(Neill Blomkamp / Afrique du sud - Etats-Unis - Canada - Nouvelle-Zélande / 2009)
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District 9 a, depuis un an, été encensé à un tel point, par à peu près tout le monde, qu'il peut très bien supporter que l'on en dise du mal. Cette œuvrette SF faussement novatrice n'échappe selon moi à la nullité que, d'une part, par l'évidence des compétences purement techniques mises à son service (ce qui est bien le minimum que l'on puisse attendre d'une production Peter Jackson, même d'ampleur "modeste") et, d'autre part, par le développement plutôt habile de l'un des thèmes abordés, celui, kafkaïen, de la métamorphose (même si les mutations et les altérations de la chair observées ici restent très en deçà des visions d'un Cronenberg), et il me semble que, comme il arrive parfois, l'originalité de l'idée de départ (montrer le traitement "inhumain" que réservent les autorités et la population de Johannesburg à des extra-terrestres exilés de leur planète) a trop vite été prise pour l'acte de naissance d'un style, celui de Neill Blomkamp qui signe là son premier long métrage.
Pour nous plonger dans son monde, le jeune cinéaste sud-africain n'hésite pas à nous servir cette tarte à la crème du faux reportage, du déluge d'images "objectivées", sans point de vue à force de se multiplier. Se bousculent donc, soumises à un montage tonitruant, les sources documentaires, télévisées, privées, sécuritaires... Ainsi, le spectateur est accroché à peu de frais et l'auteur peut faire l'économie des efforts nécessaires à la construction d'un récit en tant que tel. Pourquoi s'épuiser à développer une narration classique pour décrire une situation alors que les voix off des présentateurs de télé peuvent planter le décor en quinze secondes ? De plus, la démarche a un autre avantage, inestimable : elle vous fait passer pour un cinéaste moderne. Et peu importe que la plus grande confusion règne en ce qui concerne la gestion de l'espace, les positions des caméras, la crédibilité quant aux origines des regards portés... (malgré la multiplicité de ceux-ci, jamais aucun caméraman n'apparaît dans le champ !)
Mais voilà que notre Neill Blomkamp, sans craindre d’être pris pour un réalisateur désinvolte, commence, à peu près à mi-course, à intégrer des plans non-documentaires, des séquences qui ne jouent plus le jeu proposé jusque là. Cette soudaine subjectivité, obtenue de haute lutte, est peut-être supposée nous rapprocher des victimes : les aliens opprimés et le héros pourchassé. On s’en étonne pourtant, et cela d’autant plus que le recours aux autres images, de nature si différente, n’est pas abandonné (il faut dire qu’elles sont bien utiles pour nous expliquer à nous, crétins de spectateurs que nous sommes, ce qui est en train de se passer, comme lorsque le vaisseau se remet en mouvement, par exemple). L’agacement ne s’en trouve d’ailleurs guère atténué car cette échappée subjective nous donne le droit de recenser les plans-gadgets ridicules (la caméra fixée sur le fusil d’assaut : je ne connaissais pas et je ne suis pas déçu), de ployer sous le poids de quelques ralentis et de subir un terrible accompagnement musical à base de world music fervente. On remarquera en outre que la dernière partie de District 9 reprend tous les codes du film d’action bourrin-mais-cherchant-aussi-à-émouvoir.
Les auteurs revendiquent pourtant une position anti-hollywoodienne (ils savent parfaitement bien que pour accéder au statut d’œuvre culte leur film doit être présenté comme le plus éloigné possible des normes en vigueur). Or, l’anticonformisme, par le renversement des figures et l’ironie dont elles sont chargées, ne permet pas forcément d’échapper aux clichés. La subversion de District 9 m’a paru bien superficielle, soutenue qu’elle est par des fondations scénaristiques conventionnelles : la rencontre avec le "bon" alien, la marché passé avec lui, l’amitié qui en découle, le duel avec le méchant militaire… La vision des extra-terrestres n’apporte, elle, pas grand-chose d’autre qu’une incongruité certaine (tiens, un alien en train de pisser…) et le décalage opéré n’empêche pas le message "humaniste" d’être lourdingue. Un problème se pose également avec le choix du personnage principal, que l’on dirait, au moins dans la première partie, échappé d’un sketch des Monty Pythons (si mon imagination ne me joue pas des tours, la référence est assumée avec ces cochons servant, le temps d’un ou deux plans, de projectiles et cette apostrophe au héros, prénommé Wikus, lancée par son adversaire : "Hey, Dickus !"). Partant de là, Blomkamp nous entraîne sur la fausse piste de la comédie trash, comme il feint un moment de bâtir son film sur des sources "documentaires". Une fois venu le moment de la prise de conscience, il est par conséquent impossible de prendre le personnage au sérieux et de s’émouvoir de son sort.
Chantage à la modernité par le biais d’une esthétique impure et désordonnée, déplacement d’un message appuyé sur le terrain du cinéma de genre dans l’espoir de l’alléger, parfum de nouveauté fabriqué à partir de formules éculées : District 9 est en quelque sorte, pour moi, à la science-fiction ce que Redacted est au film de guerre. Si un District 10 débarque un jour sur nos écrans, je vous préviens, l’accueil se fera sans moi…
Commentaires
Pas encore vu mais vos arguments, par nous par ailleurs humblement et injustement supputés, obtiennent déjà notre adhésion. A confirmer par une séance de rattrapage, c'est promis (tout comme Avatar, Démineurs, Inception,..., tous ces grands machins qu'on nous vend "différents" et so smart & clever (le Bigelow est peut-être à part))...
Ce sera le lot de mon mois de décembre...
Merci d'acquiescer les yeux fermés, cher ami (nous verrons quand vous les rouvrirez...), mais ôtez-moi s'il vous plaît le (la) Bigelow de ce groupe de mauvaise compagnie (cela dit en toute mauvaise foi, n'ayant pas encore vu, moi non plus, le film avec les grands bonhommes bleus, ni celui avec les buildings qui se plient en deux).
J'attends votre package hivernal avec impatience...
Cela fait quelque temps que j'ai vu le film mais je suis d'accord avec votre critique. Je pense que le réalisateur est victime de ses ambitions. Et je me demande si au final, le fait d'être targué de l'étiquette Peter Jackson n'a pas été un inconvénient plutôt qu'un avantage. Dans le sens où la réelle force du film était selon moi, ce début dans les faubourgs sud-africains qui posait des questions intéressantes sur la venue d'un extraterrestre pacifiste sur terre. Au final, la sociologie est assez vite reléguée au deuxième plan pour faire place à une intrigue somme toute classique (même si aux accents kafkaiens comme évoqué). Bref, c'est justement ce côté Peter Jackson que j'entends plutôt comme l'immersion d'une grosse prod' dans un pitch qui gagnait à rester plus auteuriste. Le sommet de la consternation est atteint lors de la séquence finale testostéronnée durant laquelle l'acteur principal investit un robot. Très bonne critique au passage !
Merci alucas. Je serai un peu moins sévère avec l'idée de placer le héros dans ce robot, idée que je ne trouve pas mauvaise car elle prolonge en quelque sorte l'hybridation entre la chair humaine et autre chose (de la mécanique qui s'ajouterait encore aux extensions venant de l'ADN alien), mais effectivement, son utilité réelle ne va pas au-delà de la scène d'action très musclée. C'est intéressant ce que vous proposez pour expliquer la bifurcation observée dans le film. Je n'y ai pas pensé sur le coup mais cela me semble assez juste. Peut-être que si la ligne avait été la même jusqu'à la fin, cela aurait produit une autre réaction chez moi. Cela dit, je suis mal placé pour parler de Peter Jackson, ne connaissant que sa trilogie du Seigneur des anneaux, vue sans trop d'enthousiasme ni de véritable ennui non plus...
Assez d'accord avec l'ensemble, fort bien argumenté par ailleurs. La vision en salles, entourée par un éloge critique assez unanime, avait été pour moi une expérience plutôt désagréable. Tout le côté "les médias dictent la grammaire cinéma" est très énervant, qui plus est plombé par le manque d'intrigue... Puis la fin très "on fait tout péter en faisant bouger la caméra très vite" a montré ses limites dans d'autres films... Rien de vraiment mémorable, si ce n'est l'ultime plan (similaire à celui d'Avatar, si mes souvenirs ne me font pas défaut), et la méthode d'apprentissage des armes alien, plutôt barbare... Ed, que voici un beau texte, en tous cas !
Merci Raphaël. L'idée du mode de fonctionnement de ces armes et celle des essais sont bonnes, c'est vrai, mais leur concrétisation sur l'écran est un peu en retrait par rapport à leur potentiel. "les médias dictent la grammaire (au) cinéma", la formule est juste et la chose est d'autant plus énervante que la plupart de ceux qui s'y soumettent le font en essayant de démontrer qu'ils ne sont pas dupes et qu'ils sont résolument modernes.
Bonsoir Ed, j'ai vu ce film une fois, je ne le reverrai pas deux fois. J'ai surtout très peu apprécié la laideur de ce film. Les aliens en train de manger de la nourriture pour chat sont des moments peu ragoûtants. Quant à l'histoire elle-même, bof. Bonne soirée.