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2010s - Page 3

  • High Life (Claire Denis, 2018)

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    Comme attendu, le drame spatial de Claire Denis table sur la lenteur et le minimalisme de la représentation pour atteindre le mystère. L'échec est absolu, rendu inévitable tout d'abord par une structure narrative à la fois kaléidoscopique et exsangue, et ensuite par l'épuisant système mis en place par la cinéaste, consistant à alterner les séquences vides et les séquences choc (sang et/ou sperme).

  • Sibel (Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti, 2018)

    **
    Film franco-turc éminemment dardennien dans son esthétique, bien que la nature, montagnarde, prenne plus de place que chez les frères belges. On y suit en effet Sibel comme on suivait il y a vingt ans Rosetta. L'héroïne est muette mais siffleuse. Cela nous évite quelques dialogues pouvant être résolument plombés. D'ailleurs, les cinéastes semblent souvent se positionner dans un certain évitement, cherchant, et trouvant assez longtemps, l'équilibre entre la traque documentaire et le symbolisme (homme/loup, haut/bas, modernité/archaïsme). La dernière demi-heure est toutefois moins convaincante que les deux premières. Fatalement, sont resserrées les vis du scénario, et Sibel voit l'étau de l'oppression culturelle et sociale se refermer sur elle, comme le spectateur l'attend malheureusement. Les plans signifiants se succèdent, au final, pour montrer qu'il s'agissait bien d'un combat pour l'émancipation, ce que l'on avait très bien compris. 

  • Le Grand Bain (Gilles Lellouche, 2018)

    °
    Le méga-succès de 2018 ratisse tellement large dans son portrait de la France dépressive mais attachante qu'il sent le calcul à chaque ligne de scénario. Tous les clichés du feel good movie sont enfilés (déjà que la recette n'était pas très nouvelle chez les Anglais dans les années 90...), jusqu'à cette facilité insupportable de filmer 1h30 d'efforts mediocres aboutissant à 5 minutes d'apothéose sportive. La narration est réduite à une série de vignettes poussant du coude, sans que jamais une scène ne dure vraiment, n'ait le temps de se déployer (si l'une d'elles va au-delà de la poignée de secondes, c'est uniquement pour souligner un jeu d'actrice ou d'acteur sur la corde sensible). Cette incapacité foncière du réalisateur est symbolisée par la façon dont est investie la piscine, ici au centre et pourtant filmée comme tous les autres décors, sans imagination, sans jamais travailler ce qui fait la singularité du lieu. Parmi les nombreux (contre-)exemples, inutile d'aller jusqu'à Moretti. Il suffit de penser au malheureusement dernier film de Solveig Anspach, L'Effet aquatique, réalisé deux ans auparavant, au sujet proche (tropisme nord-européen compris !), épatante réussite comique et sentimentale ayant eu 15 fois moins de spectateurs.

  • Séjour dans les Monts Fuchun (Gu Xiaogang, 2019)

    ***
    Premier film plus que prometteur, déjà accompli, d'un jeune cinéaste s'installant tout simplement au niveau d'un Jia Zangke ou, mieux encore, de la nouvelle vague taïwanaise de l'époque. Alternant des plans séquences très longs et très beaux avec d'autres plus courts, il déploie une esthétique admirable sans jamais laisser penser qu'il s'appuie sur un système. Pour raconter deux ans (durée du tournage également, épousant chaque saison) de la vie d'une famille chinoise, il avance par blocs bien découpés, elliptiques, surprenants. Ce n'est que sur la durée que ces bribes de temps nous assurent des repères et éclaircissent les rapports entre les personnages. Mais alors que s'effectue cette familiarisation progressive, ces derniers gardent leur mystère et le "documentaire" s'enrichit d'une dimension musicale, poétique, paysagère... Avec subtilité, le film traite de la présence du passé, familial ou culturel, des changements accélérés de l'époque, de la course au progrès, des problèmes d'argent conditionnant tout. Il le fait avec douceur et un brin de pessimisme (comment faire autrement ?) mais sans pleurnicher, en un délicat jeu autour des apparitions et disparitions rendu sensible par le style de découpage et l'inscription parfaite des personnages dans l'environnement, ancestral ou moderne. 

  • Fast & Furious 8 (F. Gary Gray, 2017)

    *
    Dernier volet en date d'une série de films oscillant entre divertissement bourrin à peu près acceptable (1 et 5) et machin visuel assommant infusé à la testostérone et l'adrénaline (tous les autres numéros). Ici, on est plutôt dans le premier groupe, uniquement parce que, au milieu d'un océan de débilités, se détachent trois longues séquences assez tarées. La première rend folles une horde de voitures autonomes dans New York, en un soudain délire cartoonesque. La deuxième repose, oui, oui, sur une idée de mise en scène : la caisse de Vin Diesel est harponnée par celles de ses cinq acolytes, ce qui traduit le lien indéfectible faisant tenir leur "famille". La troisième est une course poursuite, sur et sous un lac gelé, entre des bagnoles, des chars et un sous-marin atomique, c'est-à-dire totalement n'importe quoi. 

  • Roulez jeunesse (Julien Guetta, 2018)

    *
    Film sympathique mais qui n'est vraiment pas plus que ça. La comédie sociale, comme on en a déjà vu des tas, s'engage peu à peu sur la pente triste, donnant l'occasion à Éric Judor d'être "sérieux" pour la première fois. Le début amuse sans peine mais l'évolution est tout de même téléphonée, jusqu'à la coda dédramatisante sur le mode archi-classique de "la vie continue et mérite d'être vécue avec le sourire". Rien ne dépasse : il faut voir comment une séquence qui paraît partir en comédie musicale est aussitôt remise sur les rails, au bout de 10 secondes, avec le retour du personnage principal. Par ailleurs, il faudrait vraiment interdire aux réalisateurs de continuer à saloper les chansons de Nick Drake en les collant à leurs scènes larmoyantes. 

  • La Femme des steppes, le flic et l'œuf (Wang Quan'an, 2019)

    ***
    Voilà qui vient à point nommé pour rappeler que le cinéma, c'est du cadre, de la lumière et du temps. Qu'il existe des plans beaux parce qu'ils laissent tout le loisir à un personnage (ou une moto, ou un chameau) de se déplacer d'un bord à un autre, dans toute la longueur. Le film de Wang Quan'an (Le Mariage de Tuya et La Tisseuse, tous deux déjà pas mal, parmi six autres réalisations) dépayse assurément mais son intérêt est loin de tenir seulement à l'exotisme mongol. La fantastique première séquence, d'un seul tenant, comme beaucoup d'autres, donne le ton : tout tiendra en un bel équilibre entre naturel et esthétique. Le cinéaste joue habilement de la distance, qu'il rend variable, parfois dans un même plan, entre documentaire et fiction. Un jeu passant notamment par le son, tantôt loin, tantôt proche, et par des passages de l'image au flou. Il faut parfois s'accrocher mais le récit a le mérite de rester imprévisible (malgré la force visuelle, on craint un petit peu, dans la première demi-heure, de ne se retrouver que devant un décalque d'Il était une fois en Anatolie de Nuri Bilge Ceylan) et plusieurs moments s'incrustent dans la tête pour de bon. 

  • Get Out (Jordan Peele, 2017)

    **
    L'intention politique derrière l'efficace thriller horrifique est claire, nette et précise, sans être simpliste (bonne idée de présenter les salauds blancs sous leurs masques progressistes, amateurs d'Obama et de Tiger Woods). L'image est, elle aussi, d'une limpidité qui se remarque. Sur la tension narrative, quelques facilités empêchent la réussite totale, comme le recours à l'hypnose pour annihiler toute résistance en émettant un seul son. L'état dans lequel est plongé la victime est cependant rendu avec originalité (le surprenant "gouffre de l'oubli"). Le huis-clos, la campagne, la relative brièveté, la violence, le racisme... On pense de plus en plus, au fil du film, à La Nuit des morts vivants, dont Get Out est finalement un rejeton loin d'être indigne. La preuve, c'est que jusqu'à la dernière seconde, on craint que, comme chez Romero, le héros noir se fasse abattre par des "sauveurs". 

  • L'Œuvre sans auteur (Florian Henckel von Donnersmarck, 2018)

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    FHVD a peut-être cru avoir en lui le talent nécessaire à la réalisation d'une fresque historique bouleversante du type Heimat ou Nos meilleures années. Son film de 3 heures se termine d'ailleurs de façon ouverte, en nous prenant de court (mais du coup, assez agréablement) tant ce qui précédait incitait à penser que les boulons seraient bien resserrés en bout de course. Ce cinéma se veut classique, efficace et lisible. Les plans sont d'une clarté aveuglante et chaque séquence souligne sa "nécessité", ploie sous la "signification". Il y a parfois des idées (de scénario plus que de mise en scène) intéressantes mais elles sont toujours encombrées de cette recherche incessante du sens. Ainsi, des gestes pourraient se distinguer, surprendre, sembler échapper, être vrais, mais ils sont inévitablement rendus "révélateurs" ou "parlants", par le cadrage ou le montage. Le résultat est donc bien lourd (ces scènes "revécues", ces simplifications sur le grand sujet de l'Art...) et le réalisateur trop obsédé par l'idée de faire du cinéma humaniste (aucun salaud ici, ni même chez les nazis et leurs sympathisants, et lorsque le père endosse ce rôle, le film ne le suit pas assez pour donner l'ampleur maléfique nécessaire au personnage). Cela dit, on ne s'ennuie pas plus que ça, on s'intéresse même par moments, presque uniquement pour des raisons liées à l'Histoire, avec un grand H. 

  • Monrovia, Indiana (Frederick Wiseman, 2018)

    ***
    Le rendez-vous, quasi-annuel, de dessillement a été à nouveau honoré par Wiseman (90 ans cette année). Encore une fois l'impression de voir des images neuves, claires et vraies, de choses a priori banales (activités professionnelles, cérémonies, assemblées, réunions...), assemblées en un montage merveilleux, net, rythmé par des plans de transition de toute beauté mais pourtant jamais esthétisants et servant à la fois à respirer et à avancer d'un endroit à un autre. Les habitants de la ville filmée ici ont voté pour Trump à 76%. Mais ça, c'est le distributeur du film qui le dit. Wiseman, lui, s'en garde bien. Libre à nous de déceler dans ses images et ses sons, des signes de cet état de fait et d'esprit. Le cinéaste esquive, peut-être un sourire en coin mais sans jamais "laisser penser que...". Et c'est heureux qu'il évite ainsi la réduction au message, à la dénonciation (restant en cela, de toute façon, totalement fidèle à sa démarche habituelle). Cependant, son film intéresse constamment, étonne, fascine, mais il inquiète également. Il interroge par la façon dont il donne à voir ces instantanés : non reliés entre eux (sinon bien sûr géographiquement). La société y apparaît donc sous forme de cellules non communicantes. En coupant net avant et après, en ne revenant que rarement une deuxième fois sur un lieu, en ne présentant personne dans un autre environnement que celui dans lequel nous le rencontrons, Wiseman donne à sentir la réalité d'une société de communautés indépendantes. Et en même temps, sa manière de faire pousse à s'interroger à chaque moment : qu'est-ce que ce fragment peut nous dire de ces gens et de cet endroit ? Peut-on lui accoler une signification particulière ? Comme il est très difficile de répondre, on se dit que le cinéma de Wiseman est décidément celui qui dialogue le plus intensément avec la réalité, tout en restant admirablement organisé.