(François Ozon / France / 2009)
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Rarement un film aura si abruptement fait changer le regard porté sur lui en plaçant à mi-chemin un évènement totalement inattendu (et par conséquent, rarement l'état d'esprit du spectateur aura été aussi dépendant de sa connaissance préalable du scénario). La première moitié de Rickys'inscrit dans la veine du drame social, dans un milieu ouvrier de familles éclatées. Katie, mère d'une petite fille, Lisa, qu'elle élève seule, rencontre à l'usine Paco. Coup de foudre, installation de l'homme dans l'appartement du HLM et bientôt, naissance d'un petit garçon, prénommé Ricky. Son arrivée dans le foyer coïncide avec le début d'une crise de couple.
Ozon nous plonge dans le quotidien le plus trivial et ce dès le plan d'ouverture : une mère (*) qui craque dans le bureau d'une assistante sociale. En décrivant un parcours classique, il a recours à de nombreuses ellipses et traite les points saillants du récit (la première étreinte, la première engueulade) de manière détournée (en jouant sur le hors-champ et le son). Il crée surtout quelques espaces infimes où peut s'engouffrer l'étrangeté. L'effet n'est pas seulement rendu perceptible par notre attente d'un retournement de situation puisque ce sont bien ces brèves montées musicales et ses nombreuses fins de séquences cadrant le visage énigmatique de la petite Lisa se tenant à l'écart qui laissent affleurer l'inconnu.
Arrive donc le moment décisif. Le plus surprenant dans cette affaire est que François Ozon n'échange pas un registre contre un autre mais les force à cohabiter, libérant ainsi le merveilleux au sein du naturalisme. En s'acharnant à filmer une chose incroyable dans les lieux les plus communs et les plus ingrats (supermarché, immeuble délabré) et sous une lumière hivernale, il nous demande de fournir un effort considérable et prend le risque de larguer totalement certains de ses spectateurs en route. Le hiatus est immense et nous voilà accrochés désèspérément à un mince fil : notre désir de ne pas nous laisser aller au cynisme qui renverrait toute cette entreprise culotée vers le ridicule. D'accord pour suspendre ma crédulité, mais comment le maintenir en l'air ?
La solidité du lien unissant la mère et la fille ayant été bien montré dans la première partie, peut-être qu'une contamination plus évidente de l'esprit et du regard de Katie par ceux de Lisa aurait rendu la suite plus acceptable. Seulement, Ozon s'est bien gardé de livrer une clé quelconque à son étrange histoire. La thèse du fantasme enfantin reste de l'ordre de l'hypothèse et l'explication le moins risquée reste sans doute la simple symbolique autour de la maternité. De ce point de vue, l'ultime scène de séparation est assez belle (**).
Déroutant, décevant sans doute, Rickyn'est pas du niveau des meilleurs Ozon (que sont pour moi Sous le sable et 5x2) mais reste bien moins énervant que ses quelques ratages (Huit femmes, Angel).
(*) Alexandra Lamy interprète Katie et se sort bien, jusqu'à la fin, de l'épreuve, dévoilant notamment, sous des atours banals, un corps attirant, dans une démarche qui s'inscrit parfaitement dans la thèmatique du film (on ne peut toutefois pas s'empêcher de remarquer que la volonté de casser l'image d'une actrice passe invariablement par l'affichage de sa nudité et par la demande d'un dépassement physique, ici par exemple, l'immersion dans un lac).
(**) Alors qu'elle intervient à bon escient dans la majeure partie des séquences, la musique gâche totalement l'épilogue quand The greatestde Cat Power déboule pour les dernières secondes. Sans même parler du fait que la chanson de Chan Marshall, si belle soit-elle (et elle en a composé de merveilleuses depuis quinze ans), commence à être sur-exploitée par le cinéma et la TV, je la trouve particulièrement inadéquate ici, ne collant ni à l'univers décrit, ni aux émotions ressenties.
Commentaires
Bon ben je profite de ta note pour te répondre ici. A vrai dire, je ne suis pas totalement convaincu par l'idée d'un film "naturaliste" car les quelques notations "quotidiennes" qu'offre Ozon me semble davantage relever du typage sociologique qu'une vraie immersion à la manière des frères Dardenne. En revanche, comme toi, j'aime bien la première partie (enfin, les 20 premières minutes) parce que je la trouve assez étrange, très elliptique et distillant un malaise qui est, selon moi, ce que sait faire de mieux Ozon (Cf. "Regarde la mer" et "Sous le sable"). Quant arrive le temps de la fable, je trouve ça lourd et totalement raté!