Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Une séparation

farhadi,iran,2010s

****

Le premier plan d'Une séparation s'étire dans la longueur pour présenter un couple en plein débat, face à un juge, à propos de l'opportunité d'un divorce. Le rythme des dialogues et le cadrage choisi (fixe, réunissant l'homme et la femme et mettant le spectateur, littéralement, à la place du juge), s'ils semblent attacher d'entrée le film à une tradition cinématographique iranienne, souffrent d'une certaine rigidité. Dans ce dispositif, la véhémence des expressions et les regards adressés à la caméra paraissent un peu forcés. Or la suite va brillamment contredire cette impression d'entrave et les deux axes dévoilés dans ce plan séquence initial, la parole et le regard, vont structurer tout le récit pour donner au film sa dynamique.

Une séparation, comme ce titre l'indique, est un film sur l'écart et la distance. L'appartement bourgeois dans lequel se noue le drame a une allure parfaitement réaliste et la mise en scène se donne l'air de n'être que fonctionnelle, sans esthétisme particulier. Pourtant, on remarque rapidement que l'endroit est une galerie de glaces et de vitres trompeuses ou opaques, un décor qui, par la présence de ses recoins, met à l'épreuve la circulation des regards. Et il en va de même pour les sons. Que voit-on et qu'entend-on d'une action et d'une discussion ? C'est à partir de cette interrogation que s'enclenche une machinerie policière. Même maintenu dans un cadre restreint, ce registre procure déjà un certain plaisir du récit, mais le film va plus loin. Il parle de l'impossible accès aux pensées profondes de l'autre, impossibilité basée notamment sur un constat tout simple : si proche que nous soyons, jamais nous ne voyons ni entendons exactement la même chose que notre voisin. Une autre donnée, également mise à jour par le cinéaste, rend la fusion impossible : l'écart sensible existant entre les différentes paroles, leur nature, leur usage. D'une part, la langue de la justice n'est pas la même que celle de l'intime, et, d'autre part, le maniement des mots reste un marqueur de classe sociale.

L'espace qui se crée entre les mots des uns et les mots des autres, entre la pensée et sa mise en forme, la perception différente que peuvent avoir deux personnes d'un même évènement ou d'une simple phrase (ce que les mots veulent dire), voilà ce qui entraîne ici une série de réactions en chaîne. Prenant un aspect choral par sa faculté à s'intéresser de façon égale à chaque personnage, le film parvient à échapper à toute lourdeur, entre autres raisons parce qu'il reste confiné dans l'intime. Brillant par son écriture sans paraître artificiel, il se déroule sur un tempo parfaitement maîtrisé, la plupart des séquences se permettant de "retomber" en leur fin, comme dans la vie. Tendu, le film n'est pas hystérique.

Enfin, l'un des aspects les plus frappants est l'absence de jugement porté sur les personnages. Ici, chacun a vraiment ses raisons. Pour autant, cela n'indique pas qu'il faille se contenter d'un statu quo car, jusqu'au bout, l'écart de classe est perceptible. Si l'onde de choc est comparable des deux côtés, les gens les plus aisés s'en sortiront toujours mieux que les autres. Les conséquences matérielles, par exemple, ne sont pas du tout du même ordre.

Tout cela forme au final une trame complexe, qualité qui ne vient pas uniquement d'un scénario excellemment ficellé.

 

farhadi,iran,2010sUNE SÉPARATION (Jodaeiye Nadre az Simin)

d'Asghar Farhadi

(Iran / 123 mn / 2011)

Commentaires

  • Encore un grand film sorti dans une année 2011 décidément généreuse en pépites.

    Je ne sais pas si on peut qualifier le film de naturaliste, mais il m'a semblé approcher très près du quotidien et de la réalité d'une société iranienne complexe, au sein de laquelle coexistent, notamment, une classe aisée et une classe modeste, plus encline à se tourner vers Dieu et la religion.

    Outre cet aspect contemporain, souligné par la proximité et la mobilité de la caméra, donc de la mise en scène, j'ai beaucoup aimé la représentation de deux classes sociales sans aucune caricature. Les motivations des personnages sont complexes et ne peuvent être réduites à une causalité unique. Il aurait été tellement facile de succomber aux clichés des gens de peu, modestes matériellement, relativement ignorants et qui s'en remettent à la religion en flirtant dangereusement avec le fondamentalisme. C'est même fait de manière plutôt fine puisqu'on joue, au moins au début, au moins en apparence, sur ces clichés (cf. l'interrogation que l'on a sur le mari "violent" : est-ce lui qui a battu sa femme ?).

    Même si cela ne se fait pas chez les cinéphiles de bon goût (faire des louanges sur un scénario ou un jeu d'acteurs), je souligne la performance des acteurs, d'une très grande justesse, tous. Le prix collectif d'interprétation est parfaitement justifié.

    Le problème, c'est que cette année est prolixe (enfin). J'ai déjà de grosses hésitations pour le traditionnel classement de fin d'année. Si tu ne les as pas encore vus, je ne saurais trop te conseiller d'aller voir : Winter's Bone, La solitude des nombres premiers et Blue Valentine (un film attachant, pas majeur, mais attachant et réussi) !

  • Moi aussi très séduit par ce film. Et d'accord avec Julien pour la grande qualité de l'année 2011 en ce moment (à ceci près que j'ai trouvé Blue Valentine mauvais). Pour l'instant, j'ai Tree of Life, Winter's Bone, Une séparation et True Grit en quarté de tête.

  • Blue Valentine, mauvais ? Alors là, va falloir m'expliquer...

  • Pour ce qui est de l'année en cours, je la trouvais, dans les premiers mois, bonne, sans être exceptionnelle, mais il est vrai que, depuis, plusieurs films l'ont sacrément re-haussée (personnellement pas vu La solitude... ni Blue valentine, et par ailleurs, Nolan tu le sais, Tree of life et True grit auront peu de chance de figurer dans mes dix titres de l'année).

    Sur "Une séparation", tu as raison, Julien, notamment sur "cette manière plutôt fine" de représenter les deux classes sociales. L'une des qualités du film, je crois, c'est cette conduite intelligente mais qui n'a pas l'air d'être effectuée par un "petit malin". C'est dû à la proximité des personnages, au réalisme etc... (aux acteurs aussi, bien sûr)

  • Bonsoir, rien d'autre à dire que c'est un des grands films de 2011. Je suis d'accord avec ton billet mais je n'ai pas trouvé la première séquence figée, bien au contraire et elle aurait pu encore durer. Bonne soirée.

  • Même impression de grand film à la sortie de deux heures de projection qui passent comme une fleur à la poste. Bel angle d'analyse que celui de la circulation des regard et des sons, du cloisonnement du regard dans un film qui apparaît d'abord comme capté par une caméra-vérité. Il semble au contraire que Farhadi soit le cinéaste du faux-semblant, maniant l'ellipse avec une ruse redoutable.

  • De Farhadi resortent d'ailleurs, par ci par là cet été, "La fête du feu" et "A propos d'Elly". Je ne sais si je pourrai les voir à cette occasion, mais l'expérience doit être intéressante.

Les commentaires sont fermés.