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2010s - Page 5

  • Happy End (Michael Haneke, 2017)

    ***
    La bonne surprise avec le meilleur Haneke depuis Caché. Déjà en proposant une narration puzzle, avec pièces manquantes, il accroche. Avec ses coupes brutales, il fait tomber des pans entiers dans ses ellipses ou retarde considérablement les explications sur telle scène. Imprévisible, le film paraît ainsi beaucoup moins contraignant, malgré la rigueur du cadre toujours aussi sensible. Une autre raison est le ton utilisé. Chaque moment semble habité par une ironie dévastatrice et jubilatoire (prise en charge par des acteurs parfaits, de Trintignant à Kassovitz, Huppert et les autres). On sent en fait que Haneke s'amuse, malgré les choses horribles ou désespérées qu'il évoque. De plus, les objets et médias contemporains sont remarquablement intégrés, à la fois au récit et à l'esthétique. Enfin, le film a un vrai poids de réel, grâce notamment à ses plans de rue, de quartier, qui baignent dans une ambiance sonore extraordinairement rendue.

  • Alice et le maire (Nicolas Pariser, 2019)

    ***
    C'est d'abord un beau film de conversations, où même les dialogues complexes ou référencés sont rendus clairs sans paraître simplifiés par le passage à travers la fiction, cela grâce aux excellents interprètes, à la précision de l'écriture, à la façon dont ils mettent en mots des réflexions et parfois des confrontations de points de vue. Équilibrés, ils sont à l'image de la mise en scène qui fait se succéder des rythmes, des ambiances, des lumières différentes (belles séquences de pénombre, à la mairie ou dans les appartements, avec en point d'orgue, celle de l'opéra, centrée sur le visage d'Alice et presque dirigée par ses regards). Les décors et la stature de Luchini assurent la crédibilité nécessaire, tandis que la base scenaristique classique de la présentation d'un milieu à travers les yeux d'une novice le découvrant avec nous, n'empêche aucunement le film de trouver son autonomie, sa propre narration, et de provoquer une singulière émotion. Se tenant à mille lieux de ces mises en scène immersives tarte-à-la-crème que l'on trouve maintenant un peu partout dès qu'il s'agit de pénétrer dans un univers particulier, Nicolas Pariser exprime très clairement des idées, fait sentir exactement là où les liens se sont défaits, et, sans se faire trop facilement alarmiste, va vraiment au cœur de son sujet, la politique aujourd'hui. L'émotion s'en trouve redoublée. Logiquement, elle tient d'abord à ce qui émane des personnages à l'écran, mais elle nous prend ensuite par surprise, ce qui est exposé là nous poussant tout simplement à penser à nous, à nous poser la question : comment nous positionnons-nous dans le marasme actuel ?

  • Joker (Todd Phillips, 2019)

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    Film qui déjoue constamment les attentes, qui décrit patiemment ce qui se joue avant l'explosion et qui se tient très bien en équilibre sur une corde difficile, celle du malaise. Malaise du personnage et des situations qu'il provoque, étant toujours à contretemps. L'œuvre est évidemment politique mais porte également sur l'art, le spectacle, l'image... Ce qui est étonnant, c'est la façon dont Phillips a réussi à mêler les ingrédients en restant cohérent, sans simplifier ni verser dans le spectaculaire vain. Finalement, son film raccorde moins avec l'univers de Batman qu'avec le cinéma new-yorkais violent des années 70-80, sans pour autant se laisser dépasser par ses références. Phoenix est bien sûr au top et j'ai mis 2 heures à reconnaître De Niro. 

  • Un jour de pluie à New York (Woody Allen, 2019)

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    Énième réactualisation de l'univers allénien mais la plus réussie depuis des années (depuis la période "européenne"?). Le plaisir vient de l'écriture, de l'interprétation attachante (Elle Fanning offre le dialogue alcoolisé le plus délicieux vu depuis longtemps) et des petites surprises délivrées régulièrement et alternativement par le scénario, le cadrage et le montage. Allen parvient à nous intéresser une nouvelle fois à ces personnages privilégiés attirés par la marge, notamment grâce à sa capacité à fabriquer de véritables machines à fiction(s). On s'amuse beaucoup à y mesurer l'écart entre la "vraie vie" et la fiction rêvée, où l'amour, comme l'argent, tombe du ciel. Le temps court de l'histoire donne sa vigueur au film et le développement parallèle de deux "franchissements de miroir" (vivre la vie de ses idoles et recréer un amour d'adolescence) assure sa cohérence. 

  • Ça, chapitre un (Andy Muschietti, 2017)

    *
    Comme devant tout spectacle fantastico-horrifique moyen, on tient pour savoir comment tout cela se termine (je ne connaissais pas l'histoire de King). La fixette sur les années 80 fait poser un cadre spielbergien plutôt agréable (mais, par exemple, si sympathique qu'elle soit, la citation du nom de Molly Ringwald dans un dialogue laisse sceptique quant à son utilité réelle) et la vision de l'adolescence comme une somme de personnes se sentant toutes marginales a sa pertinence. Il y a même une belle scène, avec le personnage de la fille dans sa salle de bain, scène certes basée sur l'idée peu originale des flots de sang qui se déversent. Scène "annulée" malheureusement quelques secondes plus tard par une autre, débile, de nettoyage de l'endroit sur l'une des chansons les plus pop de Cure. Généralement, le film est d'ailleurs construit n'importe comment, produisant un récit informe, s'appuyant sur une mise en scène très répétitive de la peur et de l'horreur. Le réalisateur abuse des effets, possède un sens tout relatif de l'espace, ne joue du numérique ni pour la texture ni pour l'opposition réel/irréel, tombe dans la facilité d'une résolution dans la pure action avant d'envoyer les violons, bref, livre un produit. 

  • Midsommar (Ari Aster, 2019)

    ***
    Film d'horreur lumineux d'une ambition et d'une maîtrise rares et bienvenues. Sans pour autant assommer le spectateur ni le prendre pour un nigaud, Ari Aster prend son sujet et son travail très au sérieux. L'une des singularités de Midsommar est son rapport au temps. Sa longueur peut certes se faire sentir mais elle rend possible à la fois l'installation de cet univers de dingues, la construction logique (concentrée, l'accumulation des terrifiantes révélations perdrait de son intérêt) et la crédibilité du glissement des personnages. Cette crédibilité nécessaire est aussi assurée par l'importance des drogues, qui fait trouver au cinéaste plusieurs idées de distorsions dans sa mise en scène, parfois un peu insistantes, parfois très belles (les fleurs "vivantes" sur la couronne et les habits de l'héroïne). Le film est une fête visuelle traversée de plans gores d'autant plus marquants. Une fête sonore, aussi. Le travail sur le son est, étonnamment, ce qui donne l'impression d'une grande pertinence sur le phénomène sectaire (les scènes de "respiration" ou de cris en chœur) sans en passer par le discours. On trouve tout de même une faiblesse dans le personnage du petit ami, assez insupportable. Sa petitesse, son manque d'honnêteté et sa passivité s'expliquent sûrement scénaristiquement car il aurait été encore plus compliqué de bâtir cette horrible histoire sur un couple fort et uni. Néanmoins, Midsommar est une réussite évidente, qui me rend très curieux du premier et précédent film d'Aster, Hérédité

  • Give me Liberty (Kirill Mikhanovsky, 2019)

    **
    Sympathique chronique sur l'Amérique d'en-bas vue par le prisme de l'immigration russe. Sensation d'urgence, caméra légère, montage haché (mais bien foutu)... le cinéaste en rajoute un peu trop dans la saturation sonore, le nombre de sources donnant la sensation du chaos. Il ignore semble-t-il la notion de (de)crescendo, étant toujours au taquet, ce qui rend son film, où s'entrechoquent les foutoirs russe et américain, par moments usant. Heureusement, il ne rend pas seulement compte d'une énième "journée de galère" en simili-temps réel mais se distingue à mi-course par des ellipses surprenantes qui brouillent quelque peu la perception temporelle. De plus, il montre plutôt habilement les minorités qui se rencontrent. L'esthétisme des dernières séquences gâche un peu l'ensemble mais, plutôt que la tension, on retient plusieurs moments de vraie et inattendue tendresse entre les personnages.

  • Toy Story 4 (Josh Cooley, 2019)

    **
    On cherche un petit moment l'utilité de cette suite tardive à un numéro 3 narrativement parfait, plastiquement beau et émotionnellement fort. L'impression première est celle d'une remise des compteurs à zéro (nouvel enfant, passage à l'école...) dont on se passerait bien. Heureusement, le savoir-faire ne s'est pas envolé. Dès que le scénario s'emballe, le brillant réapparaît. Il y a toujours la bonne idée centrale d'un nouveau lieu ouvrant d'autres perspectives et évoquant d'autres références (ici un magasin d'antiquités avec des pantins très inquiétants), il y a toujours l'arrivée de nouveaux jouets parfaitement intégrés à l'ensemble, il y a toujours un humour pertinent, il y a toujours une actualisation intelligente via les problématiques de l'époque (cette fois, la place des filles, la récup'). L'émotion perce aussi, même si elle a tendance à faire fléchir le rythme et même si elle joue sur le même tableau que la dernière fois : le détachement rendu nécessaire par le passage du temps.

  • Good Time (Benny et Josh Safdie, 2017)

    ***
    Urgence du filmage, fièvre du gros plan, saturation du son et course de la caméra pour montrer un braquage foireux et ses conséquences. Au bout d'un quart d'heure, on se dit qu'il va falloir que les Safdie se calment un peu pour ne pas lasser. Ce qu'ils font heureusement. Le film ralentit enfin et prend d'autres voies, tout en gardant sa tension. Il devient le récit d'une nuit de galère très scorsesienne, absurde, drôle, inquiétante. Par rapport à leur modèle, remercié au générique de fin, les cinéastes compensent une inventivité moindre par une empathie appréciable envers tous leurs personnages, jamais condamnés ni expédiés brutalement malgré la permanence de la violence. Plaisant. 

  • Une femme douce (Sergei Loznitsa, 2017)

    ***
    Loznitsa échappe aux pièges du cinéma d'auteur douloureux, moralisateur et manipulateur alors qu'il n'y va pas avec le dos de la cuillère pour montrer le périple dangereux d'une femme mutique au milieu d'une société russe incontrôlable et infernale. En filmant les trajets successifs de son héroïne renvoyée d'un interlocuteur louche à un autre buté, il provoque une accumulation absurde et inquiétante de portraits chargés. Il brouille la frontière entre fiction et documentaire par sa mise en scène fixe et rigoureuse mais animée par les multiples présences et mouvements internes. Le risque que prend le film dans les dernières minutes est payant et le réhausse encore. Loznitsa glisse clairement vers le fantastique (presque lynchien) lors d'une scène de procès où l'on retrouve les personnages croisés par la femme douce. Il interroge ainsi autrement le rapport fiction/réalité (et on se remémore alors ce qui, dans certaines scènes pouvait paraître un peu forcé, notamment dans l'interprétation). Puis il fait subir à son héroïne la violence redoutée depuis deux heures, violence qui ne cessait d'envahir les micro-récits attrapés par bribes durant le voyage, comme autant de signes annonciateurs. Cependant, le virage fantastique pris, la scène est déréalisée. Constat terrible sur la Russie donc, dressé avec une force cinématographique peu commune mais sans prise d'otage du spectateur.