent ainsi de la sensibilité du cinéaste comme le silence soudain et les esquisses de mouvement de Watts et Antonio Banderas dans la voiture au retour de l'opéra, ou l'emménagement de Josh Brolin chez la voisine d'en face qui doit nous mener à un plan de fenêtre symétrique par rapport à un précédent, qui nous y mène effectivement mais qui nous fait partager une vision inattendue et pourtant logique, avant un baisser de rideau... Brolin (lui aussi remarquable), ombrageux et massif, détone physiquement dans l'univers allénien. Il semble occuper tout l'espace de son décor exigu, jusqu'à ce que, sur la fin, il s'abaisse à une escroquerie qui provoque son expulsion. Au pub, alors que l'on devrait guetter ses réactions, la caméra ne quitte pratiquement pas ses deux amis à ses côtés et ne va le rattraper que brièvement, à deux ou trois reprises, dans la conversation. Puis, à l'hôpital, il s'écarte du petit groupe pour sortir du cadre, sans espoir de retour.

Ces petites touches passionnent et permettent d'admirer le mécanisme d'un film épuré. Ce ne sont pas de gros rouages que l'on voit activés, l'observation se fait à une autre échelle, à la loupe. Nous sommes dans l'horlogerie. Et ce travail d'entraînement opéré par des pièces reliées les unes aux autres convient pour décrire l'un des mérites principaux de l'ouvrage. Woody Allen n'est certes pas le cinéaste de l'amour physique, s'évertuant à ne jamais filmer vraiment de scène sexuelle, mais il est un grand cinéaste du désir. Ici, plus précisément, il excelle à éclairer son déclenchement, qui peut prendre la forme d'une phrase, d'une musique, d'un accent étranger, d'une vision érotique fortuite. Mais tout aussi subtilement représentées sont les conséquences, les bifurcations, les trahisons, les désillusions qu'entraînent ce désir, élément moteur de cette ronde angoissée mais vitale. Oui, décidément, Woody Allen - qui l'eût cru il y a seulement dix ans de cela - a bien fait de s'éloigner de New York...

Commentaires

  • salut,
    rien à voir avec le film (pas encore vu donc je lirai ça après) mais tu es sur twitter ou pas? On se pose la question pour relayer sur Panoptique, c'est pratique ;)
    D'ailleurs, je vais essayer de l'intégrer sur mon blog, je réfléchi comment.

  • Non, Alexandre, je ne suis pas sur Twitter. Je vous laisse donc, toi et tes "followers" (c'est bien ça ?) relayer les infos comme vous le souhaitez...
    Pour l'intégration sur ton blog, je te laisse cogiter pour trouver une formule satisfaisante (et qui pourrait éventuellement séduire ceux qui souhaiteraient faire de même). Reprendre tel quel me semble difficile, les plateformes de blog (dont celle que j'utilise) n'aimant généralement pas trop les notes sous forme de tableau...

  • Pour la pub sur Twitter, Rob s'en est chargé et nous avons été plusieurs à "retwitter" l'info. Mais il n'empêche que nous t'attendons tous avec impatience sur le site ;)
    Pour le Woody, j'y vais certainement demain : nous aurons l'occasion d'en reparler mais je serais vraiment surpris qu'un différent éclate sur ce film...

  • J'avoue être très moyennement attiré par Twitter. Et puis je me disperse suffisamment comme cela... Pour le coup, je délègue volontiers... :)

    J'attends donc ta note sur le WA. A moins d'un incroyable rebondissement (qui serait le scénario inverse de celui que l'on a connu l'an dernier pour Whatever works), nous ne devrions pas nous écharper là-dessus...

  • J'ai trouvé le WA aussi anecdotique qu'agréable. Une Naomi Watts décidément magnifique. Et je suis d'accord avec toi que WA est en train de devenir un cinéaste du désir (je n'ai pas souvenir qu'il l'ait toujours été).

    Quant à Panoptique, effectivement on attend avec impatience! On sera des bons relais sur twitter.

  • Je te jure que je n'avais pas lu ta (belle) note avant d'écrire la mienne et je vois que nous avons tout les deux été accrochés par deux superbes scènes du film (celle de l'opéra et celle en miroir des voisines qui se déshabillent). Pour le reste, je suis totalement d'accord avec toi mis à part les petites allusions aux précédents ouvrages du maître ;)
    En revanche, contrairement à Timothée, je pense que Woody Allen a toujours été un grand cinéaste du désir et je suis certain de pouvoir retrouver de ces moments magiques que tu cites dans des films comme "Annie Hall", "Manhattan" ou même "Alice" (le pouvoir érotique de la pluie chez le cinéaste est un élément récurrent)...

  • Bonjour Ed, ton billet me donne furieusement d'aller voir ce Woody: pas encore eu le temps. A la différence de toi, j'avais beaucoup aimé Whatever works. Je suis intriguée par ce que tu dis d'Anthony Hopkins qui fut un bon acteur mais qui a tendance à s'autoparodier (c'est dur de sortir de son rôle d'H Lecter). Bonne après-midi.

  • Mais chère Dasola, tu as tout à fait raison d'avoir beaucoup aimé "Whatever works" =)

  • T.G. : J'ai trouvé ce WA agréable mais pas anecdotique. Il m'a même semblé que sa simplicité cachait quelque chose d'assez profond. Quant à Naomi Watts, je contresigne ta formule.

    Doc (et Timothée aussi) : Depuis quand peut-on qualifier WA de cinéaste du désir ? Je ne saurai trop dire. L'érotisme l'a toujours beaucoup travaillé mais peut-être cela passait-il plus franchement, auparavant, par les dialogues ou les situations. Depuis quelques films, le désir s'immisce dans des petits détails que rend sensibles la mise en scène. Il est possible que cela ne soit pas si nouveau, mais qu'on l'oublie tellement c'est subtil. Il faudrait avoir bien en tête ses anciens films...
    Allez, je file chez toi, Doc... (et au fait, tu peux enlever les deux derniers "s" à ta phrase : "mis à part les petites allusions aux précédents ouvrages du maître" puisque je ne visais que la leçon de choses de Whatever works :) et que j'ai beaucoup apprécié les récentes œuvres "européennes" de WA)

    Dasola : Pas vu tant que ça de films récents avec Anthony Hopkins. Ici, je le trouve vraiment remarquable. Il ne ramène pas à lui ses rôles "inquiétants", mais il fait passer une certaine force, plutôt impénétrable, tout en sachant faire preuve de légèreté. Bonne soirée à toi.

  • Je vois que l'unanimité règne sur ce dernier Woody (je publierai mon article sous peu). J'ai moi aussi été agréablement surpris par Hopkins, et j'ai également pensé à Branagh et combien il n'aurait pas du tenter de "faire du Woody Allen".

  • Neil : Hum..., l'unanimité règne... ici. En effet, il me semble avoir lu par ailleurs quelques plumes désappointées. Enfin, nous verrons ça dans le Panoptique du mois prochain... :)

  • J'ai personnellement trouvé ça aussi peu inspiré que Whatever Works. C'est assez lent et mou, peu drôle, et finalement assez dispensable.

  • Pour la scène du retour de l'opéra, moi non plus, je n'ai pas copié (je le jure sur la tête de mon chat) vu que je n'avais pas lu cette critique (ni celle d'Orlof) avant de voir le film.
    Quant à l'évolution d'Allen en "cinéaste du désir", je pense que c'est une tendance qui existe depuis Annie Hall mais que cela s'accentue est peut-être lié à un vieillissement qu'il assume (enfin!). A ce titre, que l'on puisse voir en Hopkins un double du réalisateur marque tout de même une franche rupture par rapport aux films qu'il signait il y a quelques années encore.

  • Wilyrah : J'ai un avis strictement opposé mais comme j'avais, l'an dernier, rejeté Whatever works...

    Ran : Oui, je vois moi aussi cette évolution comme étant très liée au vieillissement d'Allen et peut-être que cela s'articulait moins bien dans les films des années 90 par exemple (bien qu'il y en ait de remarquables).

  • Hey c'est vrai que vous écrivez tous les trois la même chose !
    Wathever Works, quelle crise de rire, je le trouve revigorant. Un autre aurait fait un film cynique qui m'aurait mis mal à l'aise.
    Celui-là, je suis tout-à-fait d'accord sur ses grandes qualités - je plussoie sur Josh Brolin qui détonne en écrivain massif, le bide à l'air en pleine rue - mais j'ai eu trop mal pour Sally, ça m'a déprimé. J'espère que dans une vie future (antérieure), elle aura (eu) de grandes opportunités. Sans doute aussi parce que j'aime beaucoup Naomi Watts et qu'à chaque fois que je la vois dans un film, il ne lui arrive que des malheurs (Mulholland dr., 21 gr., Funny Games, King Kong).

  • Oui, Naomi, dans Les promesses de l'ombre, aussi...

    PS : Nolan, le lien sous ton nom renvoie à la critique de "Mammuth". Est-ce pour nous rappeler un souvenir peu agréable ?

  • Non, c'est un cookie que je n'ai pas corrigé. L'ordi retient mes coordonnées mais la case URL n'est pas assez longue pour que je me rende compte qu'elle affichait un lien vers Mammuth... C'est rectifié, merci de m'avoir prévenu parce que j'ai pu constater que cela fait un petit moment !

  • Ma curiosité l'a emporté, je suis venue de suite...
    Euh...
    Pour Whatever works, Larry n'est pas le pendant de Woody... il est Larry, point. Mais je crois que Woody aimerait être Larry.
    Tu as bien fait de dire de charmantes choses sur Josh...
    Je ne suis guère théoricienne comme tu sais donc je me contenterais de dire que la dernière scène entre Gemma Jones et Naomi Watts est excellente (tout comme les échanges entre GJ et le Brolin). Son air "que personne ne profite des bontés de ma mère mais moi j'y ai droit" bafoué, j'étais hilare. Je n'ai pas d'coeur, je sais.
    J't'envoie un mail.

  • Bien reçu ton mail et remis d'aplomb ma phrase, merci de ta discrétion ;-)

    Pour le reste, fais quand même attention à ce que tu dis sur Naomi Watts... :)

  • Je ne t'ai jamais dit que dans Mulholland Drive je préférais Laura ? :D

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