Trois comédies :
To Rome with love
To Rome with love, le Woody Allen de l'année, est moins emballant que Vicky Cristina Barcelona et moins réussi que ses quatre films britanniques, mais il est plus vivant que Minuit à Paris et moins agaçant que Whatever works. Je vous l'accorde, dresser cette échelle toute personnelle n'a pas grand intérêt tant les préférences de chaque cinéphile concernant les œuvres récentes du new-yorkais diffèrent (seul Match point, qui a bénéficié sans aucun doute du double fait d'être le premier de la série "européenne" et de courir sur une note exclusivement dramatique, provoque un consensus). Bornons-nous donc à parler de ce nouvel opus arborant les couleurs italiennes.
A l'accroche possible "WA est en petite forme", je préfère une autre : "WA choisit une petite forme". Et cela ne lui sied pas mal. Ici, quatre histoires sont racontées mais alternativement, un bout de l'une arrivant après un bout d'une autre. Les récits ne se mélangent pas, leur seul point commun étant la ville dans laquelle ils se déroulent. Ces sauts narratifs réguliers ont un avantage : ils protègent d'un discours trop appuyé sur l'Existence, péché mignon du cinéaste. Certes, ses thèmes chéris se retrouvent, mais dès que l'un d'entre eux devient un peu trop présent, on passe rapidement à autre chose en changeant de segment. La légèreté du film vient aussi de là.
Ne cherchant absolument pas à épater son spectateur, Allen, pour son hommage à la ville romaine, réalise en fait l'équivalent contemporain des films à sketchs ou des films choraux qui faisaient une bonne part du cinéma italien de la grande époque de l'après-guerre. Il se situe dans cette moyenne-là, inégal mais assez souvent drôle. Ses différentes parties sont équilibrées puisque l'on trouve dans chacune du bon et du moins bon, de la routine allennienne et des bribes inspirées.
Tout le monde connaît maintenant le meilleur gag du film, venant d'une idée "bête" poussée malicieusement jusque dans ses retranchements les plus absurdes. Il porte littéralement la partie WA/Judy Davis, partie qui, par ailleurs, charrie son lot de clichés, tant du côté américain que du côté italien (et les premières scènes d'Allen à l'écran le montrent, à mon sens, fatigué). Parallèlement, l'histoire du jeune couple de la campagne que le hasard sépare dans Rome implique une figure de prostituée guère renouvellée mais offre, à travers l'aventure de la fille, un réel vent de fraîcheur, l'agréable dépassement d'une naïveté au départ encombrante, sans jugement moral.
La partie Benigni est la plus ouvertement absurde. C'est une critique amusée de l'emballement et du vide médiatique. Notre Roberto franchit la ligne tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, il est souvent efficace mais se force par moments, trop heureux d'être "l'Italien de Woody Allen" et de passer pour l'égal d'un Alberto Sordi. Enfin, la partie Eisenberg/Page n'est pas très neuve quand elle décrit la façon dont un homme tombe amoureux de la meilleure amie de sa fiancée. La singularité vient plutôt du glissement opéré par le personnage d'Alec Baldwin, de la réalité à l'imaginaire, sans que la belle présence désabusée et la verve de l'acteur n'en pâtissent.
C'est ainsi que le dernier Woody Allen balance, gentiment, sans prétention.
Adieu Berthe - L'enterrement de Mémé
Je dois avouer connaître très mal le cinéma de Denis (et Bruno) Podalydès (je n'en avais jusque là pas vu grand chose : Le mystère de la chambre jaune, qui m'avait assez profondément ennuyé, et Versailles Rive-Gauche, que j'ai, depuis tout ce temps, totalement oublié) et sans doute n'est-ce pas la meilleure disposition pour apprécier Adieu Berthe, film qui passe manifestement aux yeux de beaucoup de défenseurs pour l'aboutissement d'un chemin commencé à l'orée des années 90.
Le rapprochement opéré ici avec Woody Allen n'est dû qu'aux hasards d'une programmation m'ayant fait découvrir les deux œuvres à la suite l'une de l'autre et à l'appartenance au genre comique. Peut-être Podalydès a-t-il pu faire dire à certains, à ses débuts, que son humour était assez allennien. Toujours est-il qu'Adieu Berthe trouve tout de suite, à mon sens, un rythme, une forme, un ton singuliers, dépourvus de toute béquille référentielle.
Toutefois, je dois dire (et je ne suis pas le seul) que le film ne me pousse pas à le commenter outre mesure. La qualité de l'interprétation est évidente (la troupe des Podalydès accueillant notamment une Valérie Lemercier ébouriffante, par le texte comme par la présence physique) comme sont pertinentes la plupart des idées comiques (l'entreprise Obsécool ou le "combien de portos ?" lancé par Arditi, parmi les nombreuses trouvailles). Sous les rires, percent bien sûr des thèmes graves, des courants sérieux (l'angoisse du vieillissement, de la séparation, de la disparition), rendus ainsi sans insistance ni sensiblerie. Séduisent surtout l'honnêteté du traitement des personnages, l'étonnant respect de leur indécision, de leurs revirements. A leur image, le film se fait buissonnier, jusqu'à en devenir parfois langoureux (j'aime peu, pour ma part, les intermèdes oniriques proposés là). Des SMS s'inscrivent plein écran, à de nombreuses reprises. Cela ne constitue pas une première et perturbe légèrement la fluidité des plans mais l'idée de les différencier par des codes couleur renvoyant à leur auteur est, dirai-je, lumineuse.
La part des anges
La comédie de Ken Loach est bien plus dramatique que celle d'Allen ou de Podalydès (elle est aussi, dans ses moments purement comiques, moins amusante). Le terreau social, écossais, au-dessus duquel s'élève La part des anges n'est pas plus privilégié que ceux que l'on trouve dans les films les plus sombres du cinéaste. Au menu, donc : atavisme, alcoolisme, délinquance, bastons, prison...
Si la tête des personnages est maintenue hors de l'eau, c'est qu'est apportée cette fois-ci une pincée de fable, à la faveur d'une improbable arnaque au whisky menée à bien par une sympathique troupe de bras cassés (des petits délinquants condamnés à des travaux d'utilité publique qui ont pu acquérir quelques connaissances dans l'art de la distillation). A ces losers, le scénario ménage quelques coups de pouce du destin (prolongeant ceux, bien réels, que des bonnes personnes, si rares dans ce monde en voie de pourrissement, veulent bien leur donner).
Coups de pouce et coups de massue aussi, ditribués en alternance, d'une manière si systématique qu'elle empêche La part des anges d'accéder au statut de bonne cuvée. Loach et Laverty se plaisent à manipuler le spectateur sans précautions ni subtilité. Leur principe est celui du yoyo émotionnel : une tuile succède à une chance, une condamnation vient après une échappée, une angoisse suit un bonheur. Pour faire sentir la difficulté qu'il y a à s'extirper de ce milieu défavorisé, ils soufflent le chaud et le froid, parfois à l'intérieur même des scènes, dont on voit venir le changement de tonalité à plein nez (à la suite d'une soudaine nervosité du cadre, d'un flottement ou d'un petit décadrage). C'est un véritable système qui est mis en place, quand la répétition à l'œuvre dans Ladybird, pour prendre un exemple tiré de la meilleure période du cinéma de Loach, produisait tout à fait autre chose.
Pourtant, La part des anges reste estimable et n'ennuie pas. Le "coup" imaginé a le mérite de propulser les protagonistes hors de leur milieu et donc du "système". Surtout, dans les séquences elles-mêmes, Loach sait toujours tirer le meilleur de ses acteurs et n'a aucun mal à nous attacher aux figures principales. On apprécie alors les discussions et les rapports les plus simples, on se surprend à s'intéresser à des choses peu évidentes comme un cours sur le whisky. C'est entre ses articulations que le film existe, c'est dans le trois fois rien qu'il assure.
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TO ROME WITH LOVE
de Woody Allen
(Etats-Unis - Italie - Espagne / 112 min / 2012)
ADIEU BERTHE - L'ENTERREMENT DE MÉMÉ
de Bruno Podalydès
(France / 100 min / 2012)
LA PART DES ANGES (The angels' share)
de Ken Loach
(Grande-Bretagne - France - Belgique - Italie / 100 min / 2012)
Commentaires
Bonjour Ed, des trois, je ne retiens que le Ken Loach (à voir en VO écossaise), les deux autres m'ont beaucoup déçue. Bonne après-midi.
Contrairement à notre amie Dasola, je n'ai pas vu le Loach qui ne me tente pas beaucoup. Si je suis d'accord en tout point avec toi concernant le Woody Allen (pas génial mais plaisant), je suis quand même plus enthousiaste que toi à propos du Podalydès dont le charme évanescent n'est pas facile à décrire mais qui me semble beaucoup plus riche formellement et dans ses enjeux.
Bonjour Edouard,
j'ai partagé la déception de Dasola pour le dernier Podalydès. Habituellement, j'apprécie ce cinéaste pour son univers décalé et la tendresse de sa réalisation, surtout avec Dieu seul me voit, un de ses premiers films. Mais Le mystère de la chambre jaune et Bancs Publics m'avaient déjà un peu déçue par leur mollesse, et je ne vois pas du tout en quoi Adieu Berthe peut annoncer du retour du meilleur de Podalydès. Il ya de très jolies idées (le coup de la correspondance amoureuse de Berthe), mais elles m'ont semblé plutôt rares et mal placées dans un scénario très mou et un peu trop relâché.
En revanche, tout à fait d'accord sur la qualité des interprétations, c'est quelque chose qu'on ne peut pas nier à Podalydès. il sait tirer le meilleur de ses comédiens sur la veine comique.
C'est marrant que je place ces trois films au même niveau alors que vous avez tous les trois, apparemment, des avis plus tranchés. Cela dit, je comprends très bien que l'on puisse avoir ses préférences tant ils sont différents les uns des autres. Mais pour ma part, j'en suis sorti avec à peu près les mêmes sentiments, un mélange de plaisir et de frustration.
J'en conviens volontiers, le Podalydès est le plus "recherché" formellement, mais il s'y produit des chutes de rythmes et des passages à vide (revers de la médaille de l'aspect "buissonnier" du récit). Par exemple, et contrairement à Oriane, je n'aime pas tellement tout ce qui touche à la remontée du passé de Berthe. La scène de la lecture des cartes m'a paru longuette, même si (un peu à l'image du film) elle dit, par en-dessous, des choses subtiles, même si elle sert aussi à resserrer joliment le lien entre les personnages de Lemercier et Podalydès.
Je n'ai aimé ni La Part des Anges de Loach ni le dernier Woddy Allen: les deux réalisateurs me semblent avoir comme point commun, malgré la grande différence entre leurs deux univers, une sorte d'affaiblissement de leur souffle créateur d'où une sorte de ronronnement, qui les amène à se copier eux-mêmes, en ne proposant qu'un vague simulacre des motifs qui leur étaient chers
J'en parle là pour Loach: http://ombreserrantes.com/cinema/la-part-des-anges-ken-loach-whisky-et-petites-frappes/
Et là pour Woody : http://ombreserrantes.com/cinema/to-rome-with-love-unique-objet-de-mon-ressentiment/
On n'aura pas beaucoup d'arguments à opposer à ce jugement d'affaiblissement, thrasybule, chacun l'ayant sans doute fait sien à un moment ou autre face aux œuvres respectives de deux cinéastes qui ont en fait éclos au même moment (fin des années 60 et ils ont, en plus, quasiment le même âge) et qui sont aussi prolifiques l'un que l'autre. Ainsi, on a pu parler de "ronronnement" chez Loach dès après sa bonne période du début/milieu des années 90 et chez Allen, pour certains, dès les années 80 me semble-t-il... Donc selon l'humeur, on sera plus ou moins bienveillant avec leurs nouvelles propositions.
Disons que, chez Woody Allen, on ne sait jamais trop si on va tomber sur un bon ou un mauvais cru avant de le goûter. Tandis que chez Loach, on sait qu'il faut absolument éviter ses films qui se penchent sur les problèmes géo-politiques contemporains mais que l'on peut éventuellement le suivre soit vers le passé, soit vers le social le plus terre à terre.