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Didactique et poétique, concret et réflexif, abordant simplement des sujets aussi complexes que la connaissance humaine, le mystère des origines, la naissance de la représentation ou le progrès en art, La grotte des rêves perdus est un documentaire qui réussit à s'adresser avec la même intelligence à des publics divers (j'en ai fait l'expérience familiale).
L'entrée en matière me semble idéale. Suivant un petit groupe de scientifiques, Werner Herzog et ses techniciens s'approchent puis pénètrent pour la première fois dans la grotte de Chauvet. Avant de s'engager dans les salles principales, leurs accompagnateurs énoncent les derniers conseils et de strictes consignes. Leur matériel et la répartition des tâches qu'imposent les conditions de travail très particulières nous sont décrites. Sans doute ces explications servent-elles avant tout à faire comprendre le caractère exceptionnel de ce tournage, dans un lieu clos, interdit à tout autre regard que ceux de quelques professionnels (n'y ayant d'ailleurs accès que sur une très courte période dans l'année), mais elles passionnent déjà, en mêlant l'éblouissement de la découverte aux démarches pratiques et techniques qui le rendent possible.
Le temps imparti étant relativement court (une petite poignée d'heures par jour), le naturel des interventions des chercheurs, effectuées le plus souvent à l'intérieur de la grotte, est préservé. On n'y sent jamais la trop grande perfection due à la répétition des prises de vue et aux recadrages des propos que l'on trouve dans la majorité des documentaires pédagogiques télévisés. Les informations sont délivrées de manière vivante, "en direct" à l'équipe et donc au spectateur. Tout au long de son film, Herzog équilibre bien les séquences de discours scientifique et la pure contemplation des joyaux de l'art rupestre ornant les murs de la grotte. Et il y a certes de quoi les admirer, le décor, parois et sols recouverts d'ossements, se révélant de toute beauté.
Le recours à la 3D se justifie aisément (autant que chez le coreligionnaire d'Herzog, Wim Wenders, inspiré lui aussi au même moment). Ici, elle prolonge l'effet obtenu par cet art préhistorique du dessin qui joue déjà parfaitement du relief du support. Elle permet de s'approcher au plus près des peintures, des stalactites et des crânes d'ours, autant de choses qu'Herzog et ses techniciens n'ont bien sûr pas le droit de toucher mais que l'image 3D rendent presque palpables. Cet art de 30 000 ans, on peut donc l'effleurer, le faire venir à nous et les scientifiques peuvent l'analyser, déduire que ces deux figures ont été tracées par la même main ou préciser un ordre chronologique dans la succession des traces laissées sur les murs.
Mais comprendre l'Homme du paléolithique est une autre histoire... Pour saisir un surprenant dessin sur une roche conique, si la caméra s'approche, elle ne peut toutefois pas en faire le tour complet. De la même façon, les pensées des ces ancêtres sont inaccessibles. Il nous reste donc à imaginer. Et à nous projeter dans ces temps-là nous voyons vite se confondre imaginaire et spirituel. Herzog est alors en terrain connu. Pour finir (ou presque), il peut nous faire communier et sacraliser dans un dernier hommage ces magnifiques peintures et gravures, les filmant longuement (sur la musique prenante signée par Ernst Reijseger, très importante dans la réussite poétique du film) comme jadis Tarkovski le fit pour Roublev.
LA GROTTE DES RÊVES PERDUS (Cave of forgotten dreams)
de Werner Herzog
(France - Etats-Unis - Canada - Allemagne - Grande Bretagne / 90 min / 2011)
Commentaires
très très juste cette analogie Roublev / Rêves Perdus !
Et moi je n'avais pas fait le rapprochement avec la 3D de Wenders que j'avais pourtant tant aimée.
Pas visité ces grottes de cinéma, mais vu la bande-annonce qui annonçaient une belle expérience de cinéma, nouvelle, pédagogique (et vivante m'apprends-tu), peut-être onirique et réfléchissante (dans les deux sens du terme, car Herzog a du trouver du cinéma dans ces salles obscures, non ?). Très envie de le voir.
Oui, bien sûr Benjamin, Herzog ne manque pas de rapprocher dans son film cet art préhistorique, qu'il nomme "proto-cinéma", et le sien.
Tarkovski, Herzog, même ambition mystique et prométhéenne. Herzog, un peu plus drôle.... Découvrir de nouvelles grottes au nez, s'imaginer plus tard crocodile albinos !!!
La Grotte des rêves perdus
Dans « La Grotte des rêves perdus », Werner Herzog nous présente quelque unes des 420 figures qui furent découvertes, le 18 décembre 1994, par Jean-Marie Chauvet, Eliette Brunel et Christian Hillaire à Chauvet en Ardèche. Interdite au public, pour éviter les déboires de Lascaux, le site recèle le plus ancien ensemble de peintures pariétales (35 000 ans avant notre ère).
Il émane de ces rhinocéros, lions et bisons, …, figurés sur les parois, une saisissante beauté brute, une force jaillissante. L’utilisation du modelé de la roche et des contours de la pierre leur donne vie. Mais ce qui rend encore plus magistrale ici la représentation de ce bestiaire, c’est l’étonnante fraicheur du trait. Le recours à la technique de l'estompe et les effets de perspectives permettent une grande expressivité et une prodigieuse qualité narrative.
On pressent tout ce que l’émergence de cet art monumental a dû marquer de tournant dans la représentation du monde que se faisait ces hommes. Il y a probablement là le signe d’une invention majeure dans leur culture.
Le film s’attarde sur le panneau des Chevaux. Cette fresque, la plus magistrale du site, couvre sur plus de 6 mètres carrés une paroi sur laquelle ont été représentés des aurochs, des rhinocéros estompés et quatre majestueuses têtes de chevaux.
Le film nous guide dans cette traversée dans le temps à l’aide de nombreuses interviews de scientifiques qui balisent de leurs commentaires utiles la visite. Mais Werner Herzog ne s’en remet pas à la seule science pour nous décrypter le sens profond du site. Le réalisateur ne manque pas d’ailleurs de relativiser sa portée en soulignant les piètres capacités de lanceur de javelot d’un spécialiste, le discours précieux de la conservatrice ou les dangers que représente pour l’écosystème local la centrale nucléaire de Cruas-Meysse toute proche.
Ce beau documentaire nous invite à ressentir ce que les premiers vivants de notre espèce, les homos sapiens, ont pu éprouver et ont voulu exprimer. Mais cette quête semble veine car l'imaginaire de ces hommes préhistoriques nous apparait sans que nous puissions jamais répondre aux questions qu’elle appelle.
C’est donc finalement à une sorte de rêverie chamanique que nous incite ce film, à un songe à travers les cavités, une espèce d’hymne à la création dont est singulièrement capable l’espèce humaine.
La Grotte des rêves perdus
Réalisé par Werner Herzog
Avec Werner Herzog, Dominique Baffier, Jean Clottes
Long-métrage français, américain, britannique, canadien, allemand
Genre : Documentaire, Historique
Durée : 01h30 min
Année de production : 2010
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