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Buffet froid

(Bertrand Blier / France / 1979)

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Tomber par hasard sur le début d'une rediffusion télé de Buffet froid, c'est avoir l'assurance d'être à nouveau pris par le jeu de Blier, de rester jusqu'au bout et de conforter son idée que c'est bien le chef-d'oeuvre (le seul ?) de son auteur. Mettant en veilleuse son goût pour la provocation au profit de celui pour l'absurde, Bertrand Blier peut se permettre les mots d'auteurs les plus irrésistibles. Son père Bernard n'a qu'à les laisser couler, comme il le fait pour celui-là, parmi tant d'autres : "Ca sent le tabac. Et quand ça commence à sentir le tabac, ça veut dire que ça va bientôt sentir le roussi. J'aime pas beaucoup ça...". Du point de vue des dialogues, le film est déjà l'un des plus drôles de tout le cinéma français, restant à l'abri de toute facilité comique (car entendre Bernard Blier dire régulièrement "Vos gueules !" n'est pas vulgaire mais réjouissant). L'étrange trio qui se forme, avec des tempéraments si opposés, marche à merveille. Jean Carmet en chien battu, assassin qui a peur de son ombre, se tient souvent sur le bord du cadre, dans un coin, sauf quand il pique ses mémorables crises. Et dans le rôle d'Alphonse Tram, c'est le Depardieu des années 70, soit cette période bénie où tout lui était possible.

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Drôle, le film est aussi particulièrement noir. Toutes les dix minutes, une personne est assassinée. Tous les personnages féminins semblent être des anges de la mort. Même la nymphomanie est inquiétante. L'une des trouvailles de génie de Blier, est de situer son histoire nocturne dans ces tours inhabitées, dans ces rues silencieuses et de la finir dans une campagne tout aussi dépeuplée. Car Blier ne stigmatise pas la vie moderne dans les grands ensembles pour proposer ailleurs une échappatoire. Même la campagne est "chiante". Même la musique classique est synonyme de mort (Ah !, le commissaire Morvandieu racontant comment il a "branché sur le 220" le violon de sa femme). Pas la peine de chercher ailleurs à effacer ses cauchemars ou ses pulsions meurtrières, c'est partout pareil.

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Cette vision terrible de la ville a aussi le mérite de mettre en évidence l'une des grandes qualité du film, souvent peu mise en avant dans les commentaires en comparaison avec les dialogues : sa mise en scène. Blier joue remarquablement des déplacements de ses comédiens dans les halls déserts, derrière les vitres, devant les murs nus, et soigne le moindre de ses mouvements de caméra (tel ce court travelling vers l'ascenseur rouge, curieuse amorce du Shining de Kubrick, et plus sérieusement, utilisation de cette couleur vive reprise au final avec cette barque pétante que dirige l'ange exterminateur Carole Bouquet).

La perfection atteinte dans l'absurde, le retournement de la morale, le déplacement des conséquences, a dès sa sortie en 79 provoqué des rapprochements avec l'oeuvre de Bunuel, notamment ses derniers films français. Si la proximité est difficile à nier, il me semble cependant que bien des différences peuvent être également soulignées. Le film de Blier obéit, malgré ses divagations, à une ligne narrative claire. Le dénouement referme la boucle de façon parfaite. Et enfin, l'humour bunuelien est beaucoup plus insaisissable et beaucoup moins direct.

Photos : allocine.fr & artevod.com

Commentaires

  • Film qui m'avait franchement impressionné quand je l'avais découvert à l'époque (à la télé au début des années 90), mais que j'ai presque peur de revoir aujourd'hui, pensant que ça a fatalement vieilli ou que ça sent plus le théâtre que Bunuel. Cela dit, je le rapprocherais de "Série Noire" de Corneau qui, vu il y a quatre ou cinq ans, tient encore assez le coup. C'était aussi l'époque où le cinéma français s'intéressait aux chantiers de La Défense ou des villes nouvelles (le Créteil quasi désert du film de Corneau) qui attendaient encore leurs habitants. Si j'osais, je dirais que c'est quasiment du Jia Zhang Ke. Dans mes souvenirs de Blier, aussi avoir été très fortement impressionné par les premières moitiés de "Trop belle pour toi" et "Tenue de soirée", notamment aussi par les rapports aux lieux, à la fois très concrets et quasi irréels.

  • C'est sûr que "Série noire", ça tient encore sacrément le coup.
    Je te rejoins totalement sur cette impression quasi-fantastique que donnent les films de Blier, situés pourtant dans des lieux très concrets. Et effectivement, "Tenue de soirée" et "Trop belle pour toi" sont les deux opus qui peuvent rivaliser avec celui-ci.
    J'avais aussi une petite appréhension en tombant sur "Buffet froid", sachant que je devancerai la plupart des répliques, mais ça a marché encore une fois.

  • Je suis d'accord avec Joachim : ce qui distingue Blier de Bunuel, c'est la théâtralité du cinéaste français. Un théâtre volontiers absurde, délicieusement bondé d'humour noir mais un petit théâtre qui reste quand même trop enraciné au scénario et aux dialogues. Cela n'empêche pas "Buffet froid" d'être un film merveilleux car, comme tu le soulignes, il y a aussi des qualités de mise en scène chez cet homme qui sut merveilleusement montrer "le cauchemar français" dans ses premiers films (souvenons nous du "pas d'erreur possible, on est bien en France" que lançait Depardieu dans "les valseuses" en voyant le triste spectacle de ces bons citoyens moyens prêts à lyncher les petits voyous)
    Je ne l'ai pas revu depuis un certain temps mais Buffet froid est aussi mon film préféré de Blier (et Série noire, le seul véritable bon film de Corneau!)

  • Vu en salle à sa sortie (avec ma mère), Buffet reste pour moi le meilleur film de Bertrand Blier. Je ne retiens qu'une seule réplique "Je vous présente l'assassin de ma femme". Génial!

  • DrOrlof : Je ne me rappelais pas de cette réplique des Valseuses. Merci de nous la remettre en tête. La "théâtralité" de Buffet froid n'est pas gênante, celle des Côtelettes beaucoup plus. Cependant, je me méfie de ce mot, que je trouve bien difficile à manier sans en faire une utilisation bateau et trop imprécise ou facile. Il faudrait réfléchir là dessus, comme tu l'as fait récemment dans ta note sur Guitry. Sinon, moi, il y a des films de Corneau que j'aime bien (allez, au risque de faire crier : Nocturne indien, Stupeur et tremblements et Le deuxième souffle), même si Série Noire est à cent coudées au dessus.
    Dasola : Précisons, pour que le plaisir du souvenir soit encore plus vif, que Bernard Blier, l'inspecteur, répond "Enchanté", en débouchant une bouteille de rouge.

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