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2010s - Page 7

  • Passion (Brian De Palma, 2012)

    ***
    Un film qu'il est très difficile d'évaluer et de noter (1, 2, 3 ?). Toute la première moitié de Passion se présente avec une fadeur étonnante. De Palma montre sans effet marquant, sans émotion, sans invention, une vie de bureau et d'appartement vouée à l'artifice, à l'image de surface. On se croit presque dans un simple téléfilm vaguement policier ou faussement vénéneux et on se frotte les yeux devant une histoire à priori dénuée d'intérêt. Et soudain, De Palma fait tout basculer, y compris son cadre. Effet connu mais qui dure si longtemps qu'il déstabilise complètement. Tout à coup, le film épouse l'esprit tordu de son héroïne et devient particulièrement excitant. La caméra s'est penchée et tout part à la renverse. Le spectateur perd ses repères et la trame policière, enfin installée, agrippe. Or, ce n'est pas vraiment un vertige émotionnel ou narratif qui est provoqué mais un questionnement inattendu sur le film lui-même, donc sur le cinéma et les images (sans non plus perdre l'apparence très "premier degré"). Objet des plus étranges, donc, quasi-expérimental pour le coup, d'abord vain puis brillant, paraissant meilleur après que pendant et déclenchant bien des réflexions.

  • La Caméra de Claire (Hong Sang-soo, 2017)

    ***
    C'est peut-être un mal pour un bien de devoir laisser passer quelques années entre deux découvertes de films de Hong Sang-soo. Cela évite probablement la sensation de monotonie et certainement la pesée perpétuelle des uns et des autres. On profite alors pleinement du charme de son cinéma. Même lorsqu'il se présente sous forme de miniature comme avec ce conte moral aussi limpide que profond, aussi cruel qu'attachant. La "nudité" de la mise en scène n'empêche pas l'impression de mise en abîme, au contraire, elle semble même l'impliquer. En tout cas, Hong Sang-soo, avec trois fois rien et en à peine plus d'une heure, développe une narration étrange (on se demande par moment si la chronologie est respectée) et donne une vraie densité à ses personnages et ses décors (un simple coin de terrasse de bar filmée deux fois devient un endroit presque fascinant). 

  • La Mule (Clint Eastwood, 2018)

    **

    Petit Eastwood sympathique et simple, un peu trop même, avec un scénario assez prévisible (la malheureuse coïncidence entre la "dernière course" et l'hospitalisation de la femme du héros) et quelques facilités dans le jeu autour du choc des générations (l'usage contraint du téléphone portable). Ce n'est pas bouleversant, mais ce n'est heureusement jamais ennuyeux. L'un des mérites est, compte tenu du sujet, un certain refus du spectaculaire (notamment en créant plusieurs ellipses), auquel est préférée l'attention aux petites choses et aux proches. Par ailleurs, avec les années, il est amusant de voir ainsi changé le rapport du personnage eastwoodien aux autres, aux antagonistes qu'il affronte. Il y a 40 ans, il les balayait souvent. Aujourd'hui, il les ré-humanise (et les désarme presque).

  • Diamantino (Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt, 2018)

    **
    Fable politique des plus improbables et d'une liberté narrative toute portugaise. Le duo de cinéastes raconte l'histoire d'une star du foot aux traits de Cristiano Ronaldo qui se retrouve le jouet d'un parti de fachos et des services de renseignement, au moment où il décide d'arrêter sa carrière et d'adopter un jeune réfugié. On baigne dans l'insolite par convocation des extrêmes (bonté d'âme et méchanceté, pauvreté et richesse, modernité et mythologie...) et mélange des genres et des esthétiques sans complexe, jusqu'au comble du kitsch. C'est donc inégal, tantôt ennuyeux, tantôt inspiré, toujours bizarre et barré. Le problème est l'incapacité à déterminer le degré choisi, premier ou deuxième, innocence ou parodie. Si on tient jusqu'au bout, on est récompensé par vingt dernières minutes belles et attachantes. 

  • Leto (Kirill Serebrennikov, 2018)

    *
    Grande déception alors que le sujet était attirant et l'accueil critique proche de l'extase. Le film, dès le début, m'a paru poseur et artificiel. Bien qu'il ne se présente pas d'office comme un biopic (et je ne savais pas que c'en était un) et qu'il fuit la sur-dramatisation, il ne peut se débarrasser des aspects didactiques et simplificateurs qui accompagnent généralement les fictions sur le monde de la musique. Le plus intéressant tient dans le tiraillement auquel est soumise à l'époque cette jeunesse de l'Est éprise du rock, mais cette dimension n'est qu'evoquée de ci de là. On aurait mieux fait de suivre les responsables encadrant idéologiquement ce "club de rock" de Leningrad que de rester avec ce gentil trio ne semblant parler que par slogans underground. La monotonie de la mise en scène (avec une caméra qui ne cesse de tourner autour des acteurs et ne se fixe jamais) n'est brisée que lors de trois clips imaginaires très gênants dans lesquels les personnages et des figurants massacrent littéralement, en mode karaoke, les pourtant impeccables Psychokiller, Passenger et Perfect Day.

  • Victoria (Justine Triet, 2016)

    **
    Comédie sur les mœurs d'une mère trentenaire célibataire en crise, comédie à la fois crue et romantique, sur les corps et sur les mots (certains sont bien envoyés, notamment par Vincent Lacoste, mais dépassent un peu trop). On colle aux basques de Virginie Efira, qui s'en sort plutôt bien, surtout dans les moments de déphasage. Le meilleur est sans doute là, grâce également au montage qui se met à cogner les séquences entre elles, comme dans la tête du personnage, pour traduire son trouble et son agitation. D'autres éléments accrochent moins (les deux petites filles n'existent pas à l'écran) et le film peine à trouver un véritable enjeu jusqu'à un procès final assez peu palpitant, mais ce n'est pas désagréable. 

  • Les Garçons sauvages (Bertrand Mandico, 2018)

    ***
    Envoûtante expérimentation menée à l'échelle d'un long métrage. Le parti pris anti-naturaliste, évident dès les premiers plans, facilite le plongeon dans toutes ces visions hallucinées et aux mille inspirations (la majorité nous renvoie vers le cinéma des années 20/30, avec force et beauté, notamment grâce au noir et blanc). Souvent dans ce type d'entreprise la distanciation naît de l'épuration, ici elle passe par la profusion, la surcharge. Aucun plan ne paraît "vide". Mais comme il parvient étonnamment à donner forme à un monde cohérent à partir de bribes et d'influences multiples, Mandico réussit à ne pas nous lâcher dans cette distance grâce au recours au conte, qui englobe tout le récit (cet attachement est moins fort dans son court Ultra Pulpe). S'il peut sembler ainsi intemporel voire même daté dans ses effets, le film retrouve le contemporain par sa dimension sexuelle, son mouvement transgenre vers le féminin. Faire interpréter dès le début les personnages de garçons par les actrices est d'ailleurs une idée lumineuse, nous délestant d'un éventuel malaise en rajoutant un "jeu" supplémentaire avec le réel. Pas seulement une série de "visions" donc (ce n'est pas le Jean Rollin d'aujourd'hui) mais un tout, inégal et provocant, troublant et accueillant. 

  • Une affaire de famille (Hirokazu Kore-eda, 2018)

    **
    Joli, comme d'habitude avec Kore-eda. C'est un film de bienveillance, attaché à des gens mis à la marge et s'en accommodant comme ils peuvent. Mise en scène sensible et attentionnée, réussissant bien à poser la situation de départ, notamment en rendant le confinement, moins affirmée ensuite, lorsqu'il faut saisir les enjeux. Kore-eda, qui donne d'abord à voir l'évolution d'une étrange famille pour ensuite la défaire en éclaircissant tous les liens la constituant, reste toujours entre-deux, entre observation et dramatisation.

  • Les Minions (Pierre Coffin & Kyle Balda, 2015)

    **
    Moi, moche et méchant m'avait tellement ennuyé que je redoutais de voir ce dérivé. Or il s'avère très plaisant et même franchement drôle par moments. L'idée de base tient en quelques mots (les Minions se cherchent un méchant à servir) ? Tant mieux, cela permet d'enchaîner les gags à toute allure, sans se soucier de délivrer une leçon de morale et sans s'essouffler à étoffer conventionnellement des personnages, tout en restant dans le cadre familial. On passe ainsi, en mode course poursuite burlesque sans queue ni tête, de l'Amérique à l'Angleterre, sans réfléchir mais en se marrant. Les auteurs ont également bien fait de situer leur histoire dans les années 60 : on bénéficie d'une bande son extra, alignant les tubes pop-rock de l'époque, ce qui nous évite toute soupe contemporaine.

  • Sobriété musicale

    Soderbergh,Etats-Unis,2010s

    Une scène de Ma vie avec Liberace repose sur la conversation que le personnage de Matt Damon mène avec la mère de l'excentrique pianiste dont il partage alors l'intimité. Le vieille dame livre une confidence : elle aurait dû donner vie à des jumeaux mais l'un étant un gros bébé de près de six kilos, l'autre ne survécut pas. Au moment où les mots s'échappent, nous nous sentons glisser sur le chemin balisé de la caractérisation psychologisante à base de vampirisme d'un personnage hors norme attirant vers lui les jeunes gens ambitieux. Or, on s'aperçoit vite que Soderbergh fait parler son actrice comme si l'information n'avait pas d'importance particulière. Elle la donne d'ailleurs sans cesser un instant de jouer à la machine à sous installée dans le salon. Mieux encore, le cinéaste termine la séquence sur un gag nous relançant vers un tout autre sujet. L'allusion en reste une, nul besoin d'insister.

    En refusant d'ajouter l'excès de l'esthétique et de la narration à celui du sujet, Steven Soderbergh a pris une sage décision (imaginez l'horreur que tout cela aurait donné entre les mains d'un Paolo Sorrentino). L'apparence toute classique de la mise en scène sert parfaitement le film en permettant notamment de ne pas perdre de vue la trace de l'humanité sous le clinquant, le vernis, le bariolé de la surface. Le récit se suit sans détour et sans sauts arrières, ce qui évite de subir un alourdissement psychologique. Par ailleurs, de ces hommes-monstres, Soderbergh se garde de brosser des portraits à charge, atteignant ainsi, de manière inattendue, une émotion réelle. Ce résultat gratifiant est aussi obtenu parce qu'il ne fait jamais clairement la part entre manipulation par le "maître" et attachement véritable, utilisation cynique et amour sincère. Tout coexiste toujours.

    Autre qualité nécessaire pour mener à bien ce type d'entreprise, spectacle sur le spectacle : la fluidité. D'emblée, le rythme est trouvé, relances et pauses, inserts saisissants et longs plans d'échanges dialogués étant organisés avec tact. Quand la baisse de tension menace, Soderbergh accélère légèrement, en faisant par exemple démarrer la bande son avant l'image, des fins de plans s'offrant alors à nos yeux avec une ambiance sonore qui ne leur appartient pas mais qui anticipe sur la coupe. Sur le plan de la pulsation interne, le premier concert, occasion de la première rencontre du jeune Scott Thorson avec le phénomène Liberace, est un modèle du genre. La jubilation du personnage est celle du spectateur, les rythmes s'accordent grâce aux mouvements de la caméra dans la salle et sur la scène, à l'alternance très efficace des échelles de plans, à la façon de poser en une poignée de minutes figures et thèmes (le public essentiellement féminin, le refoulement de l'homosexualité). La musicalité dont fait preuve le performer se confond avec celle du cinéaste qui nous fait, en retour, apprécier la première, une fois encore contre toute attente.

    Difficile de suivre ceux qui se plaignent d'une pauvreté de style chez Soderbergh (et qui, souvent, ne supportent pas non plus quand les signatures d'auteurs apparaissent trop dans leurs films). Nous étions prévenu dès le début (dès la succession Sexe, mensonges et vidéo, Kafka, King of the hill...) : avec lui il faut (il fallait ?) juste avancer film par film.