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  • La Môme

    (Olivier Dahan / France / 2007)

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    1229403370.jpgMis de bonne humeur par le Kusturica, je me suis laissé tenter par la ressortie post-César de La Môme. Je vous jure que je voulais bien l'aimer ce film, que j'étais prêt à passer par dessus bien des contraintes imposées par le genre. Mais pour ce faire, il aurait fallu que le cinéaste me fasse un peu plus confiance en temps que spectateur et qu'il ne se base pas uniquement sur son cahier des charges pour conduire son récit. Je ne connais pas les précédents travaux d'Olivier Dahan mais il m'a l'air d'être un jeune cinéaste (40 ans) "moderne et ambitieux". Alors pourquoi diable nous fait-il un biopic aussi conventionnel ? C'est sûr, tout était calibré dès le départ pour que ça marche, ici et de l'autre côté de l'Atlantique. Tous les rôles principaux sont tenus par des vedettes, au point qu'on s'étonne de ne pas voir débarquer Clovis Cornillac en Marcel Cerdan. A ce jeu de reconstitution historique avec l'accent, ce sont les plus aguerris (Depardieu et Greggory) qui sont le moins insupportables. On a droit en passant à l'incarnation de Marlene Dietrich par Caroline Sihol, et ça, ça fait très mal. Quant à Marion Cotillard, c'est vrai que ça a dû être dur pour elle toutes ces heures passées au maquillage (mais elle est en fait meilleure en vieille dame qu'en femme de son âge).

    Si Polanski a fait Oliver Twistpour son fils, Dahan a dû faire La Mômepour sa grand-mère. Bien sûr l'académisme dont le film fait preuve est un académisme au goût du jour. Les scènes de rue ou d'affrontements sont tournées avec une caméra nerveuse quand les moments plus lyriques ou émouvants sont traités à coups de fondus enchaînés et de fluides mouvements de caméra. Tout ça est très au point et parfaitement ennuyeux. La belle séquence du premier dîner entre Edith et Marcel est gâchée par l'insertion parallèle du compte rendu qu'en fait la chanteuse à sa confidente, procédé gratuit qui rompt le charme initial. La seule petite audace tient donc dans le faux retour de Cerdan à Paris. A ce moment, Dahan parvient à faire pressentir que quelque chose cloche, rien qu'en faisant durer pour la première fois un plan. Ah si, une autre jolie idée : la redressement de Piaf quand on lui joue pour la première fois Je ne regrette rien, lui faisant s'écrier "C'est ce que j'attendais depuis des années". A part ça, de l'aspect musical, rien ne ressort. Les concerts sont filmés banalement, la leçon de chant draîne tous les clichés possibles pour montrer la progression technique de la chanteuse. Aucune tentative n'est faîte pour prendre du recul, pour tenter d'expliquer pourquoi les chansons de Piaf cheminent dans l'esprit de chacun. Il n'y a que de l'unanimisme.

    Comme dans tous les biopics modernes, la narration est forcément éclatée, partant en même temps du début et de la fin de la vie pour faire converger les lignes vers une apothéose du milieu. La vie de la Môme étant chargée d'événements dramatiques, il paraissait difficile de finir avec la tarte à la crème habituelle de la révélation finale d'un traumatisme fondateur. Et bien Dahan a quand même réussit à en placer un, il est vrai souvent ignoré (par moi en tout cas). Le film peut donc se terminer (longuement) sur cette vague émotionnelle qui nous emporte tous Tous ensemble ! Tous ensemble ! Eh ! Eh !, au son de la chanson la plus connue de Piaf (j'aurais dû parier avant la projection sur l'ordre dans lequel seraient proposés les morceaux, j'étais sûr de gagner). Pourvu que personne ne nous prépare un Jacques Brel...

  • La petite marchande d'allumettes

    (Jean Renoir / France / 1928)

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    1424416480.jpgUn petit film de Renoir, par sa durée (une trentaine de minutes), par son importance au sein de la filmographie et par le peu de moyens dont le cinéaste a disposé. Bien qu'ayant déjà réalisé le prestigieux Nana (1926), il en est encore à se chercher et à expérimenter. Ici, tout tient du bricolage, souvent ingénieux, avec ces maquettes de la ville sous la neige, ces surimpressions et autres effets visuels.

    La petite marchande d'allumettes est bien l'adaptation du célèbre conte d'Andersen, si triste à entendre quand on est tout gamin. Renoir n'a malheureusement pas cherché à étoffer le court récit et n'a pas insisté plus que cela sur l'aspect social. Il propose une illustration possible mais pas une incarnation véritable. De la présentation des malheurs de la jeune fille, on passe vite à la visualisation de ses hallucinations, qui constituent la plus grande partie du film. La perte de la raison à cause du froid et de la faim, difficile à rendre en travaillant ainsi en petit décor et sous la neige artificielle, ne sert pas la gorge comme elle devrait. Dans le rôle titre, Catherine Hessling, muse du Renoir des années du muet, est tout à fait bien mais n'est pas vraiment une fillette.

    La séquence du rêve démarre sur une longuette animation de jouets au milieu desquels l'héroïne baguenaude, mais continue avec une course qui aère soudain le film. Cette très belle poursuite à cheval dans les nuages donne à voir des images dont la beauté évoque celle des trajets ferroviaires de La bête humaine. L'aisance technique dont Renoir fait preuve ici démontre également, encore une fois, à quel point cet aspect de son cinéma a été plus ou moins volontairement occulté au fil du temps, laissant trop souvent croire au miracle de l'improvisation et de l'enregistrement tout simple de la vie. Au terme de la chevauchée, la victoire de la Mort et le retour au réel, avec son carton tombant comme un couperet ("Il faut être bien bête pour croire que l'on peut se réchauffer avec une boîte d'allumettes"), libèrent enfin l'émotion que suscitait dans notre mémoire embrumée le conte d'Andersen.

  • Promets-moi

    (Emir Kusturica / Serbie / 2007)

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    436109579.jpgLes quelques extraits entr'aperçus au moment de Cannes n'étaient pas très engageants, la rumeur s'est faîte très négative et la sortie du film fin janvier a été accompagnée par un déluge de mauvaises critiques. Ainsi redoutée, la catastrophe n'a finalement... pas lieu. Kusturica avec Promets-moi, livre une farce, réalisée dans son coin. A la suite de Underground, il est évident que le cinéaste n'a plus souhaité se frotter aux grands sujets. Il a ainsi signé des oeuvres de plus en plus simples et lumineuses. On peut regretter qu'au cours des dix dernières années, chaque rendez-vous soit un peu moins marquant que le précédent, mais pour l'instant, l'énergie suffit encore à emporter le morceau. Kusturica semble finalement vouloir faire du cinéma comme il fait de la musique, sans se prendre la tête. Et effectivement, ses films ressemblent de plus en plus aux concerts du No Smoking Orchestra (voir le formidable documentaire tourné par Kusturica lui-même sur son groupe : Super-8 stories), soit du rock balkanique qui ne se singularise pas par sa subtilité mais qui est tout simplement une belle machine à danser et transpirer.

    Avec son histoire de grand-père qui envoie son petit-fils vers la ville afin que celui-ci s'y trouve une femme, le Serbe n'innove guère en termes de thématique : opposition entre campagnards et citadins, initiation amoureuse, liens de fraternité inattendus, goût de la fête... Kusturica mélange sa sauce et fait brillamment n'importe quoi, osant les pires gags zoophiles, les chutes cartoonesques, les péripéties sans queue ni tête. Qu'importe le scénario après tout (et franchement, se souvient-on de celui de Chat noir chat blanc?), ici ne compte que la rigolade et le plaisir de filmer. Tous les acteurs en font des tonnes, ce qui n'est pas toujours désagréable. Avec ses grimaces et ses gesticulations, ce burlesque énorme, qui ignore avec aplomb la frontière qui le sépare du comique troupier, vaut avant tout par sa franchise. Absence de second degré et refus du ricanement : c'est un hommage enfantin, une volonté de retrouver l'innocence et l'émerveillement face aux images cinématographiques. Il faut prendre comme cela ces corps qui tombent dans des chausses-trappes, ces machines bricolées et improbables. L'humour déployé ici n'est pas bien fin mais atteint souvent son but. De toute manière, le temps que l'on se dise que là c'est vraiment limite, Kusturica invente déjà autre chose derrière. Peut-être qu'un gag sur deux seulement marche, mais dans le tourbillon, on ne s'en rend pas bien compte, ne retenant que les meilleurs (le punching ball humain, l'homme-canon...).

    Dans la grosse rigolade ou la paillardise, le metteur en scène inspiré est quand même toujours là, assemblant ses plans par un montage rapide mais toujours lisible dans le chaos. Si la musique, signée par le fiston, n'a toujours pas retrouvé la qualité des partitions que proposait Goran Bregovic il y a dix ou quinze ans, elle entraîne encore facilement. Quant à la politique, Kusturica ne garde que quelques vacheries bien senties lancées vers les Américains ou l'Europe. Tout cela suffit pour passer un très agréable moment devant ce film, qui serait même une belle réussite sans la dernière demie-heure, trop répétitive et moins étonnante. Je m'en voudrai de terminer sans parler du couple de jeunes tourtereaux, Jasna et Tsane. Kusturica leur réserve les scènes les plus touchantes, sans jamais verser dans la mièvrerie, et réussit à surprendre en partant d'idées rabattues de séduction maladroite. Mes deux moments préférés du film les concernent. D'abord lorsqu'ils se retrouvent à se parler devant la télévision diffusant la fin de Taxi driver de Scorsese. Hommage sympa mais inutile se dit-on, avant que Kusturica ne montre leurs regards se porter discrètement de temps en temps vers la télé et que finalement un sursaut terrible les secouent devant l'image violente de De Niro tirant sur sa victime. L'autre moment est aussi bref. Vers la fin, surchargée de musique, un plan d'une quinzaine de secondes cadre Jasna essayant son voile de mariée. Tsane s'affaire derrière elle, tout en dansant. Elle dodeline en rythme, souriante. Le beau visage de Marija Petronijevic transmet à cet instant toute la magie dont le cinéma de Kusturica est parfois capable.

  • A cause d'un assassinat

    (Alan J. Pakula / Etats-Unis / 1974)

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    128084892.jpgRéalisé entre Klute (1971) et Les hommes du président (1976), ensemble d'oeuvres qui forme a posteriori une fameuse trilogie paranoïaque, A cause d'un assassinat (The Parallax view) est un modèle de thriller politique. L'assassinat en question est celui d'un sénateur américain, abattu, d'après la version officielle, par un individu isolé. Pourtant, trois ans après les faits, Joe Frady, journaliste, s'inquiète de voir disparaître un a un tous les témoins de la scène. Son enquête périlleuse lui fait découvrir les agissements de la Parallax, entreprise recrutant déséquilibrés ou autres asociaux pour en faire les instruments d'assassinats politiques.

    Pour dérouler son récit, Pakula ne choisit pas une approche documentaire mais déploie une mise en scène froide, stylisée et elliptique. Si le personnage principal, interprété par Warren Beatty, sert bien de guide au spectateur, les données intimes ou psychologiques le concernant sont réduites au strict minimum. Frady est peu bavard et son passé, comme son statut au sein du journal, sont expédiés en deux ou trois dialogues avec son rédacteur en chef. Ce dernier est joué par Hume Cronyn, acteur portant sur lui les valeurs américaines établies par le cinéma classique des années 30 à 50. Pakula n'a donc nul besoin d'en rajouter sur l'éthique journalistique, il lui suffit de démarrer un panoramique sur le mur du bureau où s'affichent coupures, photos et distinctions rappelant l'âge d'or avant de le terminer en cadrant un corps sans vie.

    L'une des difficultés liées à ce genre de film est d'arriver à articuler de façon vraisemblable les multiples révélations parsemant la quête de la vérité. Ici, devant l'accumulation, Pakula décide de jouer sur les ellipses. Son récit est truffé de trous. Warren Beatty échappe de justesse à un attentat en sautant du bateau qui explose au large. Le plan suivant le montre au bureau du journal, frais comme un gardon. Ainsi, tout en gardant leur logique narrative, les séquences se succèdent en oubliant toute transition. L'effet visé n'est bien sûr pas de composer une suite de rebondissements révélant un héros intouchable, mais bien de mettre en péril la sensation de contrôle du temps et de la réalité (d'où la réflexion sur la paranoïa). Plus Frady et le spectateur s'approchent de la vérité, plus les repères s'estompent, plus le réel se dérobe. Plutôt, le réel se déshumanise, puisque les vingt dernières minutes, à la mise en scène extraordinaire, ne se contentent pas de boucler le récit, elles donnent aussi à voir l'écrasement ou la disparition de l'homme sous l'architecture. Le sentiment du complot est rendu physiquement par l'omniprésence des objets dans le cadre et par le gigantisme froid des décors. La figure humaine est réduite à rien : l'assassinat final est filmé de très haut et sans jamais se rapprocher de la victime, de l'instant du tir jusqu'à l'évacuation par les secours. Nous sommes donc ici plus près d'Antonioni que de James Bond. Comme plus tôt John Boorman qui, dans Le point de non-retour, injectait dans le polar les trouvailles narratives et visuelles de Resnais, Pakula se nourrissait alors brillamment des recherches du cinéma moderne européen. Cette réussite rappelle aussi que cette génération de cinéastes (et on pense aussi beaucoup au Coppola de Conversation secrète) se posait la même question que les frères Coen aujourd'hui : Est-il encore possible de raconter une histoire ?