Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

2010s - Page 2

  • Ni juge, ni soumise (Yves Hinant et Jean Libon, 2017)

    **
    Dérivé tardif et cinématographique de l'émission Strip-tease dont je ne me rappelle plus si elle générait les mêmes sentiments ambivalents. Indéniablement, le côté rentre-dedans et le fait que l'on y voit des choses que l'on ne peut pas filmer/diffuser en France (à ma connaissance) accroche l'attention (et entraîne vers le voyeurisme). Il y a tout de même ce problème de la mise en scène, de la présence des caméras, des plans de coupe, des séquences de respiration inutiles et dans lesquels la représentation du personnage est inévitable. Les moments de confrontation sont si forts (certains prennent même un peu en traître à cause de la manière brute et trash choisie) qu'ils parviennent à échapper à la sensation de tripatouillage de la réalité mais un doute et une gêne subsistent. 

  • Doctor Sleep (Mike Flanagan, 2019)

    *
    La curiosité pousse à suivre jusqu'au bout, d'autant plus que l'on nous annonce tout à coup, à l'approche du dernier quart, que l'on va revisiter l'Overlook. Mike Flanagan filme sans excès moderniste, préférant des trucages simples et des ressemblances d'acteurs plutôt qu'un recours entier au numérique. C'est sans doute en partie dû au roman de King mais l'une des choses frappantes est la dispersion, la multiplication des pistes, des personnages et des lieux, dans une vaine recherche de complexité, mouvement exactement inverse de celui de Shining, qui partait d'un argument ténu, dans un cadre bien délimité, pour ouvrir sur des abysses. Et notamment sur le thème familial, alors qu'ici, l'assassinat d'un père n'est qu'une péripétie parmi d'autres. Cependant, l'influence se faisant la plus sentir, avant donc le jeu moyennement pertinent de copié-collé final dans l'hôtel, est, avant celle de Kubrick, celle de Lynch, perceptible via la présence de nombreux motifs twinpeaksiens. L'un d'entre eux, le flottement dans l'espace de la méchante de l'histoire, dans la simplicité du merveilleux, donne une scène assez belle. 

  • Bécassine ! (Bruno Podalydès, 2018)

    ***
    Étonnante réussite que cette adaptation d'une antique BD, qui retourne à son avantage tout ce qui me semble anodin ou agaçant chez le Podalydès "contemporain". La belle simplicité de la mise en scène repose et charme, comme celle des situations et des images, qui ne cherchent pas la composition graphique à outrance malgré le matériau d'origine. Celui-ci justifie en revanche toutes les petites trouvailles mécaniques ou poétiques, ainsi que les décrochages vers l'imaginaire. La distance et la gentillesse habituelles évitent une chute des personnages dans le ridicule total mais par ailleurs, dans ces habits d'un autre temps, les actrices et acteurs peuvent s'en donner à cœur joie sans que se crée un décalage préjudiciable par rapport au reste, le monde décrit étant loin du nôtre. Surtout, par rapport aux autres comédies du cinéaste, le mouvement s'inverse avec bonheur. Ici, pour une fois, pas de tentation nostalgico-recroquevillante pour échapper à la réalité de notre époque, mais au contraire, un passé résolument tourné vers l'avenir, cet élan étant notamment incarné par l'escroc sympathique attiré par les "States", traduit par l'inventivité technique de Bécassine, et parfaitement symbolisé par l'instant d'anachronisme, bref et savoureux, où Podalydès fait du scratch avec le gramophone.

  • La Communion (Jan Komasa, 2019)

    °
    Nouveau specimen de ce cinéma de la Maîtrise, venant comme souvent de l'Est, qui se trouve être plutôt, généralement, un cinéma de la Contrainte, de la paluche qui vous tient fort par le cou. A l'image de ce premier plan, où l'on voit net le visage de l'acteur principal et floue la violence exercée derrière lui, le film est mi-immersif mi-distancié, soumis à un montage de petit malin et à des éclairages artificiellement sinistres. Sans style propre, faute de radicalité dans la durée des plans, les cadrages ou la narration, le cinéaste échoue à dépasser cet hyper-réalisme esthétisant et choc. Komasa n'est donc ni Seidl ni Losnitza mais rejoint la cohorte des donneurs de leçons pensant impressionner leur monde avec leurs effets mais noyant leurs films dans les plus lourds courants psychologiques, le petit intérêt scénaristique de l'usurpation de fonction étant de plus, ici, vite recouvert par une conventionnelle mission politique et morale, moyen simpliste de faire croire au spectateur qu'il se trouve là face à l'ambigu, au doute, au vertige, alors qu'il est uniquement victime d'une pataude manipulation.

  • Perdrix (Erwan Le Duc, 2019)

    **
    C'est d'abord une succession d'aimables saynètes, de courtes vignettes d'humour décalé autour de la vie quotidienne d'un capitaine de gendarmerie d'un village des Vosges secoué par l'arrivée d'une jeune femme un peu allumée. Plans soignés, images insolites et dialogues vifs... Manque seulement une affirmation, esthétique ou narrative, qui ferait décoller le film au-dessus de ce qui pourrait n'être qu'un bon épisode de série comique. Heureusement, dans la deuxième moitié, le cinéaste envoie enfin ses personnages à l'aventure, qui les appelle depuis le début, l'aventure amoureuse et la vraie, dans les bois. Viennent une belle séquence de fête dans un bar, au son de Niagara, puis une virée nocturne dans la forêt et une étrange reconstitution historique presque godardienne. Le film révèle finalement sa singularité en mettant de côté son délire "gendarmes contre nudistes", en limitant les effets comiques les plus évidents, en resserrant sa visée autour des personnages principaux, en courant plus franchement vers le conte. 

  • SOS Fantômes (Paul Feig, 2016)

    *(*) 
    Ce redémarrage serait meilleur que l'original de 1984, qui a très mal vieilli, s'il ne s'affaissait pas dans une dernière demi-heure en forme d'interminable combat final, surenchère dans le spectaculaire ne gardant plus de l'amusante description des caractères que quelques bons mots entre deux énormes effets numériques. La construction de l'ensemble est d'ailleurs proche de celle du modèle, qui, lui aussi, se terminait assez péniblement. Dommage, car les trois premiers quarts sont plutôt distrayants. La vivacité des dialogues, l'énergie des actrices, les savoureux renversements (l'apparition de Bill Murray en vieux scientifique cherchant à ridiculiser les chasseuses de fantômes, l'emploi d'un secrétaire aussi beau gosse que simplet) font que l'on suit avec le sourire une histoire que l'on connaît déjà. Surtout, la féminisation, intérêt principal de cette actualisation, est effectuée intelligemment et avec le plus grand naturel, en lâchant à peine deux ou trois remarques, sans donner de leçon, sans discourir inutilement.

  • Liberté (Albert Serra, 2019)

    **
    Serra prouve, si besoin est, qu'il est encore possible de faire un cinéma dérangeant, au moins sur le plan sexuel, et rappelant les expériences radicales des années 70, celles de Pasolini, Makavejev et autres, sous-texte politique compris. Il le fait dans son style, cérémonieux, lent, frontal et parcellaire, réglant ses rites sadiens sous de magnifiques éclairages nocturnes et en les enrobant d'un mixage saisissant de bruits naturels. Toute une nuit de débauche en forêt, avec le décrochage historique qui permet à la fois d'atténuer le choc des images les plus extrêmes, de rendre cette "histoire" plausible, et aussi de faire glisser un souffle étrange et quasi fantastique. Du début à la fin, le cinéaste joue avec les notions de champ et de hors-champ, de domination et de soumission, avec ce qui peut être montré et ce qu'il vaut mieux dire. Un ou deux minces fils peuvent être tenus d'une scène à l'autre, placée (beaucoup) plus loin, et un certain crescendo s'observe, dans l'audace de la représentation des actes et dans l'évolution vers un épuisement, voire un anéantissement (la fin, c'est la disparition soudaine des corps, avec l'aube, la place entière reprise par la nature et la musique), mais la règle est plutôt le refus d'une véritable mise en récit, jusqu'à donner l'impression de séquences ou de moments, de plans de transition, qui seraient totalement interchangeables. La succession et la répétition font la cohérence de ce monde, comme elles font sans doute la limite du film.

  • Hotel by the River (Hong Sang-soo, 2018)

    ***
    Des personnages déplacés en un lieu impersonnel, des retrouvailles aux raisons exposées après un certain temps seulement, des fonds vierges, baie vitrée où tape le soleil, parc enneigé, murs et draps clairs... Hong Song-soo repart encore de zéro, choisissant le noir et blanc pour mieux faire ressortir les contrastes, faire sentir les différences (caractères, température, positions...), donner l'impression de recréer à nouveau du récit à partir de rien (le cadre donne vie à l'histoire, bouclée de façon brutale mais logique). Ce qui pourrait passer pour conceptuel est rendu touchant par la direction d'acteurs, par l'intelligence dans les articulations entre les scènes et par l'approche toujours prosaïque : parler, boire, manger, s'allonger, s'endormir.

  • Uncut Gems (Benny et Josh Safdie, 2019)

    ***
    Une nouvelle (série de) nuit(s) de galère, genre que les Safdie continuent à réinventer/réactualiser (ici, personnalités jouant leurs propres rôles à l'appui) sans faiblir et sans user le spectateur, malgré 2h15 au compteur. L'intérêt premier est que ces embrouilles newyorkaises concernent le corps un peu lourd d'Adam Sandler. Par conséquent, tout se passe comme si c'était vraiment la fiction qui poussait constamment, physiquement, le personnage, alors que ce genre de films, habituellement, est centré sur des profils légers et rapides (comme dans leur propre Good Time). Comme la singularité s'affirme (grâce, aussi, au rythme musical et aux surprises du scénario, par exemple avec la révélation du lien de parenté entre le joaillier et son créancier principal), l'attachement s'effectue, qui fait naître sur la fin la crainte de voir vraiment tout le monde être "effacé". Car si l'on peut dire que tout va mal, que tout va dans le mauvais sens, il s'agit surtout d'une série d'événements, d'actions, de reponses qui n'adviennent pas du tout, avec des gens qui ne sont jamais là, des objets qui disparaissent on ne sait où, des portes qui refusent de s'ouvrir... Autant que les problèmes de timing, de différences de vitesses et de corpulences, le film travaille la surface (qui brille) et la profondeur, faisant de toutes ces oppositions, disjonctions et contradictions, son moteur chargé en énergie.

  • Green Book (Peter Farrelly, 2018)

    ***
    Bonne surprise que ce film s'inscrivant agréablement dans un classicisme américain basé sur une histoire intéressante à suivre, une interprétation alliant précision et naturel, et une mise en scène sobre et fluide. Le road movie possède le rythme et la musicalité qu'il faut, compte tenu du sujet. La reconstitution du début des années 60, elle, ne vient jamais parasiter le récit, n'étant ni insuffisante, ni ostentatoire. Le maître-mot est sans doute "équilibre", mais cette recherche n'aboutit pas, sur le fond, à de la tiédeur. Le message humaniste est adressé sans lourdeur. Partant de la bonne idée de "l'inversion des rôles", les auteurs donnent toutes leurs chances aux personnages et les placent au centre de scènes claires mais souvent ambivalentes, selon les points de vue et les positions de ces derniers. D'où une absence de discours benêt et l'impression, au contraire, d'une véritable épaisseur, qui permet de s'abandonner à l'émotion des dernières séquences, le principal étant que c'est qui est attendu se situe dans la vision d'ensemble et non dans les détails, les fragments, réservant, eux, les surprises.