(Jacques Doillon / France / 2003)
■■■□
Assez différent des films précédents de son auteur, celui-ci s'avère l'un de ses plus réussis. Le changement radical de paysage (le sud du Maroc) s'est avéré particulièrement fécond pour Doillon (mais pour l'instant sans lendemain, celui-ci ayant apparemment de plus en plus de mal à financer ses projets).
Le cinéaste, d'habitude tellement porté sur les dialogues, joue avec la barrière entre les langues. Frédéric (Pascal Greggory) est le seul Français que l'on voit à l'écran. Sa situation professionnelle n'est pas définie, tout juste voit-on qu'il est riche et très cultivé. Le personnage est comme déporté du cinéma bavard (je caricature) de Doillon vers une réalité autre, celle du Maghreb d'aujourd'hui. Le plus souvent, son discours n'est pas compris pas ses interlocuteurs arabes, à cause de leur méconnaissance du français, mais surtout à cause des tournures d'esprit trop intellectuelles. Alors Frédéric parle seul ou se permet de dire des horreurs quand il sait que son vis à vis ne le comprend pas. Plutôt comique lors des dialogues avec les deux vieilles servantes, l'effet est plus troublant dans les scènes de séduction de Raja.
Raja, est la nouvelle employée de la villa. Ils se désirent plus ou moins, mais les rapports sont viciés dès le départ puisque basés sur l'argent. C'est ici que Doillon frappe le plus fort : il constate l'omniprésence de cet argent dans la société gangrenée, autant qu'au sein du couple homme-femme. Et cette perversion est décuplée par choix du lieu de l'action. Cette histoire d'amour au Maroc devient le symbole de toute l'histoire coloniale. Le personnage de Pascal Greggory n'est pas que le porte-parole de l'auteur, il est l'image de l'Occident quand Raja est l'image de l'Afrique exploitée.
Dit comme cela, on pourrait croire à une thèse. Heureusement, Doillon a un grand sens du casting (les confrontations entre Greggory et les acteurs arabes, tous non-professionnels sont merveilleuses). Il a aussi un don pour le réalisme, celui des gestes, des mouvements. Les corps hésitent, partent, reviennent, souvent dans un même plan. Frédéric et Raja sont comme deux aimants inversés, s'attirant et se détournant au dernier moment, sans jamais pouvoir se toucher vraiment (la scène d'amour, toujours retardée, ne peux donc être que ratée pour les deux). Le cinéaste avait précisé dans un entretien à Positif : "Ce qui se passe à côté des deux personnages importe peu; j'ai travaillé ce que permet le scope, le champ entre Raja et Fred, la distance qui bouge entre eux." Baigné dans la belle lumière du Sud, le film se permet aussi, comme cerise sur le gâteau, une scène étonnante, centrée sur les négociations insensées de Frédéric avec le frère de Raja. Le ton passe des menaces au quasi-vaudeville alors que la caméra lie le tout, d'un personnage à un autre, par de magnifiques travellings dans l'allée. Une autre négociation, tout aussi inattendue et inventive termine le récit de ce film si pessimiste et pourtant si dynamique.