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feyder

  • Crainquebille

    (Jacques Feyder / France - Belgique / 1922)

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    crainquebille.jpgCrainquebille est un vieux maraîcher des Halles, tirant chaque matin sa charrette dans les petites rues parisiennes. A la suite d'un quiproquo, il est arrêté par un agent de police pour outrage, celui-ci ayant mal compris une parole du vieil homme. Crainquebille passe trois jours en prison avant d'être traduit en justice, au cours d'un procès qui le dépasse totalement. Après avoir purgé une peine de réclusion complémentaire, il reprend son activité mais voit ses clients habituels se détourner de lui. Il tombe dans la déchéance.

    Par son regard documentaire et la modestie de son argument, ce film de 1922 peut passer pour l'un des ancêtres du néo-réalisme (et Crainquebille pour une sorte d'Umberto D.). Si la première caractéristique donne son intérêt à l'oeuvre (images comme prises à la volée, tournage dans la rue pour la majorité des scènes), la deuxième se révèle être sa limite. Les auteurs voudraient que la banalité du cas prenne valeur d'exemple. Il m'a été cependant bien difficile de m'intéresser à cette histoire d'injustice, cela d'autant moins qu'elle ne paraît apporter dans un premier temps que peu de désagrément à la victime, qui se trouve particulièrement à l'aise en prison (confort de la cellule et visite médicale). De plus, la simplicité apparente n'empêche pas la leçon de morale, passant essentiellement dans les inter-titres, sous forme d'abord plaisamment ironique (les maraîchers qui traversent les beaux quartiers à l'heure où les noctambules de la classe supérieure vont se coucher) mais sur la fin beaucoup plus lourde.

    Crainquebille est une dénonciation de "l'injustice de la justice", cette justice opaque qui écrase les petites gens. Le long procès du héros est vu comme un cirque, impression accentuée par une partition musicale guillerette. Ce qui devrait être poignant dans le parcours de cet homme est rendu finalement plutôt comique et bon enfant. Quand ensuite la chute du personnage nous est contée, il est trop tard pour nous émouvoir.

    La mise en scène de Feyder est cependant assez alerte pour nous maintenir en éveil.

  • Le chevalier sans armure

    (Jacques Feyder / Grande-Bretagne / 1937)

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    51bb6a449e88a4ffd6c3d3cb93f62ffe.jpgEn 1913, un journaliste anglais, correspondant en Russie, est menacé d'expulsion par le régime tsariste, se fait embaucher par l'Intelligence Service afin d'infiltrer les mouvements révolutionnaires, est déporté en Sibérie à la suite d'un attentat dont il n'est pas l'auteur, est libéré par la Révolution de 1917, devient adjoint d'un commissaire du peuple, sauve de la fusillade une comtesse et l'entraîne dans un périple au coeur de la guerre civile. Et là, les péripéties commencent vraiment...

    Aussi rocambolesque que soit cette trame, cette première partie du Chevalier sans armure (Knight without armor) s'avère assez remarquable. Feyder croise habilement les trajectoires du journaliste (Robert Donat) et de la comtesse Vladinoff (Marlene Dietrich, quand même), avant qu'ils ne se rencontrent réellement : inconnus dans la foule de l'hippodrome londonien, se frôlant sans se remarquer dans un couloir de wagon ou embarqués dans deux trains aux destinations opposées. Les moyens importants dont a pu profiter le cinéaste français lui permettent de passer sans heurts des scènes extérieures mouvementées aux décors intérieurs travaillés. La mise en scène est fluide et prolonge les expériences du muet dans les éclairages et les travellings.

    Le basculement vers la romance ballottée par les événements affaiblit l'ensemble. Surtout, ce qui pouvait passer au départ pour une vision d'ensemble dépassionnée de la guerre civile russe, pointant l'absolutisme du pouvoir tsariste autant que les excès révolutionnaires, se révèle au bout du compte une désagréable entreprise pour renvoyer les deux camps dos à dos. Le choix de montrer une exécution à la mitrailleuse par les Rouges, cinq minutes après celle effectuée par les Blancs, avec exactement le même cadrage, ne laisse pas le moindre doute là dessus. L'observation d'un pays en plein chaos, entre exodes, trains bondés et camps de prisonniers, est loin d'être ridicule, mais le seul personnage lucide est anglais et son amoureuse est si peu russe (comment la croire quand elle dit que "cette forêt c'est chez elle", quand on l'a vue si à l'aise au sein de la haute société britannique). L'impression se fait de plus en plus gênante, redoublée qu'elle est par le détachement affiché par les tourtereaux et par la facilité de leurs multiples évasions. Dietrich trouve le moyen de se baigner dans un lac en plein hiver russe, Donat se tire de toutes les situations sans tirer un coup de feu et l'American Red Cross permet à ce beau monde de sortir de l'enfer. La fin de ce mélo historique est aussi pénible que son début était soigné.

  • Visages d'enfants

    (Jacques Feyder / France - Suisse / 1925)

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    dc3df46720f43c062aa5328d1ee49121.jpgUn village de montagne. La maison du maire. Tous les villageois sont venus. Car le malheur est dans la maison. Pierre le père. Jean son fils. Habillés de noir. Pierrette la petite soeur de Jean. La mère : un cercueil est descendu de l'étage. Voici l'introduction saisissante d'un beau film muet de Jacques Feyder.

    Pour Jean, il va falloir apprendre à vivre sans sa maman. Il va falloir aussi, un an plus tard, accepter l'arrivée de la nouvelle épouse de son père, accompagnée de sa fille Arlette, du même âge que lui. Tous les éléments du mélodrame sont là et pourtant Feyder signe une oeuvre très singulière, toute en subtilité. Tout d'abord, le cinéaste se place résolument à hauteur d'enfant. Tout est vu par leur regard. Cela nous vaut des scènes de jeu ou de chamailleries particulièrement justes, car Feyder ne demande pas à ses petits acteurs d'en rajouter pour se mettre les spectateurs dans la poche. A ce titre, la scène qui voit Jean et Pierrette jouant sur leur petite île et repoussant Arlette est exemplaire. Anecdotique sur le papier, elle frappe par son attention aux petits gestes enfantins : Arlette s'approchant petit à petit, Jean et Pierrette intransigeants. Feyder porte son regard sans chichis, n'éludant pas la cruauté dont les enfants peuvent être capables dans leurs jeux ou leur rébellion. Il excelle aussi (grâce au jeu du petit interprète principal) dans la peinture d'un enfant sensible et bouleversé. Un passage étonnant voit ainsi Jean sortir d'une malle une robe de sa mère et poser sa tête comme sur son genou. L'honnêteté du regard concerne aussi les adultes dans ce film où "tout le monde a ses raisons". La belle-mère n'est pas une terreur, le père n'est pas une brute. Les crises ne surviennent qu'à l'occasion de malentendus, de maladresses, de manque de dialogues. La sobriété générale est recherchée par le cinéaste, qui refuse l'exagération des postures ou des réactions, même au plus fort de la douleur.

    L'action est située dans les paysages alpestres, magnifiquement photographiés (une seule idée déplacée : une avalanche filmée en caméra subjective !), et dans ce décor naturel est filmé le labeur des uns et des autres, dans les rues et les prés. Détail significatif par rapport à ce réalisme sobre : la place de la religion. Elle est omniprésente par les crucifix dans les chambres, le recours à la prière, les curés des villages, les chapelles. Nulle trace de bondieuserie pourtant, juste une réalité, ce poids des pratiques religieuses à cette époque. A la manière de Griffith, Feyder termine son récit sur un sauvetage in extremis et sur un dernier mot/carton inévitable mais émouvant. Moins mis en avant que la nécessité de l'acceptation d'une vie nouvelle, le lien père-fils sou-tend l'ensemble. L'enterrement du début insistait sur la similarité des vêtements et des postures de Jean et de son père. Au final, la carriole de ce dernier peut s'éloigner sur le chemin car Jean peut commencer à re-vivre, aux côtés d'une seconde mère. Effet de mise en scène simple et éloquent, à l'image du film.