"Non, je ne voudrais pas faire les films qu'a faits John Huston dans les trente dernières années de sa vie. J'ai l'impression que, désormais, chaque mauvais film annule le bénéfice de trois bons et je veux garder de bonnes stats !" dit Quentin Tarantino dans le dernier Télérama. Django unchained annule donc la moitié de sa carrière puisqu'il n'a tourné jusqu'à présent que sept films. Dans le même temps (sur vingt ans), les autres grands réalisateurs américains qui peuvent lui être comparés (par l'âge, le goût pour les genres populaires et le statut d'auteur jamais remis en cause) tenaient une toute autre cadence : Joel et Ethan Coen en signaient onze, Tim Burton douze, Steven Soderbergh vingt et un.
Sortir un film tous les trois ans assure à Tarantino le maintien de l'étiquette "culte" scotchée sur son dos et lui donne l'impression de pouvoir étirer sur presque trois heures l'histoire sans intérêt de son Django sans que personne ne sourcille. Or, à mes yeux, cette fois-ci, il s'écroule. A tous points de vue.
Tarantino, cinéaste de la parole. Jamais ses dialogues n'auront à ce point plombé le récit. Ici, ils paraissent en effet interminables. D'une part, ils rendent le cynisme du personnage du Dr Schultz et la prestation de son acteur Christoph Waltz irritants au possible (et Di Caprio poursuit son travail sur le chemin scorsesien sans être, malheureusement, dirigé par le réalisateur des Infiltrés). D'autre part, contrairement à ce qu'il se passait dans les précédents films du cinéaste, ils sont totalement dépourvus d'enjeu : ni vraiment digressifs, ni vraiment utiles dramatiquement (ne s'y opère aucun retournement, aucun changement de point de vue). Il ne leur reste alors plus qu'à tourner inlassablement dans les bouches, à la grande auto-satisfaction de leur auteur.
Tarantino, cinéaste déstructurant. Le récit est déroulé de façon linéaire, sans aucune surprise. Quelques flash-backs parfaitement attendus et de timides flash-forwards font une moisson bien maigre pour supporter l'alternance morne de séquences parlées et de séquences saignantes.
Tarantino, cinéaste de la violence. Décidément, Django unchained confirme ce qu'Inglourious basterds laissait penser : la violence qui s'étale fonctionne dorénavant de la manière la plus simpliste et la plus basse qui soient. Lorsqu'elle est l'œuvre des salauds, elle sert à choquer le spectateur. Lorsque les héros y ont recours, elle le lie, par le clin d'œil, à leur vengeance et lui propose d'en jouir. Parfois, le cinéma de genre a bon dos...
Tarantino, cinéaste du jeu historique. Voilà qui est nouveau depuis Inglourious, et ce n'est, à mon avis, pas du tout une bonne nouvelle. Il y a trois ans, il flinguait Hitler. Cette fois-ci, il venge les Noirs américains de décennies d'esclavage (mais par l'intermédiaire, bien sûr, d'un guide, presque un surhomme). Soit, je peux, à la rigueur, l'admettre, tout en précisant bien que Tarantino la joue facile, sans risque moral aucun, en toute bonne conscience. Mais ce qui m'agace profondément dans ce film, au delà de sa violence orientée, de sa longueur inadaptée et de son manque de stimulant narratif, c'est que, si il est pensé comme un hommage que j'imagine sincère au western italien, il l'est aussi comme instrument servant à faire la leçon au cinéma classique américain, de D.W. Griffith à John Ford. Nul doute qu'il y ait matière à interroger certains aspects de ce cinéma-là, mais à travers ce Django unchained et le discours qui l'accompagne, Tarantino le rejette sans aucun discernement, bien confortablement installé en 2012.
DJANGO UNCHAINED de QuentinTarantino (Etats-Unis, 165 min, 2012) ****

Oui...
Pour moi, Reservoir dogs fut une révélation comme on en connaît peu dans le genre premier film-coup de poing. Ce petit polar est l'un des rares à vraiment mériter le qualificatif, employé pour tout et n'importe quoi, de "film culte". Cette appelation accollée à Pulp fiction est un peu plus problématique, dans le sens où le coup fut cette fois-ci bien préparé. Sans vouloir renier l'immense plaisir ressenti lors de sa vision, je dois dire que la recherche de la connivence ricanante avec le spectateur et un soupçon de complaisance m'empêchaient de crier au chef d'oeuvre. Après la tornade, Jackie Brown fut donc une excellente surprise et la confirmation éclatante que le monsieur était bien plus qu'un petit malin hyper-doué. Rythme ralenti, personnages inoubliables, récit et mise en scène brillantissimes. Puis vint ce Kill Bill, dont je ne comprends toujours pas l'intérêt, autre que commercial, de l'avoir scindé en deux longs volets. Tarantino a fait son film de sabre et a magnifié Uma Thurman, bien bien. Cela tient surtout, selon moi, du cirque avec quelques beaux morceaux dedans. Enfin, Boulevard de la mort le ramène encore au pays de l'hommage cinéphile, mais ici avec une production et un scénario plus en accord avec le genre abordé. Et toujours ce même plaisir du cinoche, des images, de la musique et des corps...
Retour sur le Boulevard de la mort, que j'avais été voir un peu à reculons en juin dernier, ce qui est très dangereux vu le cinglé qui sillonne cette route. Ma réticence initiale tenait à la nature du film : l'hommage à la série B des années 70. Kill Bill avait été plus ou moins vendu comme cela, avec plus de tapage il est vrai. Pour la première fois, Tarantino patinait, étirant son métrage inutilement jusqu'à donner deux trop longs films, brillants mais par endroits boursouflés, aux scènes d'actions virtuoses mais fatiguantes.