80s - Page 2
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Comrades (Bill Douglas, 1987)
***Description d'une communauté de cultivateurs et artisans au service d'un riche propriétaire, de sa constitution en syndicat et de l'arrestation de ses meneurs, au milieu du XIXe. Douglas, comme dans "My Way Home", scinde son récit en deux, étiré cette fois sur trois heures. Bonne idée, le changement total de perspective relance l'intérêt d'une autre manière. A l'étude pointilleuse, à la fois didactique et elliptique, des conditions de vie de ces familles opprimées du Dorset succède la démonstration de la résistance de six condamnés dans les bagnes anglais d'Australie. Après la polyphonie communautaire, les histoires individuelles sont contées l'une après l'autre, séparément, très différentes, pour des mises à l'épreuve de l'idéalisme ancré en chacun. En bon cinéaste de la modernité, Douglas parsème son film de réflexions sur la représentation, objets de pré-cinéma à l'appui, et délivre le discours final encourageant l'unité ouvrière sur une scène de théâtre. -
La Forêt d'émeraude (John Boorman, 1985)
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Alors que son personnage devrait passer par tous les états, Powers Boothe a une expression et demie. Le fiston Charley B. en a un peu plus et l'avantage d'une blondeur qui tranche avec les sombres cheveux des indiens. Déjà manichéen, le récit est invraisemblable par ses enchaînements (tiré d'une histoire vraie, il est tout de même très romancé et augmenté d'autres histoires d'enlèvements comparables, dixit Boorman). Entre des scènes d'action hollywoodiennes, les "visions" chères au cinéaste apportent un peu d'originalité sinon de la légèreté. Le meilleur est sans doute dans la gestion de l'espace, avec la frontière qui ne cesse d'avancer et les trajectoires des personnages, celle de Tomme principalement, entre ses deux pères (ses deux mères, elles, n'existent quasiment pas). Le film ne m'aura décidément plu qu'à l'adolescence. -
Outsiders & Rusty James (Francis Ford Coppola, 1983)
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Flashs de mon adolescence transformés longtemps après en expérience sur des cobayes de 14 et 22 ans. Résultat, les deux préfèrent largement Outsiders à "l'ennuyeux" Rusty James !Et pourtant...Outsiders a autant de hauts que de bas. La planque des pauvres petits Macchio et Howell est bien longuette et mélo, comme les scènes d'hôpital qui mobilisent les mêmes. Ailleurs, plus que les rapports entre mecs, c'est la gestion de l'espace qui séduit, embrassé avec ampleur et dynamisme (dans une hyper-expressivité qui fait parfois sourire : Coppola n'attend pas 2 minutes pour proposer des plans de baston à ras de terre, avec donc, on l'imagine, la caméra dans un trou). La mise en scène est musicale mais l'aide des standards attendus est aussi agréable que facile.Et donc, de l'illustration à l'inspiration...Tout semble touché par la grâce dans Rusty James, qui dérive du film de bande au film-rêve/cauchemar. Rusty James est entraîné ou suit son frère, ou plutôt l'image de son frère, dans les limbes. Le lien fraternel, bien plus profondément ressenti que dans l'autre, est d'autant plus beau qu'il est suspendu, dans l'espace et le temps, entre deux lieux, entre deux époques. Comme si Coppola faisait ici la critique même du monde et de la mythologie d'Outsiders, notamment en dépouillant Dillon de ses forces et de ses illusions, Dillon qui ne fait que prendre des dérouillées et des cuites, qui ne cesse de tomber et de se traîner. Le récit qui va vers la fatalité mais en n'empruntant que des détours (la virée à moto avant de revenir devant l'animalerie), le noir et blanc et les touches de couleurs, les ombres démesurées, les fumées fantastiques, la castagne chorégraphiée, la voix basse et les bras croisés de Rourke, la surdité et la folie, le flic moustachu, le symbolisme des poissons, les pulsations continues de Copeland, les rêves et la lévitation, tout passe, tout s'embrase. Même feu qu'au début 1984 à mes 12 ans et demi. -
China Girl (Abel Ferrara, 1987)
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C'est inégal mais pas si mal le "China Girl" de Ferrara. Bon, on ne peut pas se tromper sur l'époque de sa réalisation, tous les marqueurs 80's sont là : nappes de synthés avec touches de saxo, tubes hip-hop et rock FM, pochette de Born To Run de Springsteen, scènes de danse physiques, tous muscles dehors, en débardeur, caméra en mouvement, courses devant des grilles éclairées de bleu, reflets de néons dans les flaques d'eau... On finit par s'y faire. Et puis certaines séquences y échappent comme, étonnement, la scène d'amour, assez belle, malgré le cadre sordide de l'appartement délabré (puisqu'il faut se cacher des regards). Quelques raccourcis et facilités mais c'est assez dense (en moins de 90 minutes, alors qu'aujourd'hui, une histoire comme ça serait racontée sur 3 heures) et bien sûr dynamique et fiévreux. La fin est écrite (et par Shakespeare, en plus) mais on se prendrait presque à l'espérer différente lorsqu'elle approche. En tout cas, devant ce cercle infernal, on se retrouve d'autant plus désespéré en se disant que le même scénario pourrait être adapté de nos jours à peu près partout autour de nous.
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Garde à vue (Claude Miller, 1981) & Le Paltoquet (Michel Deville, 1986)
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J'étais curieux de revoir "Garde à vue" et "Le Paltoquet", deux films qui m'avaient impressionné, ado des années 80 (télévision ou vidéo pour le premier, au cinéma pour le second), deux films aux partis-pris comparables, s'appuyant sur un décor unique (ou presque), cherchant à "faire du cinéma" sur des bases théâtrales, racontant une enquête criminelle, convoquant des stars...Le Deville est un peu décevant à la revoyure, son originalité forcenée se retournant contre lui. C'est encore assez plaisant à suivre mais la façon qu'à le cinéaste de placer toutes les trente secondes une "idée" pour amuser, étonner, désarçonner ou mettre à distance devient lassante. Ça finit par n'être qu'une série de trucs de mise en scène, pas désagréable mais trop calculée, à l'image de ces plans qui ne semblent enchaînés que pour mettre en valeur tel mot ou telle expression.A l'opposé, la permanence de la force du Miller tient justement à la belle intégration de son parti-pris dans une coulée plus fluide et moins tape-à-l’œil (Miller en assumait, revendiquait même, le côté "commande"). Ainsi les dialogues d'Audiard se succèdent parfaitement, jamais soulignés pour les élever au rang de bon mot mais toujours déroulés dans le naturel des échanges. Le traitement des thèmes abordés (pédophilie, délitement du couple, rapport à la police, différences sociales, doutes sur la culpabilité...) est net tout en préservant les ambiguïtés. Grande interprétation de Serrault et Ventura (et Marchand). Les 4 premiers Miller, c'est pas rien... -
Au revoir les enfants (Louis Malle, 1987)
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Très longtemps attendu avant de le revoir, après sa découverte tout jeune, en salle, à l'époque, puis quelques occasions télévisées au début des années 90, il reste un Louis Malle magnifique, très éloigné de l'académisme mémoriel que l'on peut redouter. On n'y trouve aucune facilité de reconstitution, personne n'écoutant par exemple tel discours sur un vieux poste de radio, ni aucun mot d'auteur surligné nostalgiquement. Certes, le cadre strict du collège catholique joue beaucoup mais encore fallait-il s'y tenir, ce que fait la mise en scène, à la fois dure et empathique, calme et énergique, rigoureuse et surprenante, à l'image en fait de cet univers qui contraint en même temps qu'il laisse passer la vie. -
La Rose pourpre du Caire & Rifkin Festival (Woody Allen, 1985, 2020)
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Revoir par hasard "La Rose pourpre du Caire" après avoir découvert "Rifkin's Festival" et comparer les deux, c'est aussi inévitable qu'en un sens injuste. Mais enfin... Dans le premier, vivent des personnages, dans le second, se succèdent des porte-paroles. Dans le premier, une idée simple est développée en une vertigineuse logique, dans le second, un discours faussement profond débouche sur du banal. Dans le premier, le style est direct, dans le second, l'auteur signale toujours sa présence, même si c'est pour jouer les modestes. Dans le premier, le cinéma descend dans la salle et aide à mieux vivre, dans le second, il surplombe et se laisse tout juste visiter via ses fac-similés, ses Lascaux II.
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Micki et Maude (Blake Edwards, 1984)
***Edwards filme l'histoire classique d'un homme pris au piège entre sa femme et sa maîtresse, en allant jusqu'à en faire un bigame, comme Ida Lupino trente ans avant, mais en le poussant bien sûr vers les extrémités burlesques. Dudley Moore excelle dans le balancement entre tendresse et comique, évitant de faire paraître son personnage trop lâche. Amy Irving est bien charmante, une flamme de mystère dans ses yeux éclatants. Quant à Ann Reinking, elle est épatante : d'abord réduite à son rôle de working girl, elle révèle par la suite une grande sensualité puis, à partir de l'annonce, bouleversante pour elle, de sa grossesse, une émotion intense. Dans un rythme assez calme, en plans souvent longs laissant se préciser les rapports, Edwards déroule sa chronique en la secouant de temps à autre de décharges burlesques, imprévisibles et donc très efficaces, puis accélère jusqu'au délire lors de la séquence à rallonge de l'arrivée simultanée des deux femmes toujours ignorantes de la tromperie à la maternité. -
Highlander (Russell Mulcahy, 1986)
°Revenir vers ses amours d'adolescence est toujours risqué et 36 ans après, Highlander est bel et bien irregardable, sauf à l'étudier pour les signes esthétiques les plus cruellement typiques des années 80 qu'il accumule (de l'imperméable aux persiennes, de la lumière bleue à la séquence érotique devant la baie vitrée, rien ne manque à la liste, sauf le saxophone). La musique, les chansons de Queen en premier lieu, n'est pas plus supportable que la nullité du jeu de Lambert. Tiraillé entre deux économies, celle de la série B et celle du blockbuster fantastique, constamment déséquilibré entre premier et second degré, piochant ça et là (de Terminator à Sacré Graal !) faute de vision personnelle, ne gardant que le pire de la modernité (le tape-à-l'œil) et de la tradition (la naïveté), le film de Mulcahy est ahurissant de bêtise. Il n'y a qu'à voir l'incroyable enchaînement en trois minutes de la révélation de l'immortalité de Mc Leod qui s'auto-poignarde devant la belle légiste, le premier baiser entre les deux, la scène sexuelle, le plan sur les lions au zoo, le dialogue sur l'impossibilité de s'attacher, le retour de la fille chez elle et son enlèvement. Quant à l'action, la mise en scène forcément clipesque ne met pas seulement à mal sa vraisemblance, elle la rend totalement incohérente spatialement parlant. Hideux et risible. -
Nausicaa de la vallée du vent (Hayao Miyazaki, 1984)
**Quelques dialogues sont un peu trop simples et figent les personnages, et une certaine confusion narrative s'installe à mi-course. Mais ce deuxième long de Miyazaki reste très intéressant en tant que film fondateur de style et de thématiques. Le bestiaire inventé frappe déjà, tout comme la création d'un personnage de jeune fille prenant en main son destin. Primordiale et déjà en place elle aussi, la dimension écologique, parfaitement intégrée au merveilleux semble même, en 1984, en avance.