Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

2010s - Page 3

  • Liberté (Albert Serra, 2019)

    **
    Serra prouve, si besoin est, qu'il est encore possible de faire un cinéma dérangeant, au moins sur le plan sexuel, et rappelant les expériences radicales des années 70, celles de Pasolini, Makavejev et autres, sous-texte politique compris. Il le fait dans son style, cérémonieux, lent, frontal et parcellaire, réglant ses rites sadiens sous de magnifiques éclairages nocturnes et en les enrobant d'un mixage saisissant de bruits naturels. Toute une nuit de débauche en forêt, avec le décrochage historique qui permet à la fois d'atténuer le choc des images les plus extrêmes, de rendre cette "histoire" plausible, et aussi de faire glisser un souffle étrange et quasi fantastique. Du début à la fin, le cinéaste joue avec les notions de champ et de hors-champ, de domination et de soumission, avec ce qui peut être montré et ce qu'il vaut mieux dire. Un ou deux minces fils peuvent être tenus d'une scène à l'autre, placée (beaucoup) plus loin, et un certain crescendo s'observe, dans l'audace de la représentation des actes et dans l'évolution vers un épuisement, voire un anéantissement (la fin, c'est la disparition soudaine des corps, avec l'aube, la place entière reprise par la nature et la musique), mais la règle est plutôt le refus d'une véritable mise en récit, jusqu'à donner l'impression de séquences ou de moments, de plans de transition, qui seraient totalement interchangeables. La succession et la répétition font la cohérence de ce monde, comme elles font sans doute la limite du film.

  • Hotel by the River (Hong Sang-soo, 2018)

    ***
    Des personnages déplacés en un lieu impersonnel, des retrouvailles aux raisons exposées après un certain temps seulement, des fonds vierges, baie vitrée où tape le soleil, parc enneigé, murs et draps clairs... Hong Song-soo repart encore de zéro, choisissant le noir et blanc pour mieux faire ressortir les contrastes, faire sentir les différences (caractères, température, positions...), donner l'impression de recréer à nouveau du récit à partir de rien (le cadre donne vie à l'histoire, bouclée de façon brutale mais logique). Ce qui pourrait passer pour conceptuel est rendu touchant par la direction d'acteurs, par l'intelligence dans les articulations entre les scènes et par l'approche toujours prosaïque : parler, boire, manger, s'allonger, s'endormir.

  • Uncut Gems (Benny et Josh Safdie, 2019)

    ***
    Une nouvelle (série de) nuit(s) de galère, genre que les Safdie continuent à réinventer/réactualiser (ici, personnalités jouant leurs propres rôles à l'appui) sans faiblir et sans user le spectateur, malgré 2h15 au compteur. L'intérêt premier est que ces embrouilles newyorkaises concernent le corps un peu lourd d'Adam Sandler. Par conséquent, tout se passe comme si c'était vraiment la fiction qui poussait constamment, physiquement, le personnage, alors que ce genre de films, habituellement, est centré sur des profils légers et rapides (comme dans leur propre Good Time). Comme la singularité s'affirme (grâce, aussi, au rythme musical et aux surprises du scénario, par exemple avec la révélation du lien de parenté entre le joaillier et son créancier principal), l'attachement s'effectue, qui fait naître sur la fin la crainte de voir vraiment tout le monde être "effacé". Car si l'on peut dire que tout va mal, que tout va dans le mauvais sens, il s'agit surtout d'une série d'événements, d'actions, de reponses qui n'adviennent pas du tout, avec des gens qui ne sont jamais là, des objets qui disparaissent on ne sait où, des portes qui refusent de s'ouvrir... Autant que les problèmes de timing, de différences de vitesses et de corpulences, le film travaille la surface (qui brille) et la profondeur, faisant de toutes ces oppositions, disjonctions et contradictions, son moteur chargé en énergie.

  • Green Book (Peter Farrelly, 2018)

    ***
    Bonne surprise que ce film s'inscrivant agréablement dans un classicisme américain basé sur une histoire intéressante à suivre, une interprétation alliant précision et naturel, et une mise en scène sobre et fluide. Le road movie possède le rythme et la musicalité qu'il faut, compte tenu du sujet. La reconstitution du début des années 60, elle, ne vient jamais parasiter le récit, n'étant ni insuffisante, ni ostentatoire. Le maître-mot est sans doute "équilibre", mais cette recherche n'aboutit pas, sur le fond, à de la tiédeur. Le message humaniste est adressé sans lourdeur. Partant de la bonne idée de "l'inversion des rôles", les auteurs donnent toutes leurs chances aux personnages et les placent au centre de scènes claires mais souvent ambivalentes, selon les points de vue et les positions de ces derniers. D'où une absence de discours benêt et l'impression, au contraire, d'une véritable épaisseur, qui permet de s'abandonner à l'émotion des dernières séquences, le principal étant que c'est qui est attendu se situe dans la vision d'ensemble et non dans les détails, les fragments, réservant, eux, les surprises. 

  • High Life (Claire Denis, 2018)

    °
    Comme attendu, le drame spatial de Claire Denis table sur la lenteur et le minimalisme de la représentation pour atteindre le mystère. L'échec est absolu, rendu inévitable tout d'abord par une structure narrative à la fois kaléidoscopique et exsangue, et ensuite par l'épuisant système mis en place par la cinéaste, consistant à alterner les séquences vides et les séquences choc (sang et/ou sperme).

  • Sibel (Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti, 2018)

    **
    Film franco-turc éminemment dardennien dans son esthétique, bien que la nature, montagnarde, prenne plus de place que chez les frères belges. On y suit en effet Sibel comme on suivait il y a vingt ans Rosetta. L'héroïne est muette mais siffleuse. Cela nous évite quelques dialogues pouvant être résolument plombés. D'ailleurs, les cinéastes semblent souvent se positionner dans un certain évitement, cherchant, et trouvant assez longtemps, l'équilibre entre la traque documentaire et le symbolisme (homme/loup, haut/bas, modernité/archaïsme). La dernière demi-heure est toutefois moins convaincante que les deux premières. Fatalement, sont resserrées les vis du scénario, et Sibel voit l'étau de l'oppression culturelle et sociale se refermer sur elle, comme le spectateur l'attend malheureusement. Les plans signifiants se succèdent, au final, pour montrer qu'il s'agissait bien d'un combat pour l'émancipation, ce que l'on avait très bien compris. 

  • Le Grand Bain (Gilles Lellouche, 2018)

    °
    Le méga-succès de 2018 ratisse tellement large dans son portrait de la France dépressive mais attachante qu'il sent le calcul à chaque ligne de scénario. Tous les clichés du feel good movie sont enfilés (déjà que la recette n'était pas très nouvelle chez les Anglais dans les années 90...), jusqu'à cette facilité insupportable de filmer 1h30 d'efforts mediocres aboutissant à 5 minutes d'apothéose sportive. La narration est réduite à une série de vignettes poussant du coude, sans que jamais une scène ne dure vraiment, n'ait le temps de se déployer (si l'une d'elles va au-delà de la poignée de secondes, c'est uniquement pour souligner un jeu d'actrice ou d'acteur sur la corde sensible). Cette incapacité foncière du réalisateur est symbolisée par la façon dont est investie la piscine, ici au centre et pourtant filmée comme tous les autres décors, sans imagination, sans jamais travailler ce qui fait la singularité du lieu. Parmi les nombreux (contre-)exemples, inutile d'aller jusqu'à Moretti. Il suffit de penser au malheureusement dernier film de Solveig Anspach, L'Effet aquatique, réalisé deux ans auparavant, au sujet proche (tropisme nord-européen compris !), épatante réussite comique et sentimentale ayant eu 15 fois moins de spectateurs.

  • Séjour dans les Monts Fuchun (Gu Xiaogang, 2019)

    ***
    Premier film plus que prometteur, déjà accompli, d'un jeune cinéaste s'installant tout simplement au niveau d'un Jia Zangke ou, mieux encore, de la nouvelle vague taïwanaise de l'époque. Alternant des plans séquences très longs et très beaux avec d'autres plus courts, il déploie une esthétique admirable sans jamais laisser penser qu'il s'appuie sur un système. Pour raconter deux ans (durée du tournage également, épousant chaque saison) de la vie d'une famille chinoise, il avance par blocs bien découpés, elliptiques, surprenants. Ce n'est que sur la durée que ces bribes de temps nous assurent des repères et éclaircissent les rapports entre les personnages. Mais alors que s'effectue cette familiarisation progressive, ces derniers gardent leur mystère et le "documentaire" s'enrichit d'une dimension musicale, poétique, paysagère... Avec subtilité, le film traite de la présence du passé, familial ou culturel, des changements accélérés de l'époque, de la course au progrès, des problèmes d'argent conditionnant tout. Il le fait avec douceur et un brin de pessimisme (comment faire autrement ?) mais sans pleurnicher, en un délicat jeu autour des apparitions et disparitions rendu sensible par le style de découpage et l'inscription parfaite des personnages dans l'environnement, ancestral ou moderne. 

  • Fast & Furious 8 (F. Gary Gray, 2017)

    *
    Dernier volet en date d'une série de films oscillant entre divertissement bourrin à peu près acceptable (1 et 5) et machin visuel assommant infusé à la testostérone et l'adrénaline (tous les autres numéros). Ici, on est plutôt dans le premier groupe, uniquement parce que, au milieu d'un océan de débilités, se détachent trois longues séquences assez tarées. La première rend folles une horde de voitures autonomes dans New York, en un soudain délire cartoonesque. La deuxième repose, oui, oui, sur une idée de mise en scène : la caisse de Vin Diesel est harponnée par celles de ses cinq acolytes, ce qui traduit le lien indéfectible faisant tenir leur "famille". La troisième est une course poursuite, sur et sous un lac gelé, entre des bagnoles, des chars et un sous-marin atomique, c'est-à-dire totalement n'importe quoi. 

  • Roulez jeunesse (Julien Guetta, 2018)

    *
    Film sympathique mais qui n'est vraiment pas plus que ça. La comédie sociale, comme on en a déjà vu des tas, s'engage peu à peu sur la pente triste, donnant l'occasion à Éric Judor d'être "sérieux" pour la première fois. Le début amuse sans peine mais l'évolution est tout de même téléphonée, jusqu'à la coda dédramatisante sur le mode archi-classique de "la vie continue et mérite d'être vécue avec le sourire". Rien ne dépasse : il faut voir comment une séquence qui paraît partir en comédie musicale est aussitôt remise sur les rails, au bout de 10 secondes, avec le retour du personnage principal. Par ailleurs, il faudrait vraiment interdire aux réalisateurs de continuer à saloper les chansons de Nick Drake en les collant à leurs scènes larmoyantes.