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80s - Page 5

  • La Nuit des traquées (Jean Rollin, 1980)

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    Approximatif dans la narration et l'interprétation, comme souvent, ce Jean Rollin ne pèse pas bien lourd et ennuie assez. C'est dû aussi, en grande partie, au fait que les séquences paraissent toutes beaucoup trop lentes et trop longues. L'enjeu peine à se dévoiler, à l'intérieur de celles-ci comme dans l'ensemble du film (l'explication au mystérieux mal frappant les protagonistes, une perte immédiate de toute mémoire, est balancée à la fin, en deux lignes de dialogues). Deux choses permettent cependant d'aller au bout. Premièrement, Rollin délaisse pour un temps cimetières et châteaux en ruines pour les tours de la Défense. L'univers glacé qu'il dépeint évoque alors celui de Romero ou du Cronenberg des débuts, sans faire preuve du même talent bien sûr. Et deuxièmement, on peut longuement admirer Brigitte Lahaie.

  • Peggy Sue s'est mariée (Francis Ford Coppola, 1986)

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    Évidemment pas le meilleur Coppola, Peggy Sue souffre d'une mise en scène étonnamment peu affirmée (à l'image des premiers et derniers plans qui reposent sur un trucage de traversée de miroir par la caméra avec doublures réalisé très imparfaitement et sans grande conviction), de l'une des plus mauvaises prestations de Nicolas Cage (pas aidé, il est vrai, par son personnage ni par le maquillage) et, après sa longue pirouette temporelle, d'une retombée sur ses pieds absolument conventionnelle. Cependant, une fois l'héroïne plongée dans son propre passé, toutes les scènes sont intéressantes et "disent" quelque chose. Ce qui tient donc d'abord du scénario. Deux dimensions importantes sont bien abordées : le désir de transgression, surtout sexuel, que la situation permet, et l'émotion des retrouvailles avec les personnes disparues. Dans cette émotion, et partout ailleurs, Kathleen Turner est magnifique.

  • Superman IV (Sidney J. Furie, 1987)

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    Sans surprise, Sidney Furie ne parvient pas à redresser la barre que Richard Lester avait déjà échoué à bouger malgré ses intentions burlesques. La série, particulièrement faible, s'achève donc sur cet épisode co-écrit par Christopher Reeve lui-même, aventure anodine, à la fois humaniste (Superman veut dénucléariser le monde) et patriotique (il prend soin de redresser le drapeau américain après s'être bastonné sur la lune), bâclée dans ses effets spéciaux, laissant Gene Hackman s'agiter mollement aux côtés de son super-méchant parmi les plus ridicules jamais créés. 

  • Green Green Grass of Home (Hou Hsiao-hsien, 1982)

    La vie quotidienne dans un village taïwanais accueillant un nouvel instituteur. Réalisé en 1982, ce film de jeunesse de Hou Hsiao-hisen est une chronique de campagne en mode mineur, excessivement optimiste mais affichant un naturel régulièrement désarmant.

    Green green grass of home marque un premier virage dans l’œuvre de Hou Hsiao-hisen, qui en était là, en 1982, à son troisième long métrage. Il clôt un cycle, constitué de comédies populaires sans prétention, tout en permettant l’éclosion, encore discrète mais sensible, d’un style. Chronique de la jeunesse en milieu rural, le film aligne les petits moments, cocasses ou attendrissants, sous forme de saynètes sans grandes conséquences, cherchant juste à donner, le plus souvent dans la bonne humeur, l’impression de l’écoulement naturel de la vie. L’aspect répétitif ou fragmenté que peut revêtir ce choix est atténué par une narration commençant à faire preuve d’une belle fluidité et par une réalisation caractérisée par son calme et l’attention portée aux paysages (qui aide à bien saisir la topographie du lieu) ainsi qu’aux personnages. Axé sur un groupe d’écoliers et un couple d’amoureux, le récit arrive à surprendre assez régulièrement et crée des effets d’échos et de rimes entre la vie des enfants du village et celle de leurs parents, le lien communautaire se faisant sentir également grâce à une mise en scène qui réunit délicatement dans le cadre les différentes générations. Cette histoire d’instituteur parvenant à trouver sa place loin du brouhaha de la ville se suit donc sans déplaisir, malgré quelques facilités humoristiques (non, à l’époque, Hou Hsiao-hsien ne recule pas devant une chute burlesque ni un gag scatologique) et la formulation d’un message positif et souriant à l’excès, balayant toutes les ombres dramatiques dans l’élan d’un plaidoyer pour la bienveillance, l’éducation et l’écologie.

    (Texte paru dans L'Annuel du Cinéma 2017)

  • Cute Girl (Hou Hsiao-hsien, 1980)

    Les débuts du grand cinéaste taïwanais Hou Hsiao-hsien ont de quoi surprendre. Datant de 1980, Cute Girl est une comédie romantique, facile et musicale, ne dégageant qu’un charme intermittent et ne donnant à voir une fameuse esthétique qu’à l’état embryonnaire.

    Premier film de Hou Hsiao-hsien, qui en a également rédigé le scénario, Cute Girl (autrement dit « fille charmante ») s’inscrit dans le cadre bien délimité de la comédie romantique. Dépeignant un milieu taïwanais aisé, il ne bouleverse nullement les codes commerciaux pour conter l’histoire de la jeune femme promise à un inconnu par sa riche famille mais tombant amoureuse d’un autre, en apparence plus simple et plus aimable. Coup de foudre, malentendu, réconciliation… Le jeu du chat et de la souris consentante se déroule en chemin tout tracé, parsemé de gags plus ou moins subtils et de chansons pop sucrées si envahissantes qu’elles tirent parfois l’ensemble vers la comédie musicale. Appliqué à suivre la convention, le scénario n’est pas des plus resserrés (problématique sociale esquissée dans l’épisode paysan mais aussitôt évacuée, informations importantes longtemps cachées pour permettre les rebondissements...). La mise en scène est heureusement plus soignée. C’est à ce niveau seulement que l’on entraperçoit le talent naissant du futur Maître Hou, dans les compositions larges qui laissent palpiter la vie sur les bords et qui captent avec justesse l’arrière-plan citadin ou campagnard, ainsi que dans les traits humoristiques reposant sur la gestion de l’espace. Cependant, nous sommes encore loin des petites merveilles que seront Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985) ou Poussières dans le vent (1987), pour ne rien dire des chefs-d’œuvre suivants, et ces traces restent infimes au sein d’une comédie-bulle de savon qui vient, du fond des années quatre-vingt, nous rappeler que les grands aussi ont commencé petits.

    (Texte paru dans L'Annuel du Cinéma 2017)

  • Désillusions

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    On attend tellement du cinéma, on espère tant trouver de quoi nous nourrir même lorsque l'on fait le choix de film le plus incertain, le plus hasardeux et le plus téméraire au regard de nos goûts habituels, que l'attente est parfois mal récompensée, la chute brutale et la désillusion radicale. Ainsi, ayant été hypnotisé, un soir déjà lointain, lors de la diffusion télévisée de ce grand documentaire qu'est En construccion (2000), je suis parti plein d'entrain, l'été dernier, à la découverte du cinéma de son auteur, l'Espagnol José Luis Guerin. L'illusion n'a pas perduré.

    Los Motivos de Berta (1983) est la chronique de quelques jours dans la vie d'une petite campagnarde, passée au prisme de son imaginaire. Sous la forte influence, assumée, du Victor Erice de L'Esprit de la ruche, un récit étrange tente de se mettre en place, tout en longs plans ciselés en noir et blanc. Mais il a tôt fait de se déliter et le mystère qui l'accompagne, au lieu de s'épaissir, finit par s'éventer et disparaître au-delà des champs de Castille, rêvés ou bien réels, dans le sillage d'une Arielle Dombasle chevauchant, en robe blanche et perruque.

    Innisfree (1990) est une relecture de L'Homme tranquille de John Ford, un documentaire-hommage réalisé sur les terres irlandaises de son tournage en 1951. Alternant rares extraits et prises de vue sur place, l'œuvre a la (non-)forme de la déambulation. Elle n'offre pas plus de progression émotionnelle qu'elle ne dévoile de but particulier. Malgré un découpage plutôt vif, les séquences-blocs semblent ne jamais vouloir se clore. Des scènes de pub flirtent avec l'insupportable, des enfants de l'école racontent les scènes du film, des reconstitutions sont esquissées... A chaque instant, l'articulation entre les deux films, espacés de quarante années, manque cruellement.

    Tren de sombras / Le Spectre de Thuit (1997) est l'auscultation, à la Blow up, d'une série d'images. Présentées comme des reliques des années vingt, bobines à usage familial appartenant à un riche amateur de l'époque, quelque chose nous dit qu'elles tiennent de l'aimable supercherie. Guerin les donne d'abord à voir telles quelles, avant de s'en approcher au plus près, de les grossir, de les ralentir. Sur le papier passionnant, le projet s'abîme dans une réalisation tâtonnante, répétitive et imprécise dans la mise à jour des rapports qu'elle est supposée dégager. Conscient de cette opacité, Guerin finit par reconstituer et montrer le contrechamp de ces images, montrer le filmeur : tout cela est donc bien laborieux. Cherchant, en parallèle, le spectre du passé dans le présent, le cinéaste en passe de surcroît par de longs tunnels de plans sur une nature indéchiffrable qui achèvent en nous l'espoir qui subsistait malgré tout, lorsque nous contemplions un beau visage de jeune fille.

    Dans la ville de Sylvia (2007) est un film à la teneur en fiction plus prononcée. Il est coupé par trois cartons annonçant autant de nuits (alors que la quasi-totalité du récit se passe de jour), bornes qui n'ont pas d'intérêt particulier. Entre elles, un récit ou plutôt son esquisse, avec ce que cela comporte d'inachevé et d'insatisfaisant. Cette esquisse a, cette fois-ci, il est vrai, le mérite d'épouser parfaitement l'idée originelle. Car Guerin filme ici comme son personnage principal, à longueur de journée, dessine, en reprenant son geste, en l'ajustant, et en laissant même le vent tourner les pages/les plans. Guerin filme aussi comme le jeune homme regarde, captant à distance des bribes de conversations, observant de loin comment peuvent se composer des formes, tentant de saisir un peu de la beauté intérieure de chaque jolie femme croisée en terrasse ou dans les rues. Eloge de la ville, de la marche, de l'observation, de la présence des femmes, le film est léger comme une plume, volatil comme une goutte de parfum.

    José Luis Guerin m'a laissé là, dubitatif et presque endolori par la vision de ces œuvres dans lesquelles plusieurs séquences semblent conclusives mais recèlent finalement de nouvelles et timides relances pour aboutir à cette impression de longueur excessive et sans enjeu apparent, cette impression que les quatre-vingt-dix minutes annoncées généralement se sont transformées en trois heures.

  • 24 portraits d'Alain Cavalier

    Réalisées en 1987 (la première) et en 1991 (la seconde), ces deux séries qui n'en font qu'une se placent donc pour Alain Cavalier entre Thérèse (1986) et Libera me (1993). L'inscription de ces 24 portraits dans l'évolution stylistique du cinéaste, leur importance dans son processus de réflexion sur la fiction et le documentaire, sur le rapport au personnage, au récit et à la technique, sont donc limpides.

    L'un des tout premiers plans du premier film de la série montre les mains de "la matelassière" (les portraits sont titrés ainsi par le métier qu'exerce chacune des femmes rencontrées par Cavalier) et il est emblématique. Le cinéaste affectionne en effet ces cadrages sur des parties du corps ou bien sur des objets vus de près, posés sur des tables, des fonds unis qui épurent. Et de manière aussi simple qu'il filme, il parle sur ces images-là pour situer. Pour nommer précisément, aussi. Il a choisi de ne filmer que des femmes, souvent âgées et travaillant "à l'ancienne". L'une de ses motivations est d'enregistrer leur présence, de laisser une trace.

    Ces femmes, il les filme à l'ouvrage, expliquant ou leur demandant d'expliquer leurs gestes. Et face à elles, il fait, lui aussi, son métier, il montre que, cinéaste, c'en est un. On remarque, au fil des portraits, la tentation, de moins en moins contenue, de Cavalier d'entrer dans le cadre et d'y faire entrer ses deux accompagnateurs (son et image). Mais même dans la première série, où il ne donne pas à voir de reflets de lui et son équipe restreinte, il rend compte de la fabrication par la voix et les choix de montage. Il peut très bien, par exemple, demander à son opérateur un fondu au noir ou un panoramique (ce qui ne va pas sans quelques hésitations ou erreurs). Il peut demander le clap. Il peut "diriger", en demandant qu'une tête se redresse, qu'une phrase soit redite, qu'une musique soit jouée dans la pièce ou qu'un objet soit montré.

    Deux métiers sont donc face à face, rendant encore plus passionnante la présentation. L'un enrichit l'autre : à un moment, Alain Cavalier se demande à voix haute ce qu'il va pouvoir tirer de ces portraits pour réaliser ses films suivants et, en même temps, il espère que l'expérience a plu à ces femmes filmées. Sans attacher moins d'attention à elles, il parle de plus en plus de lui et de son passé.

    24 portraits, ce n'est donc pas "Nos beaux métiers d'autrefois". Ce sont des mains et des visages de femmes (Cavalier avoue d'ailleurs que le visage est sa préoccupation première), filmés alternativement. Et par-dessus, se déroule leur parole. Cavalier les fait parler pendant le travail et passe sans cesse des questions sur ce sujet à celles plus personnelles. Ces dernières arrivent comme à l'improviste (sans jamais paraître irrespectueuses) et portent sur les enfants, les maris ou la solitude. Elles sont simples mais peuvent ouvrir des vannes.

     

    24 PORTRAITS D'ALAIN CAVALIER (France, 24 x 13 min, 1987 & 1991) ****

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  • A bout de course

    lumet,etats-unis,80s

    Présenté au 23e Festival International du Film d'Histoire de Pessac

     

    Une chronique familiale faite de joies et de peines, partant d'un fond politique et brassant émois adolescents, amours impossibles, résistances face à l'émancipation, difficulté de la séparation, éloge de la différence, le tout dans un crescendo émotionnel : voilà un programme pas forcément engageant, sentant la convention tire-larmes à plein nez. Pourtant, à chaque instant, A bout de course est miraculeux.

    Danny Pope ressemble à un adolescent ordinaire : il fréquente le collège, joue au base-ball, se déplace à vélo, vit avec son petit frère espiègle et ses parents. Sauf que ceux-ci ont perpétré, alors que Danny n'avait que deux ans, un attentat contre un laboratoire produisant du napalm utilisé au Vietnam. Cette famille est donc en fuite, recherchée depuis quinze ans par le FBI. La normalité n'est qu'apparente. Leur vie c'est la cavale, les noms d'emprunt, les départs précipités à la moindre alerte, les sauts d'une ville à l'autre.

    L'action se situe au milieu des années quatre-vingt. Le passé tient essentiellement dans une scène, peut-être la seule qui soit maladroite, la seule qui apparaisse comme une concession (à la faveur de la lecture d'un journal, Danny explique les raisons de leur fuite à son frère). Ailleurs, ce passé reste sous-jacent, la trace n'émergeant qu'au gré de quelques événements. Fort heureusement, aucun flashback ne vient l'illustrer. Au milieu du film, un passage organisant la confrontation entre le père, la mère et un ancien partenaire activiste peut laisser croire que la lourdeur explicative, le poids du thème vont finir par l'emporter. Mais la fin de la séquence arrive avec un mouvement de caméra menant à l'escalier jouxtant la pièce où (se) débattait la mère : Danny était en fait là, écoutant, sans un mot, sans un geste. Cette simple ponctuation repousse aussitôt l'ombre du didactisme, enrichit la scène et même, la retourne, la justifie.

    La mise en scène de Lumet semble toucher à la perfection, en termes d'échelle et de tempo. Le cinéaste sait bien que le partage d'une émotion ne nécessite pas de rester coller aux yeux embués des personnages, que tout est affaire de dosage et de variations. Dans de nombreuses séquences, on note le plaisir du plan long et éloigné avant le retour à la proximité. Ainsi, les séquences de flirt entre Danny et sa copine Lorna, dans les bois ou au bord de l'eau, offrent de magnifiques instants grâce aux passages du loin au proche qu'elles proposent. La très belle tenue d'autres séquences difficiles, telles celles de classe et d'audition, est également dûe à cet équilibre de la mise en scène.

    Le tempo, quant à lui, reste globalement le même tout du long, Lumet refusant les accélérations artificielles et les coups au cœur factices. Cela n'empêche ni les courses ni les angoisses mais on en reste au rythme de la chronique.

    Et on épouse le point de vue des enfants, essentiellement, bien sûr, celui de Danny. De cette hauteur et à cette distance, le tableau sur la famille apparaît d'une justesse incroyable, au point que l'on peine à trouver dans le cinéma américain qui lui est plus ou moins contemporain une réussite sur ce plan aussi incontestable. Sans doute l'une des forces du film est de dérouler la chronique ordinaire d'une famille qui ne l'est pas du tout (et pour déclencher le ressort dramatique à partir de ce particularisme, il faut un élément tout aussi exceptionnel : ce sera la révélation du talent musical de Danny). Mais l'adolescent a des problèmes d'adolescent, le couple est secoué par les tensions habituelles de couple, le grand père a une réaction de grand père... Exemple parmi d'autres, le petit frère de dix ans paraît vraiment les avoir. Il en a exactement le comportement, les postures, les réflexions, Lumet sachant lui donner le temps et l'espace qu'il lui faut, sans tricherie. La pose, l'affectation n'ont pas cours et ne laissent pas s'approcher trop près les éventuelles réminiscences d'autres jeunesses en marge et en révolte. Dans le rôle de Danny, River Phoenix ne s'encombre pas du fantôme de James Dean. A l'image d'un film pleinement dans son époque mais aussi un peu à côté, il joue merveilleusement de sa présence-absence au monde.

    Mise en scène attentive, écriture fine et interprétation hors pair concourent à créer des séquences d'intimité familiale d'un naturel stupéfiant et d'une intensité rare. La description au ras du quotidien de la fuite rend les liens évidents, jusque sur le plan physique, comme le montrent ces gestes de tendresse semblant attrapés au vol, semblant presque échapper aux personnages. Dans une scène, un personnage n'est pas dur ou aimant, sympathique ou désagréable, et nous n'avons pas, de l'une à l'autre, un mouvement de balancier indiquant successivement les états émotionnels à épouser. Il n'y a qu'à voir la façon dont le cinéaste use des variations pour les trois moments forts qui jalonnent le dernier tiers : un aveu accompagné en champs-contrechamps de plus en plus rapprochés, des retrouvailles fille-père en face-à-face très serré, un adieu d'amoureux en long plan cadrant les profils. Et que dire du final, dans lequel l'intransigeance paternelle ne peut être que brisée et renversée d'un coup ? Cette cassure qui bouleverse, tant elle surprend malgré le fait qu'elle était espérée.

    Par tous revu à la hausse lors d'une reprise en 2009, vingt ans après un premier accueil plutôt discret, A bout de course est l'un des plus beaux films du cinéma américain des années quatre-vingt et sans doute le meilleur de son auteur.

     

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    lumet,etats-unis,80sÁ BOUT DE COURSE (Running on empty)

    de Sidney Lumet

    (Etats-Unis / 116 min / 1988)

  • Retour de La Rochelle (1/12) : 4 films avec Anouk Aimée

    Cette note est la première d'une série de douze, consacrée aux films vus au 40e Festival de La Rochelle. Honneur aux dames, pour commencer : quatre titres choisis au fil de l'hommage rendu, en sa présence, à Anouk Aimée.

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    Le farceur

    C'est du théâtre de boulevard tourné à la sauce Nouvelle Vague. De la mécanique habillée d'une liberté de ton rendue soudainement possible au cinéma. Mais ce grand écart, cette œuvre comique a du mal à le tenir, bien qu'elle se révèle trépidante et plutôt élégamment mise en image par son auteur, Philippe de Broca. La différence entre les scènes d'extérieurs et celles d'intérieurs, par exemple, saute aux yeux. L'intérieur, là où se joue l'essentiel, c'est une maison défraîchie, tortueuse et poussiéreuse. Une surprenante famille, aux mœurs particulièrement libres, l'occupe. Trois hommes la dominent, un oncle et ses deux neveux. Autour d'eux, gravitent deux jeunes enfants de peu d'importance et surtout deux femmes : la première est mariée à l'un des frères, la seconde est amoureuse de l'autre. Toutes les deux sont malmenées par un humour graveleux.

    En effet, Le farceur est un vaudeville ouvertement sexuel et volontiers vulgaire. On y trouve trucs théâtraux, mimiques appuyées et cabotinage à tous les étages. Les dialogues sont non seulement omniprésents, mais ils sont de plus chargés, à chaque phrase, de bons mots, ce qui les rend parfaitement épuisants à entendre. Ce surpoids poético-comique encombre tous les échanges, y compris le principal, amoureux, qui devient totalement vain. Je dois dire que, face à Anouk Aimée, Jean-Pierre Cassel, tête d'affiche, m'a paru peu supportable par sa façon de surjouer la légèreté et le charme. Les scènes obligées auxquelles il se livre, danse ou ivresse, m'ont laissé de marbre.

    Le film s'améliore lorsqu'il se fait plus cassant, quand la satire est plus directe. Tel est le cas avec les interventions de l'entrepreneur, le mari d'Anouk Aimée bientôt cocu. Pète-sec et peu concerné par les activités de sa femme, il se détend tout à coup dès qu'il la quitte et se retrouve avec son majordome. Dans le rôle, François Maistre est très drôle. Pour le reste, et bien qu'il se termine de manière assez déroutante dans la demi-teinte, Le farceur étale trop son aspiration au bonheur pour me convaincre.

     

    Model shop

    De manière générale, on ne peut pas dire que Jacques Demy fut un cinéaste se laissant aller à la facilité. Juste après le succès des Demoiselles de Rochefort, il sauta par dessus l'Atlantique pour tourner Model shop aux Etats-Unis et se frotter à la société de Los Angeles.

    Le choix d'un récit minimaliste fait que l'intrigue tient à rien (par moments, le film semble annoncer tout un pan du cinéma américain indépendant et sous-dramatisé). Un homme sur le point de se séparer de sa copine recherche 100 dollars pour payer une traite et garder sa voiture. Il passe une journée à rendre visite à ses amis et rencontre Lola, une Française, dont il tombe amoureux (oui, c'est bien la Lola/Anouk de Nantes que l'on retrouve sept ans plus tard).

    La façon dont Demy s'imprègne du lieu et de l'époque force le respect. Du moins lorsqu'il joue sur une note basse, car dès qu'il marque plus nettement les choses, il se rapproche dangereusement du cliché (il en va ainsi de l'annonce du départ pour le Vietnam, du conflit avec les parents, éclatant à l'occasion d'un coup de fil etc.).

    Le film, plein de temps morts et recouvert progressivement d'un large voile de tristesse, déroute en laissant l'impression que Demy joue en quelque sorte sur le terrain d'Antonioni (qui foulera bientôt, lui aussi, ce sol américain pour Zabriskie Point). Malheureusement, le geste décoratif l'emporte sur l'architectural et, se tenant loin du caractère tranchant du cinéma de l'Italien (période années 60), la tentative, malgré de belles intuitions, donne un résultat un peu mou. La description calme et douloureuse d'un amour mort-né déchire moins qu'elle assoupit.

    Je regrette de n'avoir pas plus aimé ce film. Certains semblent le porter dans leur cœur, à côté d'autres Demy (n'est-ce pas Docteur ?). En 68/69, Les Cahiers du Cinéma lui avaient offert une couverture et dans Positif, revue qui ne fut demyphile que par intermittences, Bernard Cohn lui consacra un très beau texte titré "Le visage de la mort".

     

    Le saut dans le vide

    De la folie dans le giron familial : le terrain est connu de Marco Bellocchio. Anouk Aimée est Marta, une femme vivant dans un grand appartement romain sous la protection de son frère magistrat, Mauro (Michel Piccoli), et aidée par une femme de ménage. Y passant toutes ses journées sans en sortir jamais, ou presque, elle est sujette à de brusques sautes d'humeur et passe pour folle auprès de son entourage et de ses voisins.

    La belle idée sur laquelle repose ce Saut dans le vide est que l'on ne va pas assister à la chute de Marta, que l'on pensait prévoir, mais à celle de Mauro. En collant à ces deux personnages, Bellocchio filme deux mouvements inter-dépendants et inverses. La folie se transmet ici comme dans un système de vases communicants. Ce système, précisément, c'est l'appartement, et la folie circule d'une pièce à l'autre, profite des ouvertures, passe par les portes. Ce décor est le personnage principal du film. Bellocchio nous gratifie bien de quelques échappées extérieures mais toujours il nous ramène dans cet endroit. Très attentif aux visages, il se plait pourtant à s'en éloigner régulièrement pour mieux coincer les corps dans les multiples cadres que fournissent meubles, murs, portes et fenêtres. Pour autant, ce dispositif n'est pas rigide mais modulé, ce lieu n'est pas inerte mais mouvant. Arpenté en tous sens, l'appartement vit et ses pièces paraissent toutes communiquer entre elles. Du coup, nos repères vacillent.

    De plus, les dialogues virent vers l'absurde, la réalité des choses devient de moins en moins assurée et le temps se creuse lui aussi. A intervalles réguliers, une troupe d'enfants envahit le lieu : rêve, hallucination ou réminiscence du passé familial ? Le saut dans le vide dialogue par moments avec Le locataire de Polanski, même si il est plus froid, moins grotesque.

    Piccoli est glaçant, laissant se fissurer la façade de respectabilité qu'il arbore. Rarement personnage aura autant frayer avec la mort, l'imaginant pour ses proches, ne vivant plus qu'avec cette idée. Et plus Mauro s'engage vers les ténèbres, plus Marta avance vers la ville, le fleuve, la mer, la lumière.

     

    La petite prairie aux bouleaux

    Film relativement récent, La petite prairie aux bouleaux est méconnu, souvent oublié, me semble-t-il, lorsqu'il s'agit d'évoquer la Shoah au cinéma. Sa forme relativement simple joue peut-être contre lui. Il n'est pas parfait, souffre de quelques longueurs et bute par moments, quand il s'engage sur la voie de la gravité extrême (reconnaissons qu'il est certes difficile, si on tient à en passer par là, d'éviter solennité et didactisme).

    Anouk Aimée interprète une femme revenant à Auschwitz-Birkenau pour la première fois, soixante ans après y avoir été déportée, en 1943, à l'âge de 15 ans (cela arriva à Marceline Loridan Ivens, qui s'appuie ici, en partie, sur sa propre expérience). L'actrice s'en sort de manière remarquable mais elle ne peut éviter un certain blocage à deux ou trois reprises. Quelque chose est freiné quand elle se met à parler seule (ou plutôt au spectateur), une fois qu'elle s'est glissée dans le camp, que ses souvenirs remonte alors qu'elle s'arrête dans son ancien baraquement ou dans les latrines. Là, entre la femme qui témoigne et l'actrice qui joue, une distance ne s'efface pas.

    Ce bémol avancé, je peux dire que le film m'a passionné, et cela pas forcément là où je l'attendais. Tout d'abord dans la fiction, tout à fait assumée. Un personnage "médiateur" de photographe allemand, petit fils de SS de surcroît a été inventé. Et contre toute attente, il "fonctionne" avec celui de la vieille dame juive. Celle-ci, comme toutes ses amies rencontrées au début à l'occasion d'une surprenante séquence de retrouvailles, se caractérise par son ton parfois cassant et son humour, grinçant et toujours lié à la catastrophe.

    Le récit est joliment agencé, ménageant des ellipses tout en semblant ressasser, à l'image de son héroïne qui, après y avoir mis les pieds pour la seconde fois, ne peut plus quitter Birkenau et ses environs. Mais l'aspect le plus passionnant est encore ailleurs : ce film signe la fin d'un cycle. Il arrive au moment où se pose, pour les historiens notamment, la question : "Que faire d'Auschwitz aujourd'hui ?" Cette question, la cinéaste ne la pose pas bêtement, frontalement. Sur ses images, apparaît un camp presque vide (les silhouettes de "touristes" sont quasi-absentes) et traversé ça et là par des pointes d'onirisme. Non, la question est posée à travers celle d'une mémoire singulière, individuelle et qui se perd dans ses propres méandres puisque le personnage semble parfois à deux doigts de "perdre la boule". Ce qui est montré ici, aussi, c'est la force de l'occultation ou tout simplement l'impossibilité de la mémoire : les anciens déportés, qui, bientôt, auront tous disparu, ne s'accordent pas eux-mêmes sur certains points, certaines scènes qu'ils ont pourtant vécu ensemble.

    Il faut voir La petite prairie aux bouleaux pour la borne historique qu'il marque, croisant intelligemment documentaire et fiction, histoire personnelle et universelle.

     

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    MODEL SHOP de Jacques Demy (Etats-Unis / 85 min / 1969)

    LE SAUT DANS LE VIDE (Salto nel vuoto) de Marco Bellocchio (Italie - France - Allemagne / 120 min / 1980)

    LA PETITE PRAIRIE AUX BOULEAUX de Marceline Loridan Ivens (France - Allemagne - Pologne / 90 min / 2003)