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iran

  • Ceci n'est pas un film

    panahi,iran,documentaire,2010s

    Sous le coup d'une double interdiction prononcée par le régime qui l'empêche de tourner et de quitter le territoire, Jafar Panahi fait les cent pas dans son appartement et demande à Mojtaba Mirtahmasb, ami documentariste, de lui rendre visite afin que celui-ci le filme en train de lire et mimer le scénario d'un projet non réalisé.

    Ceci n'est pas un film : on ne pourrait trouver titre plus riche de sens par son antinomie. D'une part, montrer quelqu'un qui tourne en rond, désœuvré, chez lui, cela ne fait pas un "film". D'autre part, ce qui est montré est la réalité de la situation vécue par le cinéaste et non une fiction, un "film". Mais ces deux affirmations peuvent être également renversées. En effet, c'est un film puisque l'on y trouve un regard, un point de vue et un récit. Et c'est un film car s'immisce une interrogation sur la mise en scène du réel. Amenée par la parole de Panahi lui-même, qui évoque ses œuvres précédentes, cette interrogation contamine aussi ce projet original.

    Au départ, il y a donc cette envie de jouer devant une caméra le scénario d'un film non réalisé pour cause de censure. Un scénario qui, en toute logique, raconte l'histoire d'une claustration. Ceci n'est pas un film est donc basé sur un dispositif, comme tout bon film iranien qui se respecte. Mais il arrive un moment où ce dispositif est démasqué, repoussé, contredit, dépassé, comme dans tout grand film iranien qui se respecte. Dans l'appartement, la représentation tourne court, Jafar Panahi cédant au découragement. De manière paradoxale, à nouveau, il pensait que le spectateur pouvait imaginer ce que lui ne faisait que décrire succinctement, puis finit par se demander quel peut être l'intérêt de réaliser un film pouvant être ainsi raconté.

    Ce sont ces brusques arrêts et les nouveaux élans qui les suivent qui rendent ce film, a priori "petit", passionnant et lui évitent d'être ennuyeux (le cinéma de Panahi ne l'est jamais, d'ailleurs). Ici, pris dans le flot de sa conversation avec son ami, il a recours au DVD pour illustrer certaines des idées qu'il avance. A travers la représentation et l'explication de son scénario et ces interventions télécommande à la main et revenant sur quelques uns de ses précédents films, c'est le travail du cinéaste qui s'éclaire. Et comme souvent lorsqu'un artiste se retourne ainsi sur son œuvre, preuves à l'appui, la chose est d'un grand intérêt, cela d'autant plus que l'énergie dont fait preuve le cinéaste iranien, ajoutée à cette impression d'urgence et d'empêchement générée par ces conditions si particulières, éloigne le spectre du narcissisme.

    Dans le film, revient la question de la justesse ou de la fausseté d'un geste, d'une interprétation, et par extension de l'ambiguïté que véhicule toute image. Et même au niveau où l'on se trouve là, au "ras du quotidien", des micro-événements se "fictionnalisent" devant la caméra portée, comme lors de l'intervention d'une voisine cherchant absolument à faire garder son chien, ou bien quand un suspense né d'une déscente en ascenseur et de l'approche d'une grille séparant la résidence de la rue agitée par la Fête du Feu. Ceci n'est pas un film se termine avec ce plan, ponctuant une œuvre qui aura, mine de rien, pourrait-on dire, constamment tournée autour problème du hors-champ et de la limite. Voilà une cohérence qui provoque une sensation assez vertigineuse : cet empêchement absurde, c'est celui que subit Jafar Panahi chaque jour, c'est aussi celui qu'il a décrit maintes fois dans ses films "d'avant" et c'est enfin celui que l'on ressent si fort dans la forme même de celui-ci.

     

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    panahi,iran,documentaire,2010sCECI N'EST PAS UN FILM (In film nist)

    de Mojtaba Mirtahmasb et Jafar Panahi

    (Iran / 75 min / 2011)

  • Une séparation

    farhadi,iran,2010s

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    Le premier plan d'Une séparation s'étire dans la longueur pour présenter un couple en plein débat, face à un juge, à propos de l'opportunité d'un divorce. Le rythme des dialogues et le cadrage choisi (fixe, réunissant l'homme et la femme et mettant le spectateur, littéralement, à la place du juge), s'ils semblent attacher d'entrée le film à une tradition cinématographique iranienne, souffrent d'une certaine rigidité. Dans ce dispositif, la véhémence des expressions et les regards adressés à la caméra paraissent un peu forcés. Or la suite va brillamment contredire cette impression d'entrave et les deux axes dévoilés dans ce plan séquence initial, la parole et le regard, vont structurer tout le récit pour donner au film sa dynamique.

    Une séparation, comme ce titre l'indique, est un film sur l'écart et la distance. L'appartement bourgeois dans lequel se noue le drame a une allure parfaitement réaliste et la mise en scène se donne l'air de n'être que fonctionnelle, sans esthétisme particulier. Pourtant, on remarque rapidement que l'endroit est une galerie de glaces et de vitres trompeuses ou opaques, un décor qui, par la présence de ses recoins, met à l'épreuve la circulation des regards. Et il en va de même pour les sons. Que voit-on et qu'entend-on d'une action et d'une discussion ? C'est à partir de cette interrogation que s'enclenche une machinerie policière. Même maintenu dans un cadre restreint, ce registre procure déjà un certain plaisir du récit, mais le film va plus loin. Il parle de l'impossible accès aux pensées profondes de l'autre, impossibilité basée notamment sur un constat tout simple : si proche que nous soyons, jamais nous ne voyons ni entendons exactement la même chose que notre voisin. Une autre donnée, également mise à jour par le cinéaste, rend la fusion impossible : l'écart sensible existant entre les différentes paroles, leur nature, leur usage. D'une part, la langue de la justice n'est pas la même que celle de l'intime, et, d'autre part, le maniement des mots reste un marqueur de classe sociale.

    L'espace qui se crée entre les mots des uns et les mots des autres, entre la pensée et sa mise en forme, la perception différente que peuvent avoir deux personnes d'un même évènement ou d'une simple phrase (ce que les mots veulent dire), voilà ce qui entraîne ici une série de réactions en chaîne. Prenant un aspect choral par sa faculté à s'intéresser de façon égale à chaque personnage, le film parvient à échapper à toute lourdeur, entre autres raisons parce qu'il reste confiné dans l'intime. Brillant par son écriture sans paraître artificiel, il se déroule sur un tempo parfaitement maîtrisé, la plupart des séquences se permettant de "retomber" en leur fin, comme dans la vie. Tendu, le film n'est pas hystérique.

    Enfin, l'un des aspects les plus frappants est l'absence de jugement porté sur les personnages. Ici, chacun a vraiment ses raisons. Pour autant, cela n'indique pas qu'il faille se contenter d'un statu quo car, jusqu'au bout, l'écart de classe est perceptible. Si l'onde de choc est comparable des deux côtés, les gens les plus aisés s'en sortiront toujours mieux que les autres. Les conséquences matérielles, par exemple, ne sont pas du tout du même ordre.

    Tout cela forme au final une trame complexe, qualité qui ne vient pas uniquement d'un scénario excellemment ficellé.

     

    farhadi,iran,2010sUNE SÉPARATION (Jodaeiye Nadre az Simin)

    d'Asghar Farhadi

    (Iran / 123 mn / 2011)

  • Le goût de la cerise

    kiarostami,iran,90s

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    Une idée lumineuse : en 1997, le jury du festival de Cannes, présidé par Isabelle Adjani, décida de décerner une double palme d'or, à Shohei Imamura pour L'anguille et à Abbas Kiarostami pour Le goût de la cerise. Bien sûr, le public s'en ficha comme de son premier et dernier Apichatpong Weerasethakul, ce qui fit plafonner les deux titres gagnants autour de 160 000 entrées. Peu importe. Dans le cas de Kiarostami, la récompense venait signaler le pic d'une extraordinaire période courant sur une dizaine d'années, ayant débuté avec la découverte occidentale de Où est la maison de mon ami ? (1988) et qui allait bientôt se clore avec Le vent nous emportera (1999).

    Les travaux suivants du cinéaste - comme, probablement, ses précédents - ont leur beauté, mais ceux des années 90 sont admirables pour leur capacité à nous ouvrir à un monde, à extirper de sa réalité des récits divers et à tenir des propos variables, tout en empruntant, à chaque fois, peu ou prou, les mêmes chemins. Subtilement auto-réflexifs, basés sur les figures du retour, de la spirale, de la boucle, les films de cette série dialoguent les uns avec les autres.

    Ici, le goût de la cerise, c'est le goût de la vie, que semble avoir perdu Monsieur Badii. Cet homme, nous le suivons pendant 90 minutes, presque en temps réel, alors qu'il sillonne à bord de son Range Rover les alentours de Téhéran à la recherche d'une bonne âme susceptible de l'aider à mener à bien un projet qu'il tarde à (nous) révéler. Son 4x4, nous le quittons très rarement, et lorsque cela arrive, il n'est jamais très loin. La mise en scène d'un trajet est fréquente chez Kiarostami. Il sait que le déplacement automobile est un fantastique moteur narratif. Il n'y a qu'à filmer la route qui défile et c'est tout le film qui avance et qui ne cesse de s'ouvrir aux possibilités de l'espace et du temps. Un jeu s'instaure entre l'intérieur et l'extérieur, une alternance entre les vues embarquées, au plus près du conducteur, et celles, beaucoup plus larges, qui suivent de loin le véhicule en train de se frayer son chemin ou de s'arrêter au cœur du paysage.

    Mais la voiture de Monsieur Badii, c'est un peu, déjà, son tombeau, son trou. Comme celui qu'il vient de creuser, celui dans lequel il mourra et sera enterré ou duquel il sera extirpé vivant au petit matin, cela dépendra... Dès le premier plan du film, l'homme est au volant, dans l'habitacle. Il en sortira peu. La vie, elle est au dehors et elle tente de le retenir, lui, le suicidaire. La tension qui se crée entre le dedans et le dehors structure le récit et agit sur plusieurs plans, suivant une évolution rigoureuse. Le prologue montre quelques personnes abordées à travers la fenêtre du véhicule en marche et qui refusent le dialogue ou proposent des choses qui n'intéressent pas le conducteur. Pris en stop, un jeune militaire accepte, malgré sa réserve, la balade proposée mais s'enfuit aussitôt la mission exposée au bord de la "tombe". Ensuite, un séminariste grimpe sans problème pour faire le même tour. Mais pour rendre cette rencontre possible, Monsieur Badii a déjà dû descendre de son véhicule. Essuyant à nouveau un refus, il jette son dévolu sur un vieux taxidermiste, qui se porte volontaire pour l'aider dans son funeste projet. Pourtant, ce nouvel échange, loin de l'apaiser, va le pousser un temps hors de son refuge à quatre roues, l'entraîner dans une course soudaine pour poser une dernière question à son passager. Au fur et à mesure, Monsieur Badii est donc ramené vers l'extérieur, vers la vie.

    Notons que chaque trajet, bien qu'ayant le même but, diffère. Le premier tourne court, le deuxième est bouclé normalement, le troisième se prolonge à la faveur de multiples détours. Cette progression déstabilise encore le désespéré (dont il faut préciser que nous ne savons rien de tout le film, sinon, justement, le désespoir). L'espace s'y met, la parole aussi. Le militaire est peu loquace et se contente de réponses brèves et peu assurées. Le séminariste provoque la discussion sur le thème de l'interdit religieux du suicide. Le taxidermiste se lance dans un long monologue, tentant de convaincre Monsieur Badii tout en respectant son choix.

    Celui-ci est donc en train d'effectuer un passage. Il s'efface, il s'enfonce. Une séquence de transition, aux accents antonioniens, le surprend à regarder les travaux qui s'effectuent dans une carrière. Les monceaux de terre et de gravats qui s'abattent le font par moments disparaître derrière un écran de poussière. Mais il faut bien voir que ce n'est justement que de la poussière et entendre que les bruits assourdissants envahissant la bande son sont exactement ceux des engins du chantier. En effet, la grandeur du cinéma de Kiarostami est là : jamais l'élévation du propos ne se fait à la suite d'un détachement du réel. Les deux sont présents dans le plan, en même temps, et nous sommes libres de lire celui-ci "à plat" ou "en profondeur".

    Dans Le goût de la cerise, nous sommes libres aussi de conclure. Il n'y a pas de retour bienheureux à la vie. Kiarostami ne filme pas un retournement positif mais bien le vacillement d'une conscience. L'incongruité de certains détails, l'astuce malicieuse qui consiste à différer le dévoilement du projet de Monsieur Badii (sa ronde automobile a, au début, des allures de drague homosexuelle), l'appel par le vieux taxidermiste à profiter du goût de la mure et de la cerise, ainsi que les dernières images, hors fiction, ensoleillées et légères, ne suffisent pas à masquer la noirceur du propos, l'inquiétude devant ce pays noyé dans la poussière, les interrogations naissant de ce défilé social et culturel dans la voiture (un Kurde, un Afghan, des allusions aux guerres menées par l'Iran... : tout cela ne peut être anodin).

    Cette douleur rentrée est merveilleusement rendue par l'acteur Homayoun Ershadi. Autant que son mutisme final, son énervement grandissant face aux tergiversations du jeune soldat bouleverse. A l'instar de sa voiture, ses phrases se mettent à tourner, à partir dans une spirale sans fin. Elles sont alors, aussi, à l'image du cinéma de Kiarostami, dont Ershadi devient le double comme le font sentir les plans subjectifs du début. Qui parle ? Est-ce le personnage ou le cinéaste en reportage ? Ces questions viennent avec les premières images, déjà, sans les parasiter pour autant. Et l'étonnant final voit débouler Kiarostami lui-même. Pour désamorcer peut-être, stimuler encore et toujours, certainement.

     

    (Note rédigée dans le cadre d'un concours organisé par PriceMinister. Page du DVD du Goût de la cerise sur le site.)

     

    kiarostami,iran,90sLE GOÛT DE LA CERISE (Ta'm e guilass)

    d'Abbas Kiarostami

    (Iran / 95 mn / 1997)

  • Close-up

    (Abbas Kiarostami / Iran / 1990)

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    closeup4.jpgEn 1990, sortait dans les salles françaises Où est la maison de mon ami ?, révélant ainsi aux spectateurs le nom d'Abbas Kiarostami. Ce que l'on ne pouvait savoir à l'époque, c'est que ce film clôturait un cycle plutôt qu'il n'en entamait un. Revoir aujourd'hui Close-up (Nema-ye Nazdik), l'opus suivant du cinéaste iranien, permet en effet de réaliser à quel point celui-ci donne au frottement entre documentaire et fiction une étonnante dimension réflexive. Ce questionnement, inauguré ici brillamment, bien que, peut-être, un peu trop ostensiblement, Kiarostami va par la suite l'affiner et le fondre idéalement dans des récits à la fois distanciés et bouleversants, au cours d'une décennie prodigieuse le menant de Et la vie continue... à Ten.

    Si Close-upn'est pas dépourvu d'émotion, notamment dans ses fameuses dix dernières minutes, celle-ci a toutefois tendance à s'effacer derrière le jeu intellectuel proposé autour du réel et des images. Le prétexte en est donc ce petit fait divers, cette affabulation du dénommé Hossain Sabzian, qui abusa de la crédulité d'une famille de Téhéran en se faisant passer pour le célèbre cinéaste iranien Mohsen Makhmalbaf. L'homme est difficile à cerner. D'une douceur extrême, en proie à des difficultés familiales et professionnelles, il ne donne pour explication à son comportement répréhensible que son amour immodéré du cinéma et sa reconnaissance infinie pour ceux qui le font et qui parviennent à projetter sur l'écran toute sa souffrance (il utilise l'expression plusieurs fois, notamment en réponse à la question que lui pose Kiarostami sur ce qu'il attend de ce film en train de se faire). Les propos tenus lors des entretiens, des reconstitutions ou du procès, dévoilent des pensées éminemment complexes. A la folle envie de Sabzian d'être le réalisateur Makhmalbaf, répond presque, chez les victimes de sa tromperie, celle d'y croire malgré tous les troublants indices qui s'accumulent. Close-up, en tentant de comprendre encore et encore les raisons d'un comportement pénètre très profondément dans la psychologie (et, par la même occasion, incidemment dirait-on, fait aussi remonter la question sociale par l'évocation du chômage et de la pauvreté). Le regard de Kiarostami est perçant.

    Du point de vue purement cinématographique, le film est aussi, en quelque sorte, une "école du regard". On entend, à l'entame du procès de Sabzian, Abbas Kiarostami expliquer à l'accusé comment celui-ci va filmer son déroulement, explications des termes techniques à l'appui, le premier d'entre eux étant bien sûr le gros-plan, le close-up. Mais il faut, avant d'aller plus loin, revenir sur l'étonnante construction du récit. Le film débute par le trajet en taxi d'un journaliste jusqu'à la maison de la famille Ahankhah. La circulation aidant, la vie bruisse tout autour de la voiture et, à l'intérieur, seul le montage et les changements d'axe de la caméra trahissent la fiction (ou la reformulation d'une réalité). Comme Kiarostami nous laisse sur le pas de la demeure, dans la rue, nous ne voyons rien de l'arrestation de Sabzian sur les lieux de son "forfait", sinon son départ pour le commissariat. Passé le générique, qui ne survient qu'au bout d'un quart d'heure, nous assistons à la première rencontre entre Kiarostami et Sabzian emprisonné. Elle est filmée de derrière une vitre et un magnifique zoom vient ponctuer l'émotion que provoque des propos douloureux. Vient ensuite le temps du procès, enregistrement documentaire entrecoupé de quelques scènes reconstituées retraçant les événements passés. L'arrestation de Sabzian est ainsi remise en scène, cette fois-ci en nous plaçant dans la maison, offrant donc à notre regard ce qui, au début, était relégué hors-champ (au cours de la séquence s'organise d'ailleurs une magnifique chorégraphie policière).

    On le voit, jusqu'à un épilogue dans lequel sont utilisées les techniques du reportage d'investigation (téléobjectif, micro HF, camionnette), Close-upne cesse de tourner autour du réel. Sa force repose sur le fait que Kiarostami ne cherche pas à nous tromper (il n'empêche pas l'intrusion des perches des micros et laisse même un clap à l'image) mais parvient cependant à laisser circuler un certain doute. A cela s'ajoute l'impressionnant empilement des niveaux de lecture que permet cette mise en abyme, Kiarostami offrant la possibilité à un homme se rêvant cinéaste ou acteur, de rejouer devant la caméra la supercherie qu'il avait imaginé. En découle une délicieuse impression de vertige de représentation et le plaisir de savourer des petits moments grisants, essentiellement lors des échanges portant sur le fait de jouer son propre rôle ou sur l'œuvre passée de Kiarostami. Souffrance et sourire en coin, donc. Tristesse et légèreté. Close-upest décidément le noyau dur du cinéma d'Abbas Kiarostami.

    (Chronique dvd pour Kinok)

  • Les chats persans

    (Bahman Ghobadi / Iran / 2009)

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    leschatspersans.jpgTournage clandestin dans les rues et les caves de Téhéran, sujet inattendu (de la dfficulté et du danger de monter un groupe de rock en Iran), bel accueil cannois : une fois satisfaite la curiosité initiale provoquée par ces diverses informations, je dois dire que Les chats persans (Kasi az gorbehaye irani khabar nadareh), malgré son potentiel de chambardement, n'ont pas fait varier d'un pouce mon jugement sur Bahman Ghobadi. Je reste sur la même impression que lors de ma découverte d'Un temps pour l'ivresse des chevaux (2000) et des Chansons du pays de ma mère(2002), deux de ses quatre autres longs-métrages : s'il réalise des travaux très estimables, le cinéaste n'atteint jamais l'excellence de ses compatriotes Abbas Kiarostami, Jafar Panahi et Mohsen Makhmalbaf. La principale réserve est que chez Ghobadi la forme est souvent délaissée au profit du discours.

    Avec ce nouveau film, le cinéaste s'efforce de propager une onde de choc, celle qui naît des instruments des jeunes iraniens et qui ne peut, en l'état actuel des choses, que se cogner aux murs calfeutrés des sous-sols. L'intérêt premier des Chats persans se situe là, dans la visibilité qu'il offre à une jeunesse maintenue sous la chape. Tout le monde a déjà rappelé l'étrange double sens dont se charge ici le terme de rock (ou de musique) underground : le qualificatif renvoie au style et désigne également une réalité topographique. Cette dernière est très bien rendue dans les premières minutes du film, lorsqu'il nous faut circuler dans les ruelles et les arrière-cours avant de descendre dans les caves. Nous le faisons en nous calant dans les pas d'un jeune couple de compositeurs à la recherche de musiciens tentés par l'aventure d'un concert à l'étranger. Un manager aussi passionné mais plus débrouillard qu'eux leur sert, comme à nous, de guide dans ce monde souterrain. Étrangement, l'intérêt topographique du film s'étiole progressivement, la mise en scène ne parvenant que rarement à le réhausser sur la durée. C'est que la répétition des situations (ligne narrative circulaire qui se retrouve souvent dans le cinéma d'auteur iranien et qui a pu donner lieu, chez les artistes pré-cités, à des expériences particulièrement fortes) ne provoque pas d'emballement autre que celui prévu par le scénario (le dénouement, très conventionnel par son habillage, convoquant une musique techno encore une fois synonyme de transe, de drogue et de perte des repères).

    Le récit prend la forme de l'enquête documentaire (sans fiction, le film n'aurait-il pas été plus fort ?) car il n'obéit qu'à la logique des déplacements du manager du groupe, présentant successivement aux deux candidats à l'émigration tous les types de musiciens possibles. En resulte une série de saynètes, inégales mais parfois assez savoureuses. Chacune donne lieu, la plupart du temps pour clore la séquence, à une mise en scène de la musique jouée par les gens rencontrés. Au lieu de se cantoner (comme semblent le souhaiter les deux protagonistes) à l'indie rock, Ghobadi dresse un panorama complet de la musique iranienne, ce qui nous fait entendre des airs traditionnels, de la world, du blues, de la soul, du metal, du rap, de la pop, du rock... Aucun n'est réellement désagréable mais l'ensemble fait pencher le film vers l'artifice du catalogue. Plus problématique encore, à mon sens, est l'illustration que propose le cinéaste de ces divers morceaux en les passant tous à la même moulinette. Non qu'il ait fallu renoncer à insérer ces clips dans la narration, mais une différence d'approche aurait pu intervenir entre chaque car tous ont droit au même traitement visuel, quelle que soit leur couleur musicale : un montage rapide, calé sur les beats, d'images documentaires de la société iranienne. A la monotonie et au caractère appuyé du message ainsi véhiculé s'ajoute de plus une atténuation parfois fâcheuse de la singularité des styles et de l'urgence du live.

    Mais voici une note bien sévère pour une œuvre très recommandable, chaleureuse et sombre...